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Magnin ne comprend pas que j’aie le cœur à plaisanter en ce moment. Il voit déjà son épicerie désertée par les clilles, le pauvre amour. Les petits trottins allant faire leurs passettes ailleurs, et lui crevant de faim derrière un registre vide. Personne ne voulant lui racheter un hôtel où les clients se font coloquer des pralines dans le but… La faillite, les poubelles, l’Armée du salut !

— Vous l’avez entendu parler ?

— Mais oui !

— C’est vous qui l’avez sonné ?

— Mais oui !

— Et il a répondu tout de suite ?

Il gamberge un brin.

— Non… J’ai sonné sa chambre à deux reprises… Il répondait pas. Je m’ai dit qu’il était aux vécés. Alors je suis zété jusqu’à la cage de l’escalier et j’ai crié : « Monsieur Brioux ! Téléphone ! »

— Et il vous a répondu ?

— Non, mais il a décroché…

— Tout de suite ?

— Oui…

— Et qu’a-t-il dit ?

— Allô !

Evidemment, j’aurais dû y penser…

— C’était sa voix ?

— Ben, cette tarterie, quelle voix ça pouvait être ?

— Celle de quelqu’un d’autre, puisqu’il était au paradis, ce pape !

Il hésite.

— Après tout, dit-il…

— Vous admettez que ce pouvait être quelqu’un d’autre ?

— Je vais vous dire… D’habitude, Brioux, au téléphone, quand je sonnais, il répondait « Oui ! » au lieu de « Allô ! ». Et ce matin ça a fait « Allô ! ». J’ai branché et je m’en suis plus occupé… Mais oui, ça devait être quelqu’un d’autre…

Je réfléchis ; c’est le moment ou jamais, n’est-ce pas ? Je me dis que quelqu’un se trouvait dans la chambre de Brioux plus d’une heure après le décès de ce dernier. Quelqu’un qui a répondu à sa place au téléphone et qui n’a pas donné l’alerte.

Pourquoi répondre au téléphone ?

Là, j’ai la réponse : la personne qui se trouvait dans la turne, en entendant la sonnerie, n’a pas répondu. Seulement, l’hôtelier a insisté. Il a hélé son pensionnaire depuis l’escalier. Alors le visiteur s’est dit qu’il allait monter, il ne l’a pas voulu et a décroché pour couper court !

Oui. D’après son attitude, ce quelqu’un serait l’assassin.

Là, c’est la bonne logique. Seulement un point me turlupine : que pouvait foutre l’assassin dans la chambre de sa victime, une heure et demie après le meurtre ?

Ça pose un point d’interrogation gros comme la colonne Vendôme !

— Avez-vous entendu une détonation quelconque ce matin, vers neuf heures ?

— Pas du tout ! Faut dire aussi que la bonniche passe les chambres à l’aspirateur. Ça fait un boucan terrible.

— Elle est ici, la bonniche ?

— Oui, elle fait le second ; j’ai des mecs qui se font reluire ce tantôt…

— Où se tient-elle ?

— Un petit cagibi au fond du couloir. Elle repasse…

— Bon, j’irai lui dire bonjour. Dites, ce matin, entre huit et onze, y a-t-il eu des allées et venues suspectes ?

— Mais non, quelle idée !

Là, je rouscaille bruyamment.

— Ce ne sont pas « des idées »… Le mort qui repose sur votre moquette n’est pas « une idée », Victor Magnin, mais une sale réalité !

C’est pompeux et ça l’impressionne.

— Je disais manière de causer…

— Oui, oui… Alors je répète ma question : Y a-t-il eu des allées et venues suspectes ce matin ?

— Je ne crois pas…

— Vous avez beaucoup de pensionnaires au mois ?

— Une dizaine… Mon hôtel est petit.

— Quel genre ?

— Des étudiants. Ils partent tôt à leurs cours. On est tranquille.

— Et les passionnés, ils radinent quand ? L’après-midi, je suppose, on bouillave rarement le matin.

— Y en a quelques-uns…

— Y en a eu, ce matin ?

— Oui, un couple.

— Connu ?

— La femme, c’est Gilberte, une habituée. Son mari travaille au métro. Elle fait des levages à l’occasion. Elle a monté un type.

— A quelle heure ?

— Neuf heures, par là…

— Et ils sont repartis à quelle heure ?

— Gilberte est repartie tout de suite. Ça n’a pas gazé, les conditions… Le gars a filé un quart d’heure plus tard… Le temps qu’il se resape…

Voilà qui m’intéresse au plus haut point.

— Comment était-il, ce type ?

— Petit, brun.

Saisi d’une brusque inspiration, je complète :

— Un complet bleu clair et un chapeau marron, non ?

Complètement soufflé, le taulier balbutie :

— Mais oui ! C’est ça… marron…

C’est plutôt lui qui est marron.

Le légiste se barre avec sa caravane. Ces messieurs me serrent la louche comme si j’étais un ami de la famille en m’assurant qu’ils me communiqueront leurs conclusions et qu’ils vont envoyer une ambulance pour transporter feu Brioux à l’entrepôt des macchabs.

Lorsqu’ils sont partis, j’entreprends encore mon hôtelier. On bat le fer pendant qu’il est chaud, comme dit l’autre. Lui, faut le vider pendant qu’il est flasque. Après il se ressaisira et ce sera trop tard.

— Bon, le client est parti un quart d’heure après la gonzesse. Il n’y en a pas eu d’autres ce matin ?

— Non.

— Donc l’hôtel était vide à onze heures ? A part Brioux et votre personnel ?

— Non, il y avait le 3.

— Qui est le 3 ?

— Un jeune peintre. Il est aux Beaux-Arts, mais il n’a pas classe le lundi matin. Et puis il fait la java, alors il est au pageot plus souvent qu’à son tour : c’est jeune, ça ne tient pas le litre et ça boit des saloperies : du punch entre autres pour se donner l’air intellectuel !

— Où est-il en ce moment ?

— Va-t’en savoir… Peut-être aux Beaux-Arts, peut-être à la Rhumerie Martiniquaise… Des fois, au Montana ?

— Quel genre ?

— Un gars avec une barbe blonde et une chemise à carreaux rouges !

— Sérieux ?

— Comment ?

— Pour payer ?

— Ses vieux lui envoient un mandat tous les mois. Je m’ai entendu avec le facteur. Il ne le paie que devant moi, alors je griffe ma note au passage !

— Parfait.

Il me semble lui avoir arraché l’essentiel à cet honorable paquet de graisse.

Il montre la porte.

— Je peux voir ?

Après tout, il est un peu à lui, ce mort. Il va lui attirer assez d’emmiellements pour qu’au moins il ait sa compensation en émotions fortes.

— Regarde…

Il pousse la porte.

Ses épaules ont une contraction. Il bigle le cadavre longuement. C’est fascinant, un mort. On dirait toujours qu’il va remuer, respirer, ouvrir les châsses. On finit par s’obnubiler…

Mais tout ça, c’est de l’autosuggestion. Quand on est raide, c’est pour longtemps. Depuis Lazare, on n’a jamais vu un défunt se mettre sur ses cannes et partir à la pêche.

— Bon ! T’as assez regardé, Victor ? T’en as pour ton jeton ? Alors, boucle la lourde jusqu’à ce qu’arrive l’ambulance. Moi, je monte faire la cour à ta bonne.

CHAPITRE XI

THÉRÈSE

Vous m’excuserez d’y revenir, les mecs, mais je vous assure qu’il y a des paumés qui sont marqués par le destin.