— Eh bien ! fiston, fais-je, t’as oublié de fermer le gaz, que tu files si vite ? Je croyais que tu devais marcher droit…
Vite fait, il se retrouve avec une paire de bracelets aux pognes. Il les regarde d’un œil perdu.
— Voilà tout ce que tu y gagnes…
Le traîner jusqu’à ma voiture est un jeu d’enfant. Je le pousse dedans, je me place au volant et fouette cocher ! En route pour la maison poulets !
Pendant tout le trajet, il ne pipe pas mot. Il est très pâle et sa barbe fait ressortir son air défait. Je ne lui adresse pas la parlante afin de le laisser mijoter dans ses pensées. Elles ne doivent pas être roses…
En tout cas il est pas joyce, Tuyé, quand on débarque dans l’antre à Mignon.
C’est la première fois qu’il entre dans un burlingue de la grande turne avec de la ferraille aux pognes ; aussi il est pas fiérot.
Mignon n’est pas là. C’est l’heure du rapport, évidemment. Il est allé conférer avec le grand patron, lui exposer ses salades dactylographiées d’un doigt malhabile par un crâne mou de son service.
— Assieds-toi, fais-je au jeune barbouilleur.
Il pose son pétrusquin sur une chaise dépaillée et je lui enlève les poucettes. Je les glisse dans mes profondes, puis je file deux jolies beignes à cet enfant de salaud.
— C’est une simple formalité, je lui annonce, j’aime pas qu’on me fasse faire la course à pied, je suis pas payé pour ça, tu piges ?
Une tarte de mieux et il se fout à chialer, c’est couru.
— Bon, dis-je, tu n’es pas au courant de ce qui s’est passé au Mont-Chauve ?
Il baisse le nez…
— Si ?…
— Si, fait-il, j’avoue, c’est moi ! Je suis une ordure…
— Ma foi, tu as l’air d’en être tellement certain que je ne veux pas te donner le démenti. Alors c’est toi qui as fait le coup ?
— Oui…
— Pourquoi ?
— J’avais besoin d’argent… Je devais quatre-vingts francs à un camarade, je ne pouvais pas les lui rendre…
— Et, nature, tu as trouvé malin de buter un homme pour lui chauffer son larfeuille ?
Il écarquille grands les calots.
— Buter ? fait-il.
— Ben… C’est ce que tu viens d’avouer, non ? C’est toi qui as tué Brioux ? On a retrouvé son cadavre sous son lit, qu’as-tu fait de l’arme du crime ?
Là, si vous n’avez jamais assisté à un numéro de transformation instantanée, ôtez vite le bec-de-cane de votre magaze et radinez, ça vaut le ticket d’autobus ! Tuyé devient nettement vert. Il a des yeux hagards et il tremble tellement fort que si on lui attachait des grelots où je pense, on le prendrait pour une troïka.
— Mais… Mais je… Je n’ai tué personne ! balbutie-t-il…
— Tu débloques, môme… Ou alors tu me prends pour une portion de potiron, dis voir ? Voilà que tu te rétractes déjà ?
Il est envapé total. Siphonné à cent pour cent ! Il ne sait plus s’il s’appelle encore Tuyé ou si les escargots portent des bretelles mauves.
— J’ai tué personne ! J’ai tué personne, pleurniche-t-il…
Ça, je le crois sans mal. J’ai fait l’âne pour avoir du son et j’en ai eu ; alors vous parlez si je me tire-bouchonne. Ça lui fait les pattes à ce garnement. Les chocottes, c’est le commencement de l’honnêteté.
— Explique-toi…
— Je savais par la bonne de l’hôtel que Brioux était riche… J’ai eu l’idée d’aller dans sa chambre voir si…
— Si un peu de fric ne traînait pas ?
— Oui…
— Et tu en as trouvé ?
— Dans son armoire ; il y avait mille francs dans une boîte à cigares…
— Tu n’as vu personne ?
— Non… Sa porte était entrouverte. Il n’y avait personne… Je suis entré, j’étais fou. Je regrette.
— Pas de salades, garde-les pour le jury !
— Le jury ! brame-t-il…
— Continue…
— Je suis allé droit à l’armoire… Je l’ai ouverte, j’avais la tête qui me tournait tellement la peur me faisait battre le cœur… J’ai aperçu la boîte de cigares… je l’ai ouverte…
— Bon… Et après ?
— Après. Je suis retourné dans ma chambre. J’ai bu de l’eau et je me suis étendu sur mon lit pour récupérer, tellement je me sentais las…
Je le regarde. Un peu de pitié remue en moi. Au fond, c’est de la graine de bourgeois. Pas mauvais, il a vécu son aventure et elle le marquera toute la vie.
Précipitamment il sort une liasse de billets de sa poche.
— Voilà le reste ! J’ai dépensé cent cinquante francs environ… Pour m’étourdir…
— C’est ça… J’aimerais que tu me racontes les choses exactement comme elles se sont passées… Lorsque tu es entré dans la chambre, tu ne t’es aperçu de rien ?
— Mais non… Ah ! si, il y avait une drôle d’odeur…
— De poudre ?
— Oui, ça doit être ça…
— Tu n’avais pas entendu le coup de feu, de ta chambre, quelques heures auparavant ?
— Non… Mais ça n’a rien d’étonnant, mes fenêtres donnent sur la rue… Avec cette circulation…
— Et dans la chambre, rien à signaler ?
— Je vous ai tout dit.
— Je parie que non, réfléchis… Le téléphone n’a pas sonné ?
Il a un mouvement brusque.
— Ah ! oui, c’est vrai… C’est ce qui m’a le plus fait peur… Je n’osais pas bouger. Le patron est allé à l’escalier… J’ai cru qu’il allait monter, alors j’ai pris la communication.
Les potes, c’est ici que les Athéniens s’atteignirent. Tout ce turf n’avait pour but que d’arriver à cette minute cruciale. Depuis mon enquête au Mont-Chauve j’ai pigé que le gars Philippe était allé dans la chambrette du pape pour faucher et non pour seringuer et que c’est lui qui a répondu au coup de tube de Pauvel.
Je savoure le moment et sa délicatesse.
— Prends bien ton temps et pèse tes mots avec un pèse-lettres, je murmure. Que t’a dit le correspondant ?
Tuyé pige la gravité de la chose. Il ferme les yeux, se recueille. Un peu de couleur lui revient. Je le considère et je pense que, sans barbiche, il doit avoir l’air d’un petit chat mouillé. Paris ne lui vaut rien, à ce chéri… C’est de l’alcool trop fort pour lui. Il ferait mieux de prendre un ticket de retour pour son bled natal où son vieux vend des tracteurs ou fabrique de la limonade…
— Voilà, fait-il, appliqué au maxi ; c’était un homme. Il semblait pressé. Il a dit : « Paul ? » J’ai émis un grognement… Il a ajouté « Ici Marc »… J’ai grogné à nouveau… Il a dit très vite : « Les événements ont l’air de se précipiter, je donne l’ordre d’agir, prends tes dispositions »… Et il a raccroché.
— C’est tout ?
— Absolument tout…
Je me répète la phrase : « Ici Marc, les événements ont l’air de se précipiter, je donne l’ordre d’agir, prends tes dispositions. »
Conclusion : Pauvel et Brioux étaient intimes puisqu’ils s’appelaient par leur prénom et se tutoyaient. Ils préparaient un coup ensemble. Un coup sur le point de se réaliser. Et il y avait quelqu’un : l’homme au costard bleu, qui mettait de sérieux bâtons dans les roues.
— Bon…
A voir, à étudier, à mijoter…
Je saisis le petit Tuyé par la cravate et le soulève à demi de sa chaise. Du gauche je lui file une mandale en pleine poire, puis un revers, puis encore une mandale avec son revers… Il est cramoisi, des tavelures bleues apparaissent sur sa frite. Il chiale.