Выбрать главу

— Ecoute, je lui dis. Je vais te donner un bon conseil, petit homme : tu vas raser ta barbe, faire la valise et retourner chez tes vieux. Prends le métier de papa et fais de la peinture le dimanche, ça a réussi à un douanier, y a pas de raison que ça rate pour un marchand de robinets… Marie-toi, fais des gosses et tâche d’être honnête… Si tu ne suis pas ce programme à la lettre, je t’envoie en cabane jusqu’au restant de tes jours. Et surtout ne fais plus de galop, compris ?

Il ne pense plus à la friction que je lui ai administrée. Seule miroite dans son crâne la douce liberté qu’il est sur le point de recouvrer.

Il me regarde avec des yeux de greffier amoureux d’une tranche de mou.

— Allez, barre-toi ! dis-je… Et fais gaffe à ton casier. Une fois qu’il est taché, il ne peut plus servir.

CHAPITRE XIV

CHAPEAU !

A peine le barbichu est-il quimpé que Georgel rapplique. Il tient à la main un grand sac en papier tout gonflé. Et il a l’air d’un mec qui a trouvé le moyen de remplacer le beurre par une passe magnétique.

— Quoi de nouveau ? je lui fais.

Il brandit le sac en papier.

— Triffeaut n’a jamais porté de chapeau, dit-il. Voici celui qu’on a trouvé sur son cadavre. Il est trop grand de deux pointures et légèrement usagé, preuve qu’il a été porté. Ce n’était donc pas le sien !

Pour la première fois il commence à m’intéresser, ce bon garçon. Ce détail du chapeau revêt un intérêt exceptionnel. Pourquoi la victime en était-elle coiffée alors qu’elle n’en avait jamais porté de son vivant ? Mystère et constipation !

J’examine le bada, c’est un bitos gris perle qui sort de chez Tronchard (le galure qui fait jacter la frite), slogan connu et justifié… S’il pouvait la faire parler, la hure à Triffeaut, on en apprendrait plus long… Mais maintenant, faudrait convoquer le Bon Dieu d’urgence pour lui rendre la parole, à l’assureur. Là où il est, on n’en bonnit plus beaucoup !

— C’est bien, dis-je à Georgel. Tu as marqué un point, fiston.

Du coup, le raisin lui monte à la tête, mais, comme disait mon adjudant, il n’en rougit pas.

— C’est pas tout, dit-il…

Et il brandit triomphalement une photo représentant Pauvel en train de monter dans sa voiture : une Talbot Grand Bidule !

— Par exemple, j’ai pas celle de Brioux, je suis pas arrivé à avoir son adresse !

Je rigole.

— T’occupe pas de ça, moi je l’ai eue…

— Ah ! bougonne-t-il, déçu…

Il prend ça pour une vanne. Je le réconforte d’un sourire gentil. Mais ce Georgel a le plus sale carafon de l’arrondissement. Il sort France-Soir de sa poche et va le ligoter dans un coin. Sur ces entrefaites Mignon se pointe, la brioche en avant, la braguette mal boutonnée avec des taches de graisse plein sa baveuse.

— Et alors ! s’écrie-t-il, les événements se précipitent, à ce qu’il paraît ?

Il a recouvré toute sa bonhomie. Il ne se caille pas le sang, ce cher garçon ! Il est peinard dans son burlingue, à étudier des rapports. Toutes les cinq minutes il descend liquider un glass au troquet du coin… Le biberon, la jaffe, c’est ses deux mamelles de la France ! Paraît qu’il se lève la nuit pour se faire des œufs au lard ! C’est Bérurier qui m’a affranchi, il est payé pour le savoir, car il brosse Mme Mignon, une sacrée pétroleuse à ce qu’on raconte ! Une de ces gerces qui a un volcan en éruption dans sa culotte !

Je lui relate les différentes phases de l’affaire.

— En résumé, fait-il après avoir passé sa patte en gant de boxe sur sa frite, Pauvel, quoi qu’il en dise, était en cheville avec Brioux. Ensemble ils préparaient quelque chose qui va se réaliser. L’homme en bleu clair n’est pas de leur bord puisqu’il les massacre ! C’est lui qui a certainement descendu Triffeaut. Quel rapport existe-t-il entre l’assureur, son assassin et le tandem Brioux-Pauvel ? Voilà ce qu’il ferait bon éclaircir…

— Evidemment, dis-je, c’est le nœud de toute l’histoire !

— Sans parler de la première victime : la femme Permezel…

— Celle-là, fais-je, je vais m’en occuper dès demain ! Je ne suis pas mécontent d’avoir procédé par ordre, je crois que cette journée a été assez fructueuse, non ?

— Tu parles !

— Pas de nouvelles de l’homme à la Lancia ?

— Non. J’ai fait diffuser son signalement et celui de la voiture. Il est malade, ce type, de zigouiller les gens au volant d’une voiture aussi repérable ! L’ira pas loin, c’est recta…

— Espérons. J’aimerais bavarder avec lui !

Ce mot « bavarder » le met en liesse, Mignon. Il imagine le topo. Les bavardages, c’est comme qui dirait sa spécialité. Il est devenu Principal, non avec sa tête, mais avec ses mains. Les beignes qu’il distribue ont le don de rendre loquaces les zigs issus d’un croisement entre une carpe et un sourd-muet, c’est dire !

Sur les portugaises, il cogne ! On n’y pense pas, et pourtant c’est efficace. Lorsque les manettes s’enflamment, on a la tête qui commence à bouillir !

Il y a aussi la question du chapeau, je murmure. C’est mystérieux, non, ce type qui vient se faire buter tête nue et qu’on retrouve coiffé d’un bitos trop grand pour sa pipe ?

— Si… L’affaire est intéressante, dit-il gourmand. Amenez-moi seulement un type et je le ferai parler…

— D’accord… Mais ne brusquons rien.

— Ce Pauvel, on n’aurait pas intérêt à le cueillir tout de suite ? Son coup de téléphone à Brioux est un motif suffisant pour que nous le qualifiions de suspect.

Il se frotte les paluches.

— Et y en a pas deux comme moi pour transformer les témoins en suspects et les suspects en coupables…

— Je sais… Pourtant je persiste à croire que Pauvel nous est plus utile libre qu’arrêté. Et puis c’est un genre de type peu intimidable, Georgel peut vous le dire…

— Hmm, hmm, grommelle Georgel…

— Avec moi, assure Mignon, tout le monde est intimidé.

Il fait virevolter lourdement ses pattes d’éléphant. On dirait de gros oiseaux de proie. Of course, quand elles atterrissent sur un portrait, ça fait du dégât et ça incite à la soumission…

— Rien ne presse, en tout cas, assuré-je, histoire de couper court.

— D’ac… On descend en biberonner un ?

Je regarde ma montre. Elle dix six plombes et des…

Mon rancart avec la petite secrétaire est pour huit heures.

J’ai le temps.

— Allons-y, je soupire. On a en effet droit à du réconfort en bouteille. A force de marner, on finit par oublier qu’il existe des Martini-gin.

Mignon se lève.

— Vous ne craignez pas les courants d’air ? je lui demande.

— A cause ?

Je lui désigne sa braguette.

— Parce que votre magasin est ouvert…

Il se marre et la boutonne.

— Pas de danger pour la caisse, fait-il, le vendeur est à l’intérieur.

DEUXIÈME PARTIE

NUIT BLANCHE

CHAPITRE XV

ANNETTE

J’ai conservé de mon adolescence une fraîcheur d’esprit vraiment hors concours. Ainsi, lorsque je vais à un rembour, mon palpitant bat sur un rythme particulier. Je suis zému, parole ! Comme un collégien. Vous ne trouvez pas, vous autres, que c’est émouvant de rencontrer une femme ? J’entends : pour la première fois ? On se fait des idées, on bâtit, on l’idéalise, on mouille moralement. Bien sûr, je vous sors des tartines auxquelles vous ne pigez rien. Des emmanchés comme vous autres, pour qu’ils comprennent les grands sentiments, faudrait les rééduquer dans une école pour mous-de-la-tronche !