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Enfin, ça fait plaisir de s’extérioriser, même devant des pots de géraniums ovipares ! Au fond toute la vie est ainsi : on montre ses richesses voilées à des gens ou à des choses indifférents.

Tenez, mon avantage principal, mon… Vous voyez ce que je veux dire ? Eh bien ! c’est à des murs que je l’ai fait voir le plus souvent ! Malheureux ? Non. Quand on pense à toutes les dames qui lâchent dix points pour s’installer devant une toile où on leur passe, à plat et en noir, la bouille de Michel Simon ! Oui, c’est triste !

Ah ! un premier rendez-vous ! C’est ce qu’on fabrique de mieux en matière de sensations doucereuses. La rencontre ! Chacun prend les mesures de l’autre. « Tiens j’avais pas remarqué qu’elle avait une tache de vin dans le cou… »

Et puis on se quitte, on se retrouve, la routine commence. Saloperie ! Le voilà bien le vrai chancre de l’humanité ! La grande bouffeuse d’illusions ! Le cancer de la poésie… Le morpion de la liberté…

La routine ! Avec ses habitudes grises, son accablante permanence ! Son prévu, son inéluctable… La routine, immuable, perfide, moisie, corrosive ! La routine et ses traites acceptées, ses oui sacramentels, ses bains de pieds du dimanche, ses un-an-et-un-jour, ses neuf mois, ses cinquante-deux semaines, sa chiotte de calendrier, son horloge parlante ! Au quatrième top il sera l’heure de vous faire tartir, l’heure de jouer à papa-maman, l’heure d’y aller du cigare, l’heure de mener les mouflets at the public school.

C’est sur ces pensées pessimistes que je débouche au Pam-Pam de l’Opéra. La boîte est comble. Beaucoup d’étrangers. Le quartier Opéra avec les Champs-Zé, c’est la m… pour ça : tous les Ricains, tous les Englishes, les Scandinaves, les Teutons hantent ces lieux. Ils sont désemparés par le Gross Paris et ils mijotent dans les lumières. Des fois qu’un apache leur planterait un portemanteau dans un coin d’ombre ? Y a des trucs plus cotons qui ne sont jamais arrivés !

J’avise la secrétaire de Pauvel, assise tristement au fond de la première salle, anxieuse. Elle guette farouchement la lourde. Probable qu’elle doutait de ma venue car, lorsque mes quatre-vingts kilos s’encadrent dans le tambour, elle a un sursaut d’allégresse et son vitrail s’illumine.

Elle s’est foutue sur son 31, la donzelle. Et vraiment elle vaut qu’on cloque la montre du grand-vieux au clou pour la sortir. Elle porte un tailleur jaune avec un col de panthère-imitation, qui lui va à ravir. Je sais pas si je vous l’ai dit, mais elle est rousse, plutôt acajou, et ça va admirablement avec ses flamboyants verts.

Pour les formes, ayez confiance, un aveugle retrouverait son chemin sur sa géographie… Quant à son tiroir-caisse, il est tellement bath qu’on ne peut plus regarder ailleurs lorsqu’on l’a repéré.

— J’avais dans l’idée que vous ne viendriez pas, murmure-t-elle en me tendant la main.

— Pourquoi, je suis à l’heure, non ?

— Oui, c’est moi qui étais en avance…

Je me dis qu’elles le sont toujours, la première fois ; seulement après, dès qu’elles ont mesuré le bonhomme, on peut venir au rendez-vous avec de quoi tricoter ou les mots croisés de Favalelli.

Je lui débite les salades d’usage : à savoir qu’elle est ravissante, qu’elle se loque avec un goût inouï, que son parfum est d’une rare délicatesse et qu’à côté d’elle, B.B. c’est zéro.

Elle gobe tout ça comme une demi-douzaine de fines belons et se trémousse vachement. Je me serre tout contre elle sur la banquette, nos deux chaleurs font bon ménage. Une cuisse de fille contre la vôtre ça vaut tous les tricots Rasurel du monde ! Parole d’honneur ! Et l’honneur, je sais ce que c’est : j’en ai eu quand j’étais jeunot !

Bien entendu, sa première question est pour s’enquérir de mon blaze.

— Vous avez un drôle de nom, je me rappelle, dit-elle, vous êtes étranger ?

— Non, mon grand-père seulement, il était savoyard. Vous savez ? Les petits ramoneurs qui ont une échelle dans le dos et qui ressemblent à des pingouins !

Elle se gondole.

— Vous êtes farceur… Dites, quel est votre prénom ?

— Antoine, dis-je, c’est pas cochon, hein ? Mais vous pouvez m’appeler Tony : ça fait con mais toutes les filles aiment ça !

— Moi pas, déclare-t-elle. Antoine est beaucoup plus joli.

— Et vous ?

— Je m’appelle Annette.

— Dites, ça fait Musset, vous ne trouvez pas ? J’en mangerais !

Elle minaude…

— Ce que vous êtes farceur. Quelle est votre profession ? Représentant, je parie ?

— Tout juste !

— Qu’est-ce que vous représentez ?

— Des parapluies, dis-je…

— Ne vous moquez pas de moi !

— Oh ! ne parlons pas de boulot, Annette. Si on s’offrait plutôt une soirée d’oubli ? Tenez, je connais un petit restaurant champion, rue de l’Arcade : Chez Max ! Le champion du homard Thermidor et du poulet en brioche…

Ces mots la font saliver. Elle se rapproche encore de moi parce qu’elle prend de l’estime. Un gnace qui vous propose tout cru de jaffer du homard, c’est quelqu’un à considérer. Et, entre nous et la gare de Lyon, elle me considère, Annette…

— On va boire un whisky, je propose.

— Oh ! non, c’est trop fort.

— Pensez-vous !

Mon plan, c’est de la faire écluser sec. C’est le plan de tous les Français qui sortent une pépée, notez bien ; mais j’y ajoute une intention particulière. Je me dis que l’alcool délie les langues, or j’ai tellement de choses à apprendre sur Pauvel !

On écluse deux glass et je lui demande si elle est prête. Elle cramponne un joli imper en nylon arachnéen et se lève.

En deux temps trois mouvements, on est dans le tapis de mon pote Max, le roi du homard Thermidor ! Max c’est un zig vachement à la page. Il a vite fait de prendre vos mesures. Un petit coup de saveur et il pige tout. Quand je débarque avec mon lot, il se précipite. Prudent. Il risque pas de me refiler mon titre ou même de me reconnaître. Il attend.

Je lui fais un petit clin d’œil et j’annonce la couleur :

— Salut, Max ; on pourrait dîner ? J’ai eu une journée chargée en clients et ça m’a foutu les crocs. Dans la représentation, on fait tintin pour le repas de midi un jour sur un !

Max nous conduit à une table au fond de la salle, juste derrière le vaste aquarium où des poissecailles exotiques cherchent à se bouffer la rate dans un grand chatoiement de couleurs délicates.

— Je vais vous dorloter, dit-il… Voulez-vous me laisser faire ?

— On peut lui voter la confiance, j’affirme à la poulette.

— Je n’en doute pas, minaude-t-elle.

— Bon, fait Max, alors je vous annonce une truite aux amandes et un canard à l’orange, qu’en dites-vous ? Pas la peine de vous combler l’estomac avec des amuse-gueule. Pour déguster, faut avoir faim… Derrière les fromages, je vous réserve une de ces pâtisseries dont vous n’avez aucune idée !

— Gi go, Max !

La souris déclare qu’elle va aller se passer un peu de flotte sur les salsifis. Elles disent toutes ça lorsqu’elles vont gauler.

— Dis donc, plaisante Max, tu l’as pêchée chez Christian Dior, cette gamine ? Tu ne vas pas t’embêter !

Cette prédiction énoncée, il se trisse vers ses marmites.

Les vins sont toujours de première bourre chez Max. On vide une bottle de blanc et on attaque gaillardement le canard avec devant soi une poussiéreuse bouteille de Pommard. Ne serait-ce que pour la rime !