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Je stoppe ma tire devant le 12… C’est un immeuble normal, assez modeste.

La lourde obéit à une pression de bouton. Je me dis qu’à ces heures, si je dois interviewer la concierge, ça fera un drôle de ramdam dans la strass… Seulement faut que je sache où crèche le sieur Bolak.

Heureusement, il y a un panneau des blazes sur la vitre de la loge. Je branche la minuterie et je lis : « Bolak, troisième gauche. » Je soupire parce que ça m’aurait arrangé qu’il crèche au rez-de-chaussée, le frère. Je peux plus arquer à c’t’heure, mes bons frangins. J’ai les cannes qui répondent plus à la commande. Le nerf moteur a une panne de circuit ! Faudra me faire des injections de ciment armé dans les flubes pour me remettre à neuf !

En soupirant je m’engage dans l’escadrin. Pas d’ascenseur, nature ! Ça serait trop bath ! Cramponne-toi à la rampe, Dudule, y fait du vent ! Les alizés, comme disent les mecs qui ont de l’érudition jusque dans la braguette.

Je m’époumone. Où ce qu’il est, l’athlète complet, je me le demande ? Une partie de quatre jambons et le voilà scié ! Sans blague, je vieillis, les mecs… A trente-cinq berges c’est malheureux, faut réagir… C’est pas encore la ménopause tout de même, si ?

Je me hisse jusqu’au troisième… Un rai de lumière filtre sous la lourde de gauche et un ronron de conversation me parvient. Je colle mes étiquettes contre la lourde, mais je suis marron, pas moyen d’entraver une broque de ce qui se bonnit céans !

J’hésite… Ça me permet de reprendre mon souffle.

La minuterie s’éteint. Juste j’ai eu le temps de repérer le bouton de sonnette. J’appuie dessus, un coup long d’abord, puis deux coups brefs.

Aussitôt c’est le silence. Je veux que ça n’est pas une heure pour rendre des visites de politesse et que ça doit un peu les asphyxier, les collègues.

Enfin une voix demande, derrière la porte :

— Qu’est-ce que c’est ?

— De la part de Pauvel, je dis…

Un bruissement de clé dans une serrure bien huilée et un rectangle de lumière orangée me tombe sur le râble.

Dans l’encadrement il y a un type petit et large avec une tête qui vous éviterait de lui demander l’heure à minuit dans la forêt de Saint-Germain.

Il a des yeux pointus, une bouche en guidon de course et un nez légèrement aplati. Tout ce qu’il faut, quoi, pour se faire répondre « Complet » par les portiers des grands hôtels.

Il me jauge avec un air neutre légèrement allumé par la curiosité.

— Qu’est-ce que vous voulez ? demande-t-il…

— J’ai un mot pour vous, de la part de Marc Pauvel…

Il renifle.

— C’est bon, donnez…

Je sors la lettre de ma fouille et je la lui tends. Il s’en empare avec précaution comme s’il s’agissait d’une vipère rouge.

Il s’aperçoit que l’enveloppe a été ouverte, fronce le sourcil et me dit :

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Ben… Une lettre, vous voyez.

— Décachetée, hé ?

— Ouais, le patron s’était aperçu qu’il avait oublié de signer…

— Il y a marqué « pneumatique » dessus ?

— Il avait l’intention de la poster…

— Et il a changé d’avis ?

— C’est ça.

— Pourquoi ?

— Pour que ça aille plus vite, réponds-je, étourdiment.

Il mord sa lèvre inférieure.

— S’il l’avait postée en pneu, je l’aurais eue avant sept heures et il est plus de minuit…

Vous le voyez, ce citoyen ne s’en laisse pas conter. Mais malheureusement j’ai de la matière première sous le couvercle.

— C’est ma faute, je dis. J’avais oublié cette lettre. C’est au moment de me coucher que je l’ai trouvée, juste en me déshabillant… Alors, je l’ai ouverte pour voir si ça pressait tellement… Comme on parlait de quelque chose pour huit heures, je me suis dit qu’il fallait la porter tout de suite.

— Ah ! oui ?

— Oui…

— Je croyais que c’était Pauvel qui l’avait décachetée ?

Je prends la mine emm… d’un gars en faute.

— J’ai dit ça comme ça…

J’essaie un rire frêle, peu convaincu et surtout peu convaincant.

— Personne tient à se faire enguirlander, vous comprenez ? Si vous étiez un chic type, vous ne diriez pas au patron que… Il est tellement soupe au lait, il serait capable de me virer… Et j’ai trois gosses, mon bon monsieur…

Le regard pointu comme des passe-laines du bonhomme me transperce. Il attend quatre secondes et dit :

— Ça va, entrez, je vais vous préparer une réponse…

Je le suis à l’intérieur de la cambuse. Ce qui me saute aux châsses, c’est le dénuement du coinceteau. Pas lerche de meubles et le papier peint pisseux se gondole comme les spectateurs de Charlie Chaplin.

On suit le couloir de bout en bout.

A l’autre extrémité il y a une pièce éclairée.

— Entrez ! invite le type large d’épaules.

J’entre.

L’homme au complet clair est assis devant un flacon de brandy.

CHAPITRE XIX

CORRIDA

Pour une surprise, c’est une surprise.

Je crois rêver. Puis je me dis que je me goure peut-être. Mais non, l’individu ressemble trop à ce que j’imaginais. Il correspond admirablement au signalement que le gardien du parking et Gilberte la demi-morue m’en ont fait.

Il est court, très brun, avec une petite cicatrice blanche à l’angle du pif.

Il se soulève en me voyant et il a un geste qui est le geste de tous les truands de la terre. Prompto il porte la main à sa poche…

— Ça va, dit l’homme qui m’a ouvert.

Le petit bonhomme au costard bleu me dévisage.

— Qui est-ce ? demande-t-il.

— Un employé de Pauvel…

Elle avait raison, Gilberte, c’est l’accent corsico qu’il a, l’assassin de Brioux.

— Qu’est-ce qu’il veut ?

Bolak jette la lettre sur la table. L’autre s’en empare et la ligote d’un trait.

— Ah ! bon, fait-il, il est devenu raisonnable à ce que je vois ? Eh bien ! d’accord, perdons pas de temps, plus tôt on aura le truc, mieux ça vaudra.

Bolak est tout rêveur et je ne sais pourquoi j’éprouve une impression assez pénible, celle qu’on ressent lorsqu’on casse la croûte au pied d’un mur qui va tomber.

— Un instant, fait-il…

Il décroche le biniou et compose un numéro.

Ça grésille un bon moment avant que l’interlocuteur lointain ne réponde. Enfin il y a un déclic et un grésillement.

— Pauvel ? demande l’homme aux larges épaules.

— … Ici Bolak.

Je frémis. Mes actions ont l’air d’être en baisse, les gars. Faudrait peut-être que je me tienne à carreau, si je veux finir des jours heureux en cultivant le fraisier dans une riante campagne de l’Ile-de-France.

Votre employé vient de m’apporter votre lettre, dit-il. Je vois que vous êtes venu à composition. C’est bien ça.

Jusqu’ici rien n’est perdu. L’orthographe des mots ne s’entend pas toujours… Ainsi « employé » se prononce de la même façon au masculin qu’au féminin…

Pauvel Marc doit exprimer sa surprise car Bolak fait des « Hmm hmm ». Enfin ce dernier dit :

— Il paraît qu’il avait oublié de poster le pneu…

J’ai les fesses qui font bravo. « Il », ça c’est du masculin, et un masculin singulier à cette heure. Pourvu que Pauvel ne bute pas dessus.

A la frite de Bolak, je pige que oui.