Je tombe en arrêt devant un immense panneau à l’intérieur duquel s’étalent les diplômes de Pauvel.
Je vous l’annonce, il devait être vachement orgueilleux, le mec ! S’il avait eu la Légion d’honneur, il se la serait accrochée de partout, jusqu’à ses slips. Il aurait plus eu besoin de se fringuer, ça serait devenu son vêtement naturel.
— M… ! s’exclame irrévérencieusement Georgel.
— Et alors, Chinois vert, je lui fais, tu t’oublies !
Il ne se donne même pas la peine de jouer la pudeur.
De son doigt noueux comme une échine de chèvre, il me désigne un objet posé sur le bureau. Cet objet est haut d’une vingtaine de centimètres. Il représente une espèce de Diane avec des ailes en train de courir. Le truc est en acier chromé. Au-dessous, il y a, à la place du socle qui normalement devrait s’y trouver, un pas de vis.
— Le même machin que tenait l’assassin en sortant ! affirme-t-il.
Là je tique. J’empoigne l’objet et je le regarde, sans parvenir à définir son utilité. Ça n’est pas un objet d’art à proprement parler. Les objets d’art on ne les fait pas en acier, et puis ils n’ont pas de pas de vis en guise de socle !
— Tu es sûr ? je demande…
— Oh ! certain… Je peux pas m’être gouré. Vous avez remarqué, il y a un réverbère municipal juste devant la porte de l’usine. Ça brillait, ça m’a attiré les regards et j’ai z’eu le temps de voir…
Je soupèse l’objet, le tourne, le retourne… C’est du massif et ça va chercher son kilo comme une plume !
— Tu as une idée de ce que c’est, toi ?
— Non, avoue-t-il.
J’attrape un grattoir et racle la Diane, histoire de me rendre compte si, en réalité, elle ne serait pas en or ou en platine recouvert d’une couche de chrome. Mais non, c’est du bon acier…
— Dis voir, je fais, plus pour extérioriser ma gamberge que pour lui faire la conversation, sur quoi ce machin-là peut-il se visser, à ton avis ?
Prompte et très personnelle, la réponse me vient :
— J’sais pas !
Je m’empare du téléphone et je sonne le grelot de Mignon. Un matuche à la voix péremptoire m’annonce que le commissaire principal est allé se balancer dans les plumes depuis deux bonnes heures.
— Eh bien ! réveillez-le, je fais, j’arrive à son bureau… Dites-lui que ça urge.
Je raccroche.
— Toi, reste ici, dis-je à Georgel… Fous-toi dans ce fauteuil et écrases-en tandis que je vais alerter les services compétents.
Il ne demande pas mieux… Il s’abat dans un pullman avec la grâce nonchalante d’une feuille morte en plomb.
Je file. La citrouille me fait plus mal que jamais. J’ai des lancées sauvages à l’arrière et des machins rouges rigolos continuent de tourniquer devant mes châsses. Ah ! je m’en souviendrai, de cette bon Dieu de nuit blanche !
Je m’annonce au burlingue de Mignon cinq minutes avant ce dernier. Ses boy-scouts commencent à radiner. Il y a dans un coin de la pièce, anéanti sur un fauteuil canné, un type malingre au regard fiévreux dont la bouille est bosselée comme un chaudron qui aurait insisté pour descendre par l’escalier les trois étages de la Tour Eiffel.
— Qui est-ce ? je demande à un inspecteur qui dactylographie lentement sur l’Oliver de Charlemagne.
— Un frangin qui a suriné la bistrote de la rue des Martyrs. Le patron l’a interrogé toute la noye. C’est un coriace, mais il a fini par s’allonger…
Il est pas reluisant, l’assassin. Il a les châsses fermées, le pif éclaté, des bosses partout et il lui manque des poignées de cheveux…
L’un des inspecteurs ricane :
— Va falloir lui refaire une beauté avant que la presse radine. Ces salauds-là vont encore dire qu’on emploie des méthodes honteuses !
Il se marre…
— Comme s’il y avait un autre moyen de les faire chanter, ces arcans !
Mignon radine, des valoches de clown sous les yeux, la bouche amère, l’air assez vaseux, merci !
— Vous alors ! trompette-t-il, vous n’avez pas de pitié pour les canards boiteux ! M…, j’ai passé la nuit à boulonner et à peine je viens de me glisser dans le paddock que vous me faites lever !
— Moi aussi j’ai passé la nuit, dis-je… Mais je filais pas des jetons, au contraire, j’en réceptionnais ! Biglez-un peu la came !
Je lui montre mon aubergine.
— Pas beau, fait-il, qui vous a fait ça ?
Je lui raconte posément les événements de la nuit. Quand j’en arrive au meurtre de Pauvel, il pousse un barrissement triomphant.
— Qui est-ce qui avait raison, San-Antonio ? Je voulais qu’on l’embarque hier.
— Là n’est pas la question, je dis… Vous aviez peut-être raison, mais rien ne prouve qu’il aurait parlé tout de suite, il aurait fallu plusieurs jours. C’était pas le genre de gars à se laisser fabriquer. Il aurait demandé l’assistance d’un avocat…
Je pose sur son bureau le sujet d’acier chromé.
— Voilà ce que l’assassin de Pauvel est venu chercher chez lui. Tout au moins, un machin similaire. A votre avis, qu’est-ce que c’est que ça ?
Il hausse les épaules…
— Allez savoir…
Ses hommes font cercle.
L’un d’eux pousse-un petit sifflement.
— Moi, je crois savoir, dit-il… C’est le bouchon de radiateur d’une bagnole de maître…
On se tait. D’un seul coup, ça paraît si évident à tout le monde que chacun se traite d’enflure pour ne pas y avoir pensé plus tôt.
— Un bouchon de radiateur…
— Oui, fait Mignon, probablement.
— Et c’est pour ça qu’on a tué quatre personnes ?…
J’en suis sur le prose. Non, avouez, les gnaces, que ça vous en bouche une drôle de surface portante !
Un bouchon de radiateur ! Pourquoi pas un bouchon de carafe ? Et il est en acier… Il vaut deux sacs chez le marchand d’enjoliveurs rococos !
Je consulte ma montre… Elle dit sept heures vingt-cinq. Je deviens nerveux.
Je me racle les profondeurs et j’attaque :
— Ecoutez tous, faites un peu travailler votre matière grise… Un des truands qui a buté trois personnes pour ce bouchon de radiateur m’a dit en crevant que je penserais à lui sur le coup de huit heures, ce matin. Depuis hier, à plusieurs reprises il a été question de huit heures… Y a-t-il quelque chose de prévu pour ce moment-là ?
Ils se consultent, hochent la tronche.
Le gars qui dactylographie la déposition de l’assassin se lève…
— Ben, fait-il, y a l’arrivée à Orly du ministre des Affaires étrangères russe qui est prévue pour huit heures moins le quart…
Je bondis…
— Qu’est-ce que tu racontes ?
Il me tend son baveux.
— C’est pas moi, voyez sur le Parisien.
Evidemment, c’est en first page et ça fait même un drôle de boum because le bonhomme vient assister à une vache de conférence sur le désarmement ce qui, paraît-il, est bon signe pour la Grande Paix !
Son zoziau se pose à moins le quart (heure française). Le Premier ministre français va l’attendre avec l’ambassadeur d’U.R.S. S… Bref, c’est le grand bidule…