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Nous aimerions parler à M. Pauvel, dis-je en lui refilant mon regard ténébreux des grands jours, celui qui fait fondre les bombes glacées et exploser les autres.

— C’est de la part de qui ?

J’hésite. Quand vous annoncez que vous êtes de la rousse, ça fout la perturbation dans le secteur et les plombs sautent automatiquement.

— C’est personnel, fais-je enfin.

Elle a une moue contrariée.

— M. le directeur est très occupé et je ne pense pas qu’il vous reçoive ainsi.

— Essayez toujours, dites que c’est important.

Elle hoche la tête et plante une fiche dans un trou.

— M. Pauvel, dit-elle du ton qu’ont à la synchro les standardistes des films amerlocks, il y a là deux messieurs qui vous demandent…

Elle écoute, déférente comme si son boss pouvait la voir. A son attitude, je comprends qu’il ne doit pas être commode.

— Ils disent que c’est important.

Elle écoute encore, et se tourne vers nous.

— M. Pauvel demande votre nom…

— San-Antonio, fais-je.

Elle répète. Mais le Pauvel doit être un mauvais coucheur.

La mignonne tourne vers moi un visage navré.

— M. Pauvel dit…

— Qu’il n’a pas de temps à perdre et qu’il veut en savoir plus long ?

Elle rosit, ce qui lui va fort bien du reste.

— Oui…

Ecoutez, les mecs, je ne sais pas ce qui se passe dans ma centrale quelquefois, mais il me vient brutalement des idées qui, a priori, peuvent sembler Olé Olé.

— Dites que nous venons de la part de M. Paul Brioux…

Pourquoi ai-je balancé le blaze du pape lucyférien ? J’en suis le premier surpris.

Georgel me tire par la manche.

— Qui c’est ? demande-t-il…

— T’occupe pas…

La donzelle transmet le message.

Elle fait :

— Bien, M. Pauvel, et elle débranche. Vous allez être reçus, dit-elle.

Contente, la souris. Elle m’a à la chouette et elle considère l’acceptation de son patron comme une victoire personnelle. Je sens mon battant qui se précipite. Ça cogne dur mon coffrage. Merde arabe ! voilà qu’on retombe sur la piste initiale, celle des tordus de Lucyfer ! J’en suis sidéré.

La môme sort de son box et passe devant nous en ondulant du prose au point que ça me flanque le vertige.

— Suivez-moi, fredonne-t-elle.

— Jusqu’au bout de la terre, renchéris-je.

Par-dessus son épaule elle me décoche une œillade qui ferait exploser un thermomètre.

— Les dirigeants ne sont pas psychologues, dis-je. S’ils étaient marles, ils flanqueraient un petit lot comme vous au lieu d’un drapeau devant leurs armées pour les faire avancer. Au lieu de ça, les gentilles Vénus, ils les laissent à l’arrière ; fatalement ça incite au recul.

Ma salade l’émoustille. Tout en me guidant à travers les couloirs dallés de carreaux gris, elle glousse, la charmeuse.

— Qu’est-ce que vous faites ce soir ? je lui demande…

Georgel, mécontent, tousse, artificiellement. C’est bien son genre. C’est le gars qui doit foutre du poil à gratter dans le lit des jeunes mariés et qui calce sa bonne femme en pensant à Lollobrigida.

— Pourquoi ? fait la môme, en réponse à ma question.

— Parce que j’ai peur de la solitude et qu’on doit avoir du plaisir à sortir une enfant comme vous.

— Vous alors, déclare-t-elle, illico familière… Vous allez vite !

— Que voulez-vous, je suis victime du système solaire : une journée n’a que vingt-quatre heures et il n’y en a qu’une trentaine par mois…

Elle a ralenti, ce qui indique que nous sommes devant la lourde du patron.

— Pensez à ma proposition, je murmure… Vous me donnerez votre réponse en sortant. Il paraît qu’ils ont un programme sensass à La Rose Rouge.

Ulcéré par mon baratin, Georgel tousse comme un perdu. Je lui balance une claque dans le dos qui l’incurve comme le toit d’une pagode.

— Fais gaffe ! lui dis-je gentiment. A force de carcasser, tu vas glavioter tes éponges sans t’en rendre compte !

— Entrez ! invite la poupée.

CHAPITRE VII

DU NEUF

Je ne veux pas vous faire tartir avec de la philosophie à l’eau de vaisselle, mais je peux vous dire qu’il est toujours émouvant de rencontrer un zig auquel on cherche à arracher des lambeaux de vérité.

Inconsciemment, on se demande la gueule qu’il a et, en se demandant ça, on ne peut pas moins faire que de l’imaginer.

Pauvel, pour moi, c’est dans ma pensée un type costaud avec des lunettes cerclées d’or et des tempes qui grisonnent.

Eh bien ! mes fesses. Il est grand, certes, mais mince. Il a dans les quarante carats, mais il est blond chauve, avec un front pâle, des yeux pâles, des sourcils pâles et un nez pointu. Avec ça un air pas commode qui le ferait classer dans les peaux de vache de la Société. Vous voyez le paysage ?

Il se tient derrière un bureau large comme la place de la Concorde, sur lequel s’entassent des dossiers multicolores. De chaque côté de son sous-main se trouve un appareil téléphonique et devant lui, s’élève un bloc d’ébonite qui semble être dégringolé de la planète Mars et qui doit servir à interpeller les différents services de la taule car il est pourvu d’un micro.

Pauvel écrit encore deux ou trois mots au bas d’un bloc avant de lever la tête, comme il l’a vu faire dans les films par les acteurs jouant les hommes d’affaires !

Son regard est pareil à celui d’un turbot mayonnaise : froid, fixe, figé.

— Il est surpris par mon physique, ça se voit. Il doit avoir une conception spéciale, très spéciale même, des mecs qui se pointent de la part de Brioux.

Il désigne deux chaises.

J’en accapare une.

Et il attend, peinard derrière son immense bureau, que je l’ouvre. Rien de plus déroutant qu’un gnace qui vous bigle avec des châsses de poissecaille sans l’ouvrir.

Je tousse, pour me donner le temps d’ordonner ma gamberge.

— Je viens de la part du pape, fais-je d’un ton extra-sérieux.

Il approuve du chef pour m’inviter à poursuivre.

— Vous connaissez Brioux, n’est-ce pas ?

— Oui…

Je pousse un soupir d’aise.

— Un curieux homme, n’est-ce pas ?

Il reste immobile. Son regard va de Georgel à ma pomme, lentement. On dirait qu’il est crispé, aux aguets… Et qu’il se méfie.

Enfin il l’ouvre, et sa voix ressemble à ses yeux : elle est basse, grise, un peu gluante dans les syllabes.

— Qui êtes-vous ?

— Commissaire San-Antonio. Et voici l’inspecteur Georgel de la Criminelle.

Il accuse le choc sans broncher. Simplement, sur son visage passe une espèce de fugace rictus qui veut dire : « Je me doutais d’un coup fourré. »

J’ajoute, en tirant sur le pli de mon bénard :

— Mais je n’ai pas décliné mon identité à votre standardiste car je sais que les employés sont toujours prêts à se monter le bourrichon et à colporter des ragots stupides…

— Aucune importance, lâche-t-il. Que puis-je pour vous ?

— Simplement me dire depuis quand vous connaissez Brioux et où vous l’avez connu…

— En quoi ces détails vous intéressent-ils ?

— Si vous permettez, je préfère poser moi-même les questions.