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Je vais pousser mon avantage, mais la sonnerie de son standard grésille. Elle décroche vivement et dit « Allô » comme il se doit ! Son visage marque une légère hésitation.

— Oui, monsieur Pauvel…

Un regard à mégnace. Le dirlo lui demande si nous sommes partis.

Elle écoute encore :

— Vaugirard 11–51, très bien…

Elle compose fébrilement le numéro. Elle passe la communication à son boss et revient à nos moutons.

— Bon, où ? fait-elle.

Voilà qui est jacté net.

— Ça vous dirait, le Pam-Pam Opéra à huit heures ?

— D’accord !..

Elle ajoute :

— Vous ne me poserez pas de lapin surtout ? J’habite la banlieue et…

— Est-ce que j’ai une tête à poser des lapins à des jeunes filles sérieuses ? dis-je sans respirer.

Elle me dévisage en souriant.

— Non, reconnaît-elle.

— Alors à ce soir.

Je sors en me disant que ma visite à Pauvel n’aura pas été inutile…

CHAPITRE VIII

LE COUP DE CHAPEAU

Georgel m’attend en frappant le trottoir d’une semelle rageuse. Mes salades à la souris l’ont écœuré et il a cet air buté et malheureux d’un cador qui, après avoir filé le train deux jours à une chienne en chaleur, regarde un autre se la farcir vite fait.

Je lui mets la main sur l’épaule.

Moi, par contre, je suis d’une excellente humeur. Ça fait plusieurs jours que je n’ai pas eu l’occase de chambrer une pépée et je me régale à l’avance.

— Alors, Georgel, qu’est-ce que tu penses de ça ?

— Vous avez du succès auprès des femmes, grommelle-t-il. Et vous ne mettez pas beaucoup de temps pour en descendre une !

— Je ne te parle pas de ça, mon chéri. Je te demande ce que tu penses de Pauvel ?

Je lui pose la question pour l’honorer d’un semblant d’intérêt. Ce qu’il pense de Pauvel m’indiffère vertigineusement.

— Il a l’air de cacher quelque chose, dit Georgel.

— Ah ! tu l’as senti aussi ?

Il me regarde de ses pauvres châsses fanées qui protesteront toujours contre les injustices de la vie.

— Pourquoi que je l’aurais pas senti ?

Je ne lui dis pas : « Parce que t’as une gueule à renifler les catastrophes une fois qu’elles sont arrivées… » Faut pas trop le chambrer, ce poulet d’amour. Sa bile tournerait en vitriol et il en crèverait, comme un crapaud crève de rage.

— Tu vois que j’avais raison de venir ici…

Je poursuis, pour moi tout seul :

— Triffeaut, homme minutieux, a noté un rendez-vous avec Pauvel pour le 16 à 11 h 30. Mais ce rendez-vous — si je puis dire — paraît à sens unique car on n’en trouve pas trace sur le bloc de Pauvel. Triffeaut s’est fait buter à onze heures et des poussières. Pauvel ne devait pas être à son burlingue à cet instant. Faudra vérifier son alibi en loucedé — s’il en a un…

— Ouais, fait Georgel.

Nous grimpons dans ma tire pour la énième fois et je mets le cap sur le centre.

Georgel s’acagnarde contre la portière ; il rabat son feutre sur ses yeux ainsi que procèdent les tueurs patentés et se perd dans ce qu’on est bien obligé d’accepter comme des réflexions.

Moi, je poursuis mon petit turbin de déduction. Je le fais à haute et intelligible voix car ça permet d’entendre énoncer les couenneries éventuelles.

— Pauvel connaissait Triffeaut, et il connaît Brioux… Il est donc bien le lien entre le mort du parking et les lucyfériens… Lien qui, jusqu’à maintenant, n’existait que par l’image hérétique…

Je me tourne brutalement vers mon coéquipier et je lui aboie dans le naze :

— Pas vrai ?

Il sursaute et laisse tomber son mégot dans sa braguette. Il le biche avant l’incendie qui priverait Mme Georgel des maigres avantages de son époux.

— Pourquoi que vous criez comme ça ? reproche-t-il…

— Pour rien… Tu n’aimes pas les farces ?

Il ronchonne :

— J’sais pas ce que je vous ai fait, vous m’avez pas à la bonne…

Un peu de pitié s’allume en moi.

— Les mariages sont difficiles à leurs débuts, dis-je. Le nôtre traverse cette période, mon amour… Ensuite, tu verras, faudra une lampe à souder pour nous séparer…

Il a un sourire fugace.

— Où qu’on va ? demande-t-il…

— Au parc à voitures des Galeries, pourquoi ?

— J’y suis déjà t’été…

— Tu es allé partout, je sais… Mais comme disait Pasteur, à moins que ce ne soit le président Auriol : quat’z’yeux valent mieux que deux et, tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin elle fait des petits…

Je stoppe devant le bureau de poste de la rue de Rennes où nous nous sommes arrêtés précédemment.

— Quoi ? fait mon collègue…

— Même opération, dis-je.

— Faut encore que j’aille chercher une adresse ?

— Oui, mais au lieu de partir d’un nom, tu vas partir d’un numéro de téléphone. Va voir à quoi correspond Vaugirard 11–51.

— Je passe ma vie aux Postes, ronchonne-t-il.

— Le facteur sonne toujours deux fois… C’est connu.

Il hausse les épaules de bouteille Perrier et fait Pschitt !

Je jubile, les mecs, jamais affaire criminelle ne s’est présentée sous de si heureux auspices. (Ça vaut ceux de Beaune.)

D’ordinaire, j’ai toujours des démarrages pénibles, ça se tortille comme un peloton de ficelle dans les pattes d’un chat, mais là c’est du gâteau. Tout ce que je tripote s’affermit dans les pognes. Je tiens un fil qui m’a l’air aussi solide qu’un câble de grue. A propos de grue, je crois que j’ai fait une affaire avec la pépée de chez Pauvel. « Mécanique de précision ! » Tu parles ! C’est de la belle marchandise et qui ne doit pas trop rouscailler quand on lui file la paluche au condensateur… Et avec ça, employée d’un gars qui m’intéresse. Vous pigez ?

Georgel revient.

— Tu as le tuyau, fiston ?

— Ouais, Vaugirard 11–51, c’est le biniou de l’Hôtel du Mont-Chauve, 1, rue Jacquemaire-Clemenceau.

— Note ça sur un morcif de papelard, ça nous servira ultérieurement.

Il note. Je pédale comme un forcené. Il est onze plombes — c’est-à-dire just the time auquel a été buté ce vieux Triffeaut, et j’aimerais voir à quoi ressemble le parking des Galeries à cette heure-là…

Il est très vaste. L’entrée se trouve boulevard Haussmann. Un mec en uniforme vous refile un biffeton rose moyennant deux cents points et un autre vous indique le coinceteau où remiser votre bahut. Après quoi vous pouvez aller vadrouiller dans le secteur. Si vous faites une emplette aux Galeries Lafayette, les deux cents piastres vous sont remboursées. C’est astucieux. Ça encourage le commerce.

Ensuite vous n’avez plus qu’à venir récupérer votre soucoupe que vous évacuez par la rue de Mogador.

Georgel me met au parfum des usages. Je trouve la combinaison intelligente et je me dis que le tuyau me servira lorsque j’amènerai Félicie, ma brave femme de mère, dans les grands magazes…

Nous fendons la foule dense du trottoir et pénétrons dans le parking. Je laisse flotter les rubans exactly comme si j’étais un quidam ordinaire.

On me refile un ticketon rose. L’employé en détache une partie qu’il glisse sous un des balais de mes essuie-glaces, et un autre zigoto s’annonce pour faire ranger mon tréteau.

Lorsque je suis garé, je lui allonge un pourliche comme il se doit. Ça prédispose aux bonnes relations. Puis je le retiens par le brandillon.