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Brusquement je me suis pétrifié. J’ai senti de la glace dans mes membres. Il arrive que le corps réagisse avant l’esprit devant un danger ou un fait insolite. Là, mon corps s’est cabré bien avant que j’en aie compris la raison.

J’ai saisi la brosse à cheveux de Mina et je l’ai examinée avec attention. Il restait des cheveux entre les crins, naturellement. J’en ai réuni quelques-uns que j’ai étudiés de très près.

En général, lorsque des cheveux sont teints, ils conservent près de la racine leur couleur naturelle. Et cette couleur se développe au fur et à mesure que pousse le cheveu ! C’était ce phénomène que j’observais dans le cas présent. Et s’il me bouleversait tellement c’était parce qu’il me révélait une chose extraordinaire : les cheveux gris de Mina étaient d’un blond-roux près de la racine. Conclusion : elle se teignait. Et elle se teignait « à l’envers » si je puis dire, puisque étant d’un beau blond, elle se muait en un vilain gris.

Je ne savais pas très bien encore ce que signifiait cette découverte, mais je comprenais confusément qu’elle était grave.

Très grave !

CHAPITRE VII

Inutile de vous dire combien ce soir-là le repas a été triste et même pénible. Pour la première fois nous étions trois à table dans la maison. Dominique, sermonné par sa mère, dégrisé aussi par ma gifle, mangeait du bout des dents sans nous regarder.

Avant le dessert il s’est levé et a regagné son lit dans la grande salle.

— Je suis navrée, Paul…

— Hmm ?

J’ai regardé Mina d’un œil incertain. Je ne me rappelais plus l’incident avec Dominique. Je ne pensais qu’à ma découverte concernant ses cheveux…

— Je te demande d’être clément…

— Oh ! oui… N’en parlons plus…

— Nous vivons à une époque où la jeunesse… se… se cherche, comprends-tu…

— Le hic, c’est qu’elle espère se trouver dans des bouteilles de scotch…

— Il faut comprendre combien notre mariage a affecté sa vie…

— Ça n’est tout de même pas un bébé… Moi, à vingt-trois ans…

— Ne le juge pas d’après toi, mon chéri… Il y a des hommes de quinze ans et des gamins de soixante…

— Très bien, j’essaierai de ne pas l’oublier.

— Je voulais aussi te demander de faire un sacrifice, Paul. Je te le demande au nom de l’amour merveilleux que j’ai pour toi…

Elle a quitté sa chaise et elle est venue s’asseoir sur mes genoux. J’ai senti le contact de ses cuisses chaudes, sa bouche a parcouru la mienne comme un frisson…

— D’accord, ai-je dit, prévenant sa requête, il n’a qu’à rester ici autant qu’il le voudra…

Ça l’a décontenancée. Elle m’a pris la tête dans ses mains pour me forcer à la regarder. Mais ses yeux m’échappaient un peu car il y avait des éclats dansants dans les verres de ses lunettes.

— Tu en souffres, Paul ?

— C’est moins compliqué que cela, il m’agace un peu… Quand on a sa vie à faire, sa position à assurer, on ne reste pas blotti dans les jupes de sa mère. Je m’excuse de te dire ça à toi, justement, à toi la mère, à toi SA mère, mais c’est plus fort que moi…

— Oui, tu as raison, Paul. Nous allons attendre quelques jours et puis nous le chapitrerons…

— C’est ça…

Elle m’a embrassé ardemment. Personne ne savait embrasser mieux qu’elle. Ses baisers étaient de véritables actes d’amour.

— Je te remercie, Paul… Tu verras, les choses vont rentrer dans l’ordre, après… après nous serons heureux…

— Oui, Mina, heureux…

Elle a eu un sourire voilé.

— Enfin, si Dieu me prête vie…

La menace de sa mort m’a fait mal partout.

— Mina, tu ne te soignes pas !

— Mais si…

— Je ne t’ai jamais vue prendre de remède.

— Parce que je ne dois les prendre que cinq jours par mois…

— Tes médicaments sont ici ?

— Bien sûr, dans ma valise… Tiens, ça me fait penser que mon traitement reprend demain…

— Tu allais oublier ?

— Mais non !

— La preuve : tu ne t’en souvenais plus…

— Je me le serais rappelé demain.

Elle s’est mise à desservir. Mes yeux se sont portés sur sa chevelure.

— Mina…

Elle tenait une pile d’assiettes à la main. Elle allait sortir.

— Mon chéri ?

— Je voudrais te demander pourquoi…

Pour la deuxième fois depuis que je la connaissais, j’ai senti grelotter en moi une petite sonnerie d’alarme.

— Me demander quoi, Paul ?

J’ai haussé les épaules.

— Non, rien…

— Mais si, dis…

— Pff… Des bêtises…

Elle est sortie. Alors a commencé pour moi ce que j’appellerai ma période de réflexions…

Ou, pour être plus précis, ma période de déductions.

*

Tandis qu’elle achevait de débarrasser la table, je ne la quittais pas des yeux. Je l’imaginais blonde, je l’imaginais sans ses lunettes et vêtue de façon plus moderne… J’arrivais à constituer un être qui n’avait qu’un lointain rapport avec ma femme. Je pensais à son corps parfait. Lui, du moins, ne m’avait pas abusé… C’était le corps d’une très jeune femme !

— Non, n’enlève pas la bouteille de vin, Mina !

Elle m’a souri.

— Tu as soif ?

— Très soif !

C’était vrai. J’ai bu coup sur coup deux grands verres de bordeaux. Ça n’a rien changé à ma soif, mais ça m’a donné un petit coup de fouet… Je pensais beaucoup de choses à la fois et c’était difficile de les coordonner. Voyons, j’avais essayé ses lunettes et je m’étais rendu compte que c’étaient des verres banals. Elle les prétendait filtrants, mais cela me paraissait peu probable, rien dans son regard ne laissant supposer une faiblesse quelconque.

Cette question de lunettes n’offrait pas grand intérêt, en soi, mais joint aux autres indices…

Voilà que j’employais les sales mots. Indices ! On accumule des indices dans quel but ? Pour étayer une culpabilité. Or Mina se serait rendue coupable de quoi ? De s’être vieillie… Cette accusation aurait fait rire n’importe qui ! N’importe qui sauf moi !

J’ai cherché pourquoi elle aurait voulu faire plus vieille qu’elle ne l’était… Je me suis souvenu alors que j’avais prétendu avoir quarante ans sur mon annonce. Si celle-ci avait retenu son attention il était logique qu’elle ait cherché à correspondre à l’être que je cherchais… De toute façon elle avait bien quarante-deux ans, ses papiers en faisaient foi !

— Tu ne viens pas te coucher, Paul ?

Il y avait une promesse dans sa voix. J’ai laissé tomber mes inquiétudes.

Ç’a été une très belle nuit.

*

Le lendemain, Dominique a pris possession de la troisième chambre car il ne pouvait décemment bivouaquer plus longtemps dans la salle de séjour.

Son installation au premier a stoppé les nouveaux débordements amoureux de Mina. Le voisinage immédiat de son fils l’a littéralement paralysée. Le « peintre » semblait plein de bonnes résolutions. Il m’a fait des excuses et a tâché de se rendre utile. Pour commencer, il a entrepris de travailler le jardin. Toute la journée il s’est activé au dehors, fauchant les ronces et les orties et retournant la terre des massifs…