Выбрать главу

Il s’est produit pour moi un phénomène analogue à ce moment-là. À la seconde où j’ai constaté que le flacon ne contenait que de l’eau j’ai été vraiment réveillé. Je me suis dégagé sans presque le vouloir du sortilège Mina… Du moins de ce que maintenant j’appelle le sortilège Mina.

Tous ces détails insolites qui me faisaient seulement sourciller avant cet instant ont revêtu leur pleine signification et une lumière crue m’a éclairé l’esprit. Oui, une lumière… Une intense lumière impitoyable, contre la cruauté de laquelle ni les subtilités de l’intelligence, ni les fioritures du cœur ne pouvaient lutter.

J’ai posé lentement le flacon sur la coiffeuse et j’ai regagné le couloir, silencieusement. Je percevais une sorte d’étrange murmure dans la chambre de Dominique… C’était indistinct, ouaté et rauque… Mina se trouvait chez son fils. J’ignore ce qu’ils se disaient et j’aurais donné gros pour l’entendre. Je me suis dit que si cette conversation nocturne m’échappait, les autres me seraient moins étrangères. Instantanément j’étais devenu d’une froide lucidité et un plan machiavélique commençait à prendre forme dans mon crâne.

Une fois dans ma chambre, j’ai éteint la lumière et, l’oreiller très remonté, les mains jointes sur mon ventre, je me suis mis à penser dans le noir.

Jusque-là, tout n’était que mensonges autour de moi. Dominique ne s’était pas donné d’entorse. Mina portait des lunettes factices qui ne servaient à rien ! Elle avait des cheveux gris alors que les siens étaient blonds. Elle affectait de soigner une maladie de cœur qui n’existait pas puisque la bouteille de médicament contenait de l’eau…

Ça, c’étaient les mensonges « palpables »… Ceux qu’on pouvait démasquer. Que je démasquais ! Mais il en était d’autres… des mensonges plus obscurs, plus graves… Je devais poursuivre le jeu… Ainsi, Mina prétendait m’aimer, et elle ne m’aimait pas. Elle m’assurait de sa reconnaissance et…

Une espèce de sueur glacée m’a mouillé le front.

Que voulait dire l’histoire de l’assurance-vie ? Pourquoi avait-elle souscrit cette importante police en mon nom ? Quel piège cachait-elle ? Alors je suis allé jusqu’au bout de la vérité. Elle était plutôt moche et ma peau l’avait devinée avant moi. C’était elle qui me faisait suer ce froid !

La police était destinée à me faire tester en faveur de Dominique. J’ai été abasourdi par une aussi savante machination. Il fallait que Mina possédât une profonde psychologie pour manœuvrer de cette façon indirecte. Elle m’avait jaugé. Elle avait compris que j’étais un brave type, droit, candide… Elle s’était dit que je serais bouleversé en apprenant sa soi-disant maladie.

J’aurais des scrupules à accepter cette police, je chercherais à la compenser… Et il n’existait qu’un seul moyen de le faire, comprenez-vous ? Ce moyen, elle m’avait amené, par la bande, à le proposer moi-même. Oui, elle avait réussi le tour de force de m’en laisser l’initiative…

J’ai eu quelque difficulté à avaler ma salive. Mon cœur cognait à toute volée et emplissait le silence. Il m’étourdissait de son fracas.

Depuis sa première lettre, elle n’avait eu qu’une idée en tête : faire établir un testament en faveur de son fils. Bon, la chose était faite… Seulement, et c’était là que mes cheveux se hérissaient sur mon crâne, je n’avais guère qu’une douzaine d’années de plus que Dominique… Ce qui revenait à dire que normalement mon décès ne serait pas tellement éloigné du sien… Donc, si cette femme était allée jusqu’à m’épouser pour m’arracher ce testament, c’est parce qu’elle savait que je mourrais bientôt.

Je me suis dressé sur mon lit, la poitrine creusée par la peur.

Je suis allé ouvrir plus largement la fenêtre…

La campagne dormait sous la lune. On apercevait au loin, entre les branchages déshabillés par l’automne, le miroitement de l’étang dont je vous ai parlé… Le ciel était bas, pommelé. Et la brise sentait la mort.

La mort !

Mina savait que je mourrais bientôt parce qu’elle avait projeté de me tuer ! Elle et son fils étaient deux assassins.

Maintenant que les formalités étaient remplies, je devais disparaître. Elle n’allait pas continuer de payer une grosse prime d’assurance pour rien… Ce que ces deux-là combinaient, en ce moment, dans l’ombre, près de moi, c’était ma mort. Ça n’allait pas être facile de me tuer. Si mon décès semblait suspect, les soupçons se porteraient fatalement sur eux, puisqu’ils en seraient les bénéficiaires…

Je suis retourné à mon lit. Je tremblais. J’avais peur, une peur démesurée. Pas de la mort, non… Mais d’eux.

Je ne me suis endormi qu’au petit jour, après avoir entendu chanter les coqs des métairies.

*

Lorsque je suis descendu, Mina encaustiquait le salon. Elle portait un tablier de soubrette qui lui donnait je ne sais quel petit air frivole…

Elle m’a souri d’un air heureux et elle est venue m’embrasser sur la bouche. Par la fenêtre, j’apercevais « l’autre » qui continuait ses travaux de jardinage, manches retroussées, en chantant à tue-tête une couennerie en vogue.

— Alors, monsieur le paresseux, a dit Mina, savez-vous l’heure qu’il est ?

— Non !

— Onze heures… Ça s’appelle faire la grasse matinée !

— Je n’ai pas fermé l’œil, ai-je murmuré en détournant les yeux…

Elle m’a caressé la joue.

— C’est ta petite femme qui t’a manqué, Paul ?

J’avais envie de la mordre, comme un chien mord un autre chien. Mais elle n’a pas pris garde à mon air féroce.

— Domino non plus n’a pas beaucoup dormi… Je crois que le temps était à l’orage…

— Vraiment !

— Oui, il a fait des cauchemars, à un certain moment, il geignait, figure-toi. J’étais tellement inquiète que je suis allée le réveiller…

À cet instant, j’ai été pris d’un doute. Il faisait soleil, il y avait des cris d’oiseaux plein le ciel. La vie était chaude et crépitante… Oui, je doutais de mes déductions de la nuit. N’avais-je pas construit une machiavélique histoire ? Un mauvais feuilleton d’épouvante ?

Le fait qu’elle m’avouât s’être rendue dans la chambre de son fils me fortifiait dans cette idée…

— Ton petit déjeuner est prêt… Veux-tu que je le serve dehors, sur la table de jardin ? Comme ça tu pourras profiter du soleil…

Était-ce les paroles d’une femme qui se préparait à vous trucider ?

Je l’ai regardée attentivement.

— Qu’as-tu, mon chéri, s’est-elle inquiétée, tu sembles bizarre…

Je me suis forcé à protester.

— Mais non, Mina… Je suis un peu abruti, voilà tout…

Et je l’ai embrassée. Mais j’étais moins sensible aux ondes de son corps, moins réceptif…

*

L’après-midi, elle m’a demandé de faire une promenade avec elle dans la campagne, mais j’ai refusé, alléguant que j’étais fatigué. Elle est donc partie seule. Dominique continuait de travailler le jardin. Il chantait toujours la même chanson bête avec une conviction totale et une voix de fausset presque émouvante.

Alors, me sentant seul dans la demeure, je suis allé chercher au grenier mon magnétophone. En Afrique, je m’étais amusé à enregistrer les bruits de la forêt, des chants nègres et le crépitement féroce de l’eau durant la saison des pluies… Ici, ces bruits me semblaient morts… Ils avaient perdu leur âme…