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J’ai posté ma lettre à l’aéroport et me suis fait reconduire à Paris. J’ai choisi un petit hôtel paisible près de la gare de Lyon et je me suis mis sérieusement au travail.

*

À vrai dire, je ne savais pas trop par quel bout commencer. J’avais peur de faire un pas de clerc ou de donner l’éveil à la police. Il ne m’intéressait pas de voir l’affaire devenir publique et se terminer devant un tribunal.

J’étais persuadé que je devais explorer la situation objectivement avant d’entreprendre quoi que ce soit.

J’ai pris une feuille de bloc dans mon nécessaire, un stylo, et, à plat ventre sur mon lit d’hôtel, j’ai jeté des notes agrémentées de petits dessins ridicules. Dans cette pièce anonyme et archibanale, je me sentais délivré du maléfice Mina.

Ces murs au papier gonflé par l’humidité me protégeaient mieux que des remparts. J’avais tout mon temps pour étudier le problème et le résoudre.

Qu’avais-je de positif dans cet énoncé ? Un homme dont je ne pouvais mettre en doute l’identité, puisqu’il s’attendait à hériter de moi : Dominique Grisard. Officiellement, j’avais bien épousé sa mère, mais puisque Mina était sa maîtresse, qu’était alors devenue sa véritable mère ? Elle n’était pas morte, car on l’aurait rayée des listes d’état civil… C’était cela le vrai problème… J’ai eu un instant l’idée de m’adresser à une agence de police privée… Seulement, je risquais de leur faire découvrir le pot aux roses. Je me suis alors souvenu que Mme Grisard (je préférais l’appeler ainsi plutôt que Mina) n’était pas veuve mais divorcée. Donc son « premier » mari vivait encore. En dirigeant les recherches sur lui, je ne risquais pas de les faire dévier sur l’étrange couple qui avait jeté son dévolu sur moi.

Je n’avais guère confiance dans ces officines privées spécialisées dans l’adultère et dont, trop souvent, le principal souci est de vous soutirer le maximum d’argent pour le minimum de renseignements.

J’allais cependant me résoudre à requérir les bons offices de l’une d’elles, lorsque je me suis souvenu qu’un de mes condisciples avec lequel j’étais très lié était chef de cabinet du préfet de police.

Après quelques hésitations, je lui ai rendu visite. Il m’a reçu dès que l’huissier lui eut passé ma carte. Ça faisait une quinzaine d’années que je ne l’avais pas revu.

Il avait pris du ventre et perdu ses cheveux.

— Ça me fait rudement plaisir de te revoir, a-t-il dit mollement en me tendant une belle main grasse de fonctionnaire bien nourri.

— À moi aussi, Vincent…

— Tu sais que tu n’as pas changé ?

— Flatteur !

— Non, ma parole ! Tu aurais peut-être un peu maigri, non ?

— Je ne peux te retourner le compliment !

Il ne s’est pas offusqué de ma remarque. Il a au contraire caressé son ventre avec satisfaction. Il en était aussi fier que de ses hautes fonctions.

Nous avons échangé un petit résumé de nos vies respectives, après quoi il a discrètement louché sur sa montre.

— Il faut que je te dise tout de suite, Vincent, ma visite était intéressée…

Il a attendu, en homme habitué aux requêtes de toute espèce.

— Je suis comme Diogène, mon petit vieux : je cherche un homme. J’ai pensé que tu pourrais me brancher directement sur un service compétent.

— Un homme ? a-t-il répété, vaguement surpris.

— Oui.

— Pourquoi ?

— C’est un garçon qui devait pas mal d’argent à ma famille… Je n’espère pas le faire payer après tant d’années, mais j’aimerais pourtant avoir un entretien avec lui.

Il s’est emparé d’un stylo et a tiré une pile de circulaires périmées au dos desquelles il prenait des notes.

— Vas-y, je t’écoute…

— Il s’agit d’un certain Évariste Grisard… J’ignore sa date de naissance et, naturellement, son adresse. Tout ce que je peux ajouter comme précision, c’est qu’il a épousé une demoiselle Anne-Marie Maupuis dont il a eu un fils prénommé Dominique… Voilà, c’est tout…

Vincent a complété ses notes, puis il s’est levé, me signifiant par là que l’entretien était terminé.

— Donne-moi ton adresse, tu auras les renseignements d’ici la fin de la journée, sauf imprévu…

— Pas possible ?

— Ben voyons, quelle conception te fais-tu de la police ?

J’ai laissé mon adresse à l’hôtel et il a paru surpris que je sois descendu dans un établissement de troisième zone. Là-dessus, j’ai pris congé de lui et je suis allé au cinéma pour essayer de me changer les idées. Mais des idées comme celles qui m’encombraient le cerveau sont difficiles à chasser. Elles sont pareilles à ces vers de bois qui forent leurs trous dans les meubles et n’en sortent plus jamais.

La superproduction en couleurs que je visionnais flottait devant mes yeux comme un drapeau bariolé. Je n’arrivais pas à suivre l’action et, à la sortie, j’aurais été incapable de dire si la vedette était brune ou blonde ou si le jeune premier avait un pied bot.

Je suis allé manger des fruits de mer et j’ai regagné mon hôtel. Je l’ai trouvé moins accueillant que dans la journée.

Jamais je ne m’étais senti aussi désabusé. Le destin m’avait joué un très vilain tour avec ce mariage. J’en venais à regretter la vie de Bakouma. Décidément, j’aurais dû demeurer là-bas, quitte à cracher mon foie par petits morceaux… Paris m’était pénible… Je me sentais dévasté ; en moi il n’y avait que des décombres noircis.

J’en voulais au sort plus qu’à Mina et à son gigolo… Oui, je lui en voulais d’avoir profané mon innocence, ma loyauté…

J’étais un être droit, simple, entier… Cette garce m’avait révélé le véritable amour, et en quelques jours tout s’était écroulé. Je demeurais plus effroyablement seul qu’avant, avec l’horrible sentiment de gêner les autres au point qu’ils veuillent me tuer.

Car, en somme, ma vie leur était désormais intolérable. Elle se dressait entre eux et ma fortune et ils n’auraient de cesse avant de me l’avoir ôtée… À moins, bien entendu, que je ne parvienne à prendre l’avantage. Mais pour cela il me fallait des armes. Puisque je savais et que j’avais du temps, je pouvais organiser ma vengeance patiemment.

J’ai eu envie de whisky, tout à coup. Cela m’arrivait de plus en plus rarement depuis que je souffrais du foie.

Je suis allé à l’épicerie fine la plus proche et j’ai eu la chance de trouver un flacon de whisky irlandais, le plus digeste à mon avis.

Je m’en suis versé un plein verre à dent et j’ai avalé d’un trait cet alcool étrange. Ça m’a presque fait l’effet d’un crochet à la mâchoire. Je n’ai eu que le temps de m’écrouler sur le lit. Terrassé par les insomnies et l’émotion, je me suis endormi comme une masse.

*

La sonnerie du téléphone m’a tiré du sommeil. C’était un grelottement plutôt qu’une sonnerie. Ça m’a vrillé l’entendement et je me suis dressé, affolé comme par l’imminence d’un danger, le corps trempé de sueur.

J’ai décroché à tâtons, car ma chambre était ensevelie dans l’obscurité ; seule, une enseigne spasmodique, dans la rue, y projetait par intermittence une lueur soufrée…

La voix de la caissière, en bas, a retenti :

— On vous cause de la Préfecture de Police…

J’enrageais, car j’avais les idées embrouillées et je n’arrivais pas à me dépêtrer de cette brume épaisse qui noyait ma compréhension.

J’aurais voulu, avant de prendre la communication, aller me plonger la tête dans l’eau, mais c’était trop tard. Une grosse voix dure demandait :