— Alors ? a demandé Blanchin…
C’était une abdication sans conditions.
— Prenez un crayon et notez vous-même son nom et son adresse…
Il m’a obéi. Des gouttes de sueur dégoulinaient sur les ailes de son nez.
Je lui ai dicté l’identité de Dominique. Ensuite je l’ai repris par son bouton de gilet.
— Maintenant, écoutez-moi, Blanchin… Vous avez carte blanche quant à la façon de procéder. Tout ce que je vous demande, c’est que ce soit terminé avant huit jours, compris ?
Il a hoché la tête…
— Oui, mais… J’aimerais tout de même savoir… Comment…
— Si j’étais à votre place, mon cher monsieur, je n’irais pas par quatre chemins. Je prendrais une assurance tous risques pour ma voiture. Je déboulonnerais un peu l’arbre de transmission et un jour, au vu et au su de tout le monde, je rentrerais dans l’intéressé à forte allure… En faisant les choses officiellement vous vous éviterez bien des complications, non ? Un constat, un retrait momentané de permis de conduire, au pire des maux, et… ce serait tout !
Mais je ne voulais plus insister. Après tout, qu’il se débrouille !
— Dès que j’apprendrai le… résultat de votre intervention, je vous posterai la lettre… Bonsoir…
Je me suis aperçu que le bouton de son gilet m’était resté dans la main. Je l’ai déposé sur la table en murmurant :
— Excusez-moi !
CHAPITRE XVI
J’avoue que j’étais désorienté en regagnant Paris.
J’avais mis toute ma volonté à convaincre Blanchin, mais maintenant qu’il avait accepté, je réalisais pleinement ma culpabilité. Je devenais un assassin. Certes, j’avais de sérieuses circonstances atténuantes et le sort réservé à Dominique était mérité, mais il n’en était pas moins vrai que j’allais tuer un homme par personne interposée…
C’était beaucoup moins grisant que je ne le supposais au début. Pourtant, il me suffisait d’évoquer Mina, la vraie Mina, radieuse et belle, pour chasser de mon cœur tous ces scrupules…
Je voulais savourer ma vengeance et je voulais surtout qu’elle me fût profitable. Je l’avais méritée. N’avais-je pas eu, au commencement de cette incroyable aventure, les meilleures intentions du monde ? Les plus nobles ? De victime je devenais justicier, c’était régulier, presque logique.
J’ai câblé encore à mon camarade de Bakouma en lui dictant le texte d’un message qu’il devait signer de mon nom pour annoncer mon retour.
Ensuite j’ai passé deux jours à Paris en tâchant de m’étourdir un peu. J’étais délivré du mal d’orgueil qui me tenaillait « avant » ma visite à Blanchin. J’étais exalté par l’amour sombre et farouche que Mina m’inspirait. J’allais la conquérir après avoir éliminé Dominique… L’imminence du triomphe me grisait.
Je suis arrivé chez moi par le car, un après-midi. En poussant le portillon, j’ai failli chanceler… Rien n’avait changé. Si je n’avais été certain de ma raison, j’aurai pu croire que j’avais fait un cauchemar… Elle était là, sur le perron, telle que je l’avais vue la toute première fois, avec ses cheveux gris, ses lunettes, ses légères rides aux paupières qu’elle devait se faire en s’obligeant à plisser les yeux… Elle était l’image de la paix, l’image du bonheur familial… Une vraie gravure pour revue sur couché !
Elle cousait un ourlet à un rideau…
Je me suis immobilisé dans l’allée, elle a dressé la tête et un air de joie intense a éclairé sa figure fatiguée.
Elle a posé son ouvrage sur le dossier de la chaise et a dévalé les quatre marches du perron.
— Ô Paul ! Te voilà donc, mon cher amour !
Je l’ai prise contre moi. Je savais quel trésor j’étreignais à travers ce faux personnage de dame sérieuse… Je pensais à ce corps souple et parfait, à ce visage juvénile… Un trésor, oui… Un trésor qui ne m’appartenait pas encore mais que bientôt…
Je l’ai embrassée à pleine bouche. Son haleine avait une odeur de framboise…
— Mina, ma petite Mina… Tu verras comme nous allons être heureux…
— Tu as fait bon voyage ?
— Excellent.
— Tu dois être fourbu ?
— Assez, oui… Ça s’est bien passé pour vous ?
— Pas mal… Le temps m’a duré terriblement, tu sais ?
— C’est vrai ?
Elle mentait avec un aplomb monstre.
— Évidemment, c’est vrai. En douterais-tu ?
— Vous êtes restés ici ?
— Non, Domi a voulu aller voir un camarade à lui à Cannes, il a insisté pour que je l’accompagne…
J’appréciais la qualité du mensonge. Elle ne laissait rien au hasard et avait prévu le cas où je serais passé chez eux avant de venir ici…
— À Cannes !
— Oui, une idée de Domi, tu le connais ?
Je commençais, du moins. Il est arrivé, vêtu d’un pantalon noir et d’une chemise d’un rouge agressif.
— Tiens, voilà l’explorateur, salut, Paul, ça boume ?
Nous nous sommes serré la main.
— M’man vous a dit ? On a fait l’école buissonnière pendant que vous étiez en vadrouille…
Je le regardais parler, bouger, sourire et je pensais que sa mort était en marche… Il fallait que je l’envoie à Paris se faire tuer…
— Il paraît… Vous vous êtes bien amusés ?
— Oh, amusés… On a passé le temps, quoi !
— Vous êtes bronzés, on dirait ?
— Vous trouvez ? Le soleil d’octobre est pourtant faiblard, même sur la Côte…
Mina avait préparé à tout hasard un repas copieux…
J’étais tellement heureux de la retrouver que je me suis mis à table avec entrain ; c’est seulement en dépliant ma serviette sur mes genoux que j’ai entendu, infiniment lointaine, la sonnerie d’alarme. Puisqu’ils avaient résolu de me tuer avant mon départ et qu’ils avaient échoué, sans doute allaient-ils me tuer à mon arrivée. J’ai senti ma mort… Elle était là, dans cette pièce, assoupie comme un chat près du feu… Elle était là qui m’attendait… Une mort savamment échafaudée sans doute, bien dressée, bien mijotée, qui savait ce qu’elle avait à faire…
— Dites, à propos, vous avez récupéré la voiture, l’autre jour ?
— Bien sûr, que vous est-il arrivé ?
— Vous avez vu ? Un clou… La direction flottait, je me suis arrêté et j’ai vu que mon pneu avant gauche avait rendu l’âme… Comme j’allais le changer je me suis aperçu que la roue de secours ne valait pas mieux, heureusement que c’était l’heure du car…
— Qu’avait-elle, cette roue de secours ?
— La valve était décollée…
— Ah ! Quelle pommade ! Un peu plus j’étais chocolat…
Dominique a regardé Mina d’un air entendu.
— C’est vrai, a-t-il murmuré, un peu plus vous étiez chocolat…
Je l’aurais étranglé…
Mina a apporté des asperges en boîte… Elle s’est servie avant moi et Dominique après… Donc je pouvais y aller… Elle m’a passé la saucière contenant de la vinaigrette…
— Je vous en prie. Mina, après vous…
Elle a secoué la tête.
— Non, je les mange avec un filet de citron…
— Moi aussi, a renchéri Dominique…
J’ai pris une cuillerée de sauce… J’allais tremper une asperge dedans lorsque je me suis souvenu que la veille de mon départ, nous avions eu des artichauts au repas. Or tous les deux avaient employé une sauce vinaigrette pour les consommer.
Je me suis efforcé de prendre un ton indifférent.