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Notre mariage ressemblait à une escapade. Seulement « après » il n’y aurait pas de subterfuges possibles. Nous allions devoir rester face à face comme des presse-livres…

Nous n’avons pas dit trois mots jusqu’à Pithiviers. Ma femme restait immobile à mes côtés, regardant le paysage, et moi je faisais semblant d’être accaparé par la conduite.

Nous avons traversé la ville et alors je me suis rendu compte qu’il était midi passé et que nous avions faim.

— Nous nous arrêtons ici pour déjeuner ?

— Comme vous voudrez.

J’ai repéré une auberge drapée de lierre et j’ai rangé la voiture dans la vaste cour. C’était un établissement de classe comme il y en a tant, avec une enseigne en écriture gothique et des tas de machins en cuivre accrochés un peu partout.

Mina s’est assise. J’allais me mettre en face d’elle, mais elle a désigné un siège près d’elle.

— Venez plutôt à mes côtés, Paul…

J’ai hésité. Je me demandais si c’était une invite ou un ordre. Je tenais à ne pas mettre le doigt dans l’engrenage au départ. Mais elle me dédiait un si charmant sourire que je n’ai pas eu le courage de résister.

Elle portait une robe de lainage gris et un manteau taillé dans le même tissu que la robe. Elle avait mis un peu de rouge foncé sur ses lèvres et un nuage de poudre sur ses joues. Elle faisait vraiment jeune. Elle ressemblait plutôt à un professeur femme à qui on a confié une classe de garçons et qui essaye de se donner l’air sévère.

Nous avons commandé des cuisses de grenouilles et un faisan aux petits pois.

Mina s’est penchée sur son assiette. La fumée du mets a embué ses lunettes. Elle les a ôtées pour les essuyer. J’ai poussé une exclamation, tellement ça la rajeunissait.

— On vous donnerait dix ans de moins. Mina, sans vos verres…

— Hélas !…

Je lui ai pris les lunettes des mains et j’ai fait ce que tous les gens qui ne portent pas de lunettes font en pareil cas, je les ai posées sur mon nez.

— Vous allez écarter les branches ! a-t-elle protesté.

D’un geste preste, elle s’en est emparée… Je l’ai laissé faire, sourcils froncés.

— Dites-moi, ma chère Mina…

Elle avait récupéré son air grave et calme.

— Oui, Paul ?

— Vos verres sont de simples vitres qui n’altèrent pas une vue normale ?

— Apparemment, a-t-elle murmuré. En réalité, ils sont filtrants. Je ne suis ni myope ni presbyte, mais je souffre de conjonctivite. Si je ne portais pas de lunettes, au bout d’une heure, je ressemblerais à un lapin russe, avec le tour des yeux rouges… Vous aimez ça ?

Je me suis un peu forcé à rire, mais le cœur n’y était pas. Pour tout vous dire, je ne savais quelle attitude je devais adopter. Je redoutais d’avoir l’air idiot en jouant les tendres époux, car la façon dont nous nous étions connus invitait à beaucoup de retenue… D’autre part, mes gestes gourmés, je le sentais bien, me faisaient ressembler à un pasteur.

Nous avons peu parlé durant le repas et nous possédions un bon prétexte à ce mutisme : la chère était excellente. Seulement, une fois de retour à la voiture, j’ai senti qu’il fallait mettre pas mal de choses au point.

— Écoutez, Mina…

Elle a secoué la tête.

— Inutile, Paul, j’ai compris…

— Vous avez compris quoi ?

— Votre état d’esprit. Vous vous dites depuis Paris que vous avez commis une folie en m’épousant et si vous vous écoutiez vous me débarqueriez au bord de la route, non ?

— Non, Mina… C’est pas ainsi que ça se passe là-dedans…

J’ai flanqué des coups de poing hargneux sur mon front.

— Comprenez-moi. Je ne regrette pas de vous avoir épousée. Seulement, je ne sais pas… Je ne sais pas faire, vous saisissez ? Il y a une telle froideur dans notre mariage que…

Elle est restée sans rien dire un moment.

— Eh bien, Paul, nous ferons chambre à part !

Elle se méprenait, ça m’a fichu dans une rogne noire.

J’ai freiné brutalement et me suis rangé sur le talus.

— Idiote, c’est pas ça… Je… Au contraire, je…

J’ignore comment ça s’est fait. J’avoue ne plus me souvenir de rien.

Toujours est-il qu’un instant plus tard elle était renversée sur le dossier de la banquette avec mes lèvres rivées aux siennes, tandis que mes mains maladroites s’empêtraient dans les lourds plis de sa robe.

CHAPITRE V

Je ne vous parlerai pas des jours qui ont suivi notre mariage. Du moins pas trop. Ils ont été vraiment extraordinaires et je ne pense pas les oublier jamais.

Moi qui avais farouchement voulu un mariage de raison, je m’apercevais à quel point la réalité m’éloignait de ce sage désir. Mina, sous son extérieur pondéré et calme, était une tornade et jamais je n’avais connu de maîtresse aussi ardente. Nos étreintes me rendaient fou. Elle possédait le corps le plus parfait que j’eusse jamais vu ; un corps de jeune fille, souple, brûlant, lascif, qui m’entraînait aussi loin dans la volupté qu’il était possible d’aller.

Sans le vouloir, ou plus exactement, en ne le voulant pas, j’avais réalisé l’union parfaite. Je me disais que si c’était cela, le mariage, j’avais été un rude crétin en ne me mariant pas plus tôt.

La grosse Valentine, chez qui nous continuions d’aller, de temps à autre, histoire de nous aérer un peu, n’en revenait pas. Je crois bien qu’elle était un peu mortifiée de s’être si lourdement trompée dans ses prédictions.

Les promenades jusque chez elle constituaient nos seules sorties. Nous passions les neuf dixièmes de notre temps dans la maison blanche, à accommoder celle-ci au goût de Mina qui était très sûr. Mais c’est le lit qui nous accaparait le plus. Nous y passions toutes nos matinées et une partie de l’après-midi. Nous faisions des repas fins à des heures insolites. Ainsi il nous arrivait de faire bombance au milieu de l’après-midi ou tard dans la nuit. C’était une existence étourdissante. Je ne pouvais demeurer trois minutes sans Mina. Je ne me lassais pas de l’embrasser et de la prendre dans mes bras en lui chuchotant des folies. Malgré sa nature véhémente, elle conservait des pudeurs d’adolescente et, dans les instants les plus ardents de nos amours, elle gardait une sorte de savante retenue qui me fouettait le sang.

Cela a duré neuf jours exactement et je ne pensais pas que ça puisse finir. Et puis, il y a eu cette lettre de son fils et le sortilège s’est arrêté comme s’arrête de tourner un manège forain quand on interrompt le courant.

Elle était pourtant gentille, cette lettre. Le jeune homme annonçait son retour d’Italie et nous souhaitait beaucoup de bonheur. Il s’excusait de ne pas nous rendre visite ainsi qu’il avait été convenu, car une mauvaise entorse le clouait dans l’appartement.

Ç’a été une douche glacée sur nos étreintes. Mina est redevenue une mère affolée qui redoutait le pire.

— Il faut que je rentre ! m’a-t-elle dit.

— Mais nous irons le voir tous les deux, ma chérie…

Elle a essuyé une larme furtive.

— Le voir n’est pas suffisant, Paul. Comprends qu’il est blessé et tout seul dans notre petit appartement…

J’ai eu envie de lui dire de ne pas s’inquiéter à ce sujet car je soupçonnais Dominique d’avoir recruté de la main-d’œuvre aux Beaux-Arts pour se faire soigner, mais je me suis abstenu. Mina aurait pu trouver cette opinion de mauvais goût…