«Si tu n’es pas morte, c’est que tu as encore des choses à faire sur terre.»
Aujourd’hui, j’ai conscience que j’aurais pu — que j’aurais dû — mourir, et cela me touche profondément. C’est sans doute ce qui m’oblige à témoigner. Vivre pour moi-même, franchement, je m’en moque. À quoi sert de gagner dix minutes ou quelques années de vie en plus? À vivre pour soi-même? Que puis-je désirer de plus pour moi que ce que m’a offert ma vie d’aventurière? Depuis la nuit des temps, des millions de femmes ont rêvé la liberté que j’ai vécue. Depuis des siècles, elles ont donné leur vie pour leurs bourreaux, que ces bourreaux aient eu le visage de l’époux, de la loi, des traditions. Si par mon exemple, elles peuvent se dire «oui, moi aussi, je veux exister!», j’aurai réussi ma vie. À présent, le désir de témoigner donne un sens à ma survie. Ce salut qui m’a été donné, je le ressens comme une deuxième vie qui m’est offerte. Je veux donner. Je veux pouvoir aider celles qui, comme moi, rêvent d’aventures à faire de leur vie leur rêve. J’ai envie de me consacrer aux femmes qui souhaitent naviguer.
C’est sans doute pour que je m’acquitte de cette mission que mes étoiles m’ont protégée — et que le diable n’a pas voulu de moi!
Postface
Papa,
À travers les livres que tu éditais, tu as navigué sur tous les océans du monde…
Tu nous as transmis tes rêves d’aventure et tu nous as encouragés à vivre les nôtres, risqués souvent, originaux et hors du commun parfois.
Tu aimais la vie et la croquais par tous les bouts. Et jusqu’à la fin, tu nous auras fait rire.
Tu navigues aujourd’hui sur un océan d’étoiles, et, dans la lumière éternelle, ton sillage réchauffera nos cœurs.
Merci papa de m’avoir fait découvrir la mer. Une petite lueur me guidera sur l’horizon; je saurai que c’est toi…
Papa avait édité tellement de livres de marins qu’il avait fini par se placer dans leur sillage.
Il me disait: «Si tu traverses l’Atlantique, fais attention à tel courant, à tel vent; dans ce mouillage, fais attention aux hauts-fonds.»
Il avait connu à travers ses livres toutes les péripéties des navigateurs qui faisaient naufrage à l’époque où les GPS n’existaient pas; il avait communié avec eux à chaque minute de leurs aventures.
Dans les années 1970, je rencontrais à la maison ces grands marins qui avaient fait le tour du monde. Ils racontaient leurs épopées, parlaient de mondes inexplorés, faits de paysages fantastiques et de monstres inconnus. J’avais treize ans. J’étais émerveillée. Leurs aventures me faisaient rêver. Ces paysages et ces monstres, qui rendaient l’aventure palpitante, existaient-ils vraiment?
Éric Tabarly était au cœur de notre petite société. Il me fascinait. Il était pour moi le premier marin à nous avoir vengés de l’humiliation de Trafalgar. Il m’impressionnait tellement que je n’osais pas le regarder dans les yeux.
Puis il y eut Moitessier, l’homme qui avait refusé de franchir en vainqueur la ligne d’arrivée du Golden Globe Challenge, pour continuer son aventure dans des mers plus lointaines. Celui qui avait renoncé à cette gloire terrestre par amour de la mer et pour sauver son âme mérite un hommage aussi grand que celui rendu à Tabarly.
Il y eut aussi des héros comme ce chauffeur de taxi, Pierre Auboiroux, qui avait vendu sa voiture de travail pour construire un bateau dans son garage, avant de tout plaquer pour faire le tour du monde, «à la branquignole», comme il disait. Il avait par son courage suscité l’estime de marins chevronnés, qui au départ se payaient sa tête.
Il y eut également cette femme magnifique et son mari, José et Henri Bourdens: leur aventure fut digne de celle de Robinson Crusoé. Chassés par un typhon, ils avaient échoué sur l’île Bathurst, à cent milles au nord de l’Australie. Pour sortir de cet enfer infesté de serpents et de crocodiles dans lequel ils avaient dû passer deux mois, Henri avait construit un radeau de fortune, et ils avaient pris le large. Le radeau s’enfonçait, et les poissons dévoraient les plaies de leurs jambes… Un cargo les avait repêchés in extremis.
Mon souvenir de petite fille, ce sont les yeux bleus de José, dans lesquels je contemplais l’immensité océane.
Ces gens-là étaient mes idoles et les modèles dont tu faisais tes livres, papa.
Merci papa de m’avoir fait rencontrer ces gens formidables, tous ces géants des mers, ces belles âmes dont le destin faisait pâlir les modèles de vie ordinaire.
Papa, tu m’as montré qu’on pouvait revenir vivant d’une île déserte.
C’est toi qui m’as donné cette envie d’espoir et de liberté, ce goût du grand large.
Merci de m’avoir donné la force de partir au loin et d’être libre.