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On me fit asseoir sur un des sièges de l’amphithéâtre. Il m’arriva alors une petite mésaventure sans importance, mais qui, sur le moment, me vexa considérablement. Involontairement, je pressai un bouton placé sur l’accoudoir droit du siège, et celui-ci, se renversant, se transforma en lit, ce qui eut pour effet de me faire faire la culbute en arrière. Les Hiss sont un peuple très gai et moqueur par nature, aussi cet incident souleva-t-il de nombreux rires. J’ai appris depuis que, dans cet amphithéâtre, le plafond sert d’écran, et que les fauteuils sont agencés spécialement pour permettre de suivre les projections sans effort.

Tourné vers les trois Hiss de l’estrade, Souilik fit son rapport, en langage articulé. Aussi je ne pus rien y comprendre. Le rapport fut bref. Je fus frappé du fait que, quoique évidemment plein de respect pour cette assemblée, Souilik ne fit aucun geste conventionnel de politesse.

Sitôt qu’il eut fini, celui des trois qui était assis au centre, et qui se nommait Azzlem, se tourna vers moi, et je sentis sa pensée entrer en communication avec la mienne, sans aucun des tâtonnements qui rendaient parfois mes « conversations » avec Souilik difficiles.

« Je sais déjà, par Aass, de quelle planète inconcevablement éloignée tu viens. Je sais aussi que la guerre existe encore sur ton monde. En conséquence tu ne devrais pas être ici. Mais tu as rendu service aux nôtres, après que leur ksill eut été attaqué par un de vos engins volants. De toute façon tu es là. Souilik et Aass ont cru bien faire de te ramener, et nous les approuvons. Pour le moment, tu n’iras pas sur Réssan, où vivent les étrangers. Si tu n’y vois pas d’inconvénients, tu habiteras chez Souilik. Tous les jours, tu viendras ici t’entretenir de ta planète avec nos savants. Aass m’a dit que tu es un de ceux qui étudient la vie et il te sera certainement utile de confronter tes connaissances avec celles des Hiss qui ont le même sujet d’étude, car les connaissances ne sont pas également développées sur tous les Mondes humains, et peut-être sais-tu des choses qui nous permettront de comprendre mieux les Misliks.

— Je serai très heureux, répondis-je, de comparer mes connaissances aux vôtres. Mais quand je me suis embarqué, un peu malgré moi, sur votre ksill, Aass m’a promis de me ramener sur ma planète. Puis-je considérer cette promesse comme valable ?

— Certainement, pour autant que cela dépende de nous. Mais tu arrives à peine !

— Oh ! Je ne songe pas à repartir tout de suite. Si vous êtes curieux de ma planète, je le suis autant de la vôtre, et de celles que vous avez découvertes.

— Nous te renseignerons, si toutefois ton examen est bon. Maintenant parle-nous un peu de ton monde. Avant de commencer coiffe cet amplificateur, de façon que tous ici entendent tes pensées ».

Un des huissiers m’apporta un très léger casque de métal et de quartz, muni d’une série de courtes antennes qui le faisaient ressembler à une moitié de bogue de marron.

Pendant plus d’une heure, je concentrai ma pensée sur la Terre, sa position dans l’Espace, ses caractéristiques, ce que je savais de son histoire géologique. De temps en temps, un des assistants, en particulier un colosse, plus grand encore qu’Aass, me posait quelque question, me faisait préciser un détail. Comme le casque amplifiait aussi bien les réponses mentales que mes propres émissions de pensée, ces questions résonnaient douloureusement dans mon crâne, comme si on me les avait hurlées dans les oreilles. Je m’en ouvris à Azzlem, qui fit aussitôt modifier le réglage.

À la fin, il m’interrompit, disant:

« C’est assez pour aujourd’hui. Ce que tu as dit, et qui a été enregistré, va être examiné. Tu reviendras après-demain ».

À mon tour je posai une question:

« Vos aliments contiennent-ils du fer ? Le fer est indispensable à mon organisme.

— Ils n’en contiennent en général que très peu. Nous allons donner des ordres pour qu’on te porte les aliments préparés pour les Sinzus, dont le corps contient aussi du fer. Quelques mois plus tôt, le problème eût été à résoudre pour ton cas.

— Encore une question: que sont ces Misliks sur lesquels Aass n’a pas voulu me donner de renseignements ?

— Tu le sauras bientôt. Ce sont « ceux-qui-éteignent-les-étoiles ».

Et il eut ce hochement de tête qui indique chez les Hiss qu’une conversation est terminée, et qu’il serait malséant d’insister.

CHAPITRE II

LA LIGUE DES TERRES HUMAINES

Je repartis avec Souilik. Nous volâmes droit vers l’est. Je demandai s’il ne serait pas possible, au lieu de rentrer directement de survoler un peu cette partie de la planète, à plus basse altitude.

« C’est tout à fait possible, me répondit-il. Tant que les Sages n’ont pas pris de décision définitive à ton égard, je suis dégagé de tout service, sauf de veiller à l’entretien de mon ksill. Où veux-tu aller ?

— Je ne sais pas. Peut-on voir Aass ?

— Non. Aass est déjà parti pour Mars, où il réside, et je n’ai pas le droit de te faire sortir d’Ella. Du reste, ce serait un trop long voyage puisque tu dois, après-demain, te présenter de nouveau devant les Sages. Mais nous pouvons aller voir Essine si cela te convient.

— Bien », dis-je, amusé.

Je n’avais pas été sans remarquer que Souilik ressentait certainement une vive sympathie pour Essine. Je me gardai au reste d’en parler, ne sachant pas si, chez les Hiss, une simple allusion ne pouvait être considérée comme une mortelle injure, ou même simplement comme un grave manquement à la politesse.

Essine habitait à 1 600 « brunns » de la maison de Souilik, nous dirions à environ 800 kilomètres. À ma demande nous ne volâmes pas vite, et fîmes de nombreux détours. Aussi le trajet prit-il deux de nos heures. Nous survolâmes une vaste plaine, puis un pays boisé, sauvage, coupé de profondes allées, une chaîne de volcans éteints, enfin une étroite bande de terre entre les montagnes et la mer. Nous survolâmes cette dernière pendant environ cent kilomètres, puis atterrîmes dans une grande île élevée. Essine habitait une maison analogue à celle de Souilik, mais plus vaste, et peinte en rouge.

« Essine est une Siouk, tandis que je suis un Essok, expliqua Souilik. C’est pourquoi sa maison est rouge, et la mienne blanche. C’est tout ce qui reste des anciennes différences nationales, avec quelques coutumes particulières. Par exemple, chez eux, je te préviens, il est considéré comme très impoli de refuser de manger, même si l’on n’a pas faim, alors que chez nous c’est parfaitement permis ».

Pensant à nos cultivateurs, que l’on offense en refusant de goûter au produit de leur vigne, je me mis à rire. Souilik me demanda l’explication de mon hilarité.

« Décidément, dit-il, les planètes se ressemblent toutes. C’est la même chose chez les Krens de la planète Mara, de l’étoile Stor du quatrième Univers ! Ils ont une boisson, qu’ils nomment « Aben-Torne », que nous, Hiss, trouvons imbuvable. Et j’ai pourtant été obligé d’en boire trois fois ! Le « vin » qu’on vous offre chez vous est-il bon ?

— Quelquefois. Parfois très mauvais ! »

Et nous rîmes ensemble.

Devisant ainsi, nous arrivâmes à la porte de la maison. Un jeune enfant aux membres grêles nous reçut, et je pénétrai pour la première fois dans une famille hiss.

Il convient maintenant que j’anticipe, et que je te donne quelques renseignements sur l’organisation sociale d’Ella. Comme chez nous, la cellule de base est constituée par la famille, mais les liens familiaux sont beaucoup plus lâches, légalement, et plus serrés, en réalité, que chez nous. Les mariages peuvent être dissous par consentement mutuel, mais en fait le cas est très rare. Les Hiss sont de tempérament nettement monogame. Ils se marient en général jeunes, vers un âge qui correspondrait pour nous à vingt-cinq ans à peu près. Ils n’ont pas souvent plus de trois enfants, mais rarement moins de deux. Avant le mariage, d’après ce que j’ai compris, les mœurs sont libres, mais deviennent très strictes ensuite. Tout jeune Hiss doit fréquenter une école jusqu’à dix-huit ans révolus — je traduis en chiffres terrestres. Les uns choisissent alors un métier, et passent dans les écoles professionnelles, ce peuple de techniciens ignorant les simples manœuvres. Les plus doués entrent dans ce qui correspond à nos universités. Une élite, enfin, parmi ceux-ci, participe à l’exploration de l’Espace. Quoique jeune, et continuant encore ses études, Essine avait déjà pris part à trois explorations dans le ksill commandé par Souilik. Mais les deux premières n’avaient conduit qu’à des mondes déserts, et la troisième avait failli se terminer tragiquement sur la Terre.