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Les maisons siouk différaient de celle de Souilik en ce que la porte d’entrée donnait directement sur une vaste pièce de réception, meublée de fauteuils bas.

Essine nous attendait, entourée de sa jeune sœur, de son frère et de sa mère. Son père, important personnage, « ordonnateur des Émotions mystiques » — du moins c’est ainsi que cela sonna dans ma tête — était absent.

Je fus d’abord très gêné. Souilik et les autres Hiss s’étaient lancés dans une vive conversation en langage parlé, et je restai assis dans mon siège, examinant la pièce pour me donner une contenance. Elle était presque nue: les Hiss n’apprécient guère les bibelots. Les murs, peints en bleu clair, étaient décorés de figures géométriques.

Au bout d’un moment, la mère sortit, et nous restâmes « entre jeunes ». La sœur d’Essine vint s’asseoir en face de moi, et se mit brusquement à me bombarder de questions: d’où arrivais-je, quels étaient mon nom, mon âge, ma profession ? Comment étaient les femmes terrestres ? Que pensais-je de leur planète ? Etc. Un souvenir monta à ma mémoire: quelques années plus tôt j’avais fait une conférence dans une université américaine, et j’avais été harcelé exactement de la même manière par les étudiantes.

Souilik et Essine se mêlèrent à la conversation, et, au bout de quelques minutes, j’avais complètement oublié que je me trouvais sur un monde étranger. Tout me semblait familier. Je le regrettai presque, me disant qu’au fond ce fantastique voyage était vain, que toutes les humanités du ciel se ressemblaient, et que cela ne valait presque pas la peine de quitter la Terre pour trouver si peu de nouveau. Du nouveau ! Fichtre ! J’en ai eu, depuis, du nouveau, et tout mon saoul ! Quand je pense à l’horreur de cette planète Siphan ! Mais à ce moment j’ignorais encore tout cela, et il me semblait que physiquement et mentalement, malgré leur peau verte et leurs cheveux blancs, les Hiss étaient très proches de nous.

J’en fis la réflexion à Souilik. Avant qu’il eût pu répondre, Essen-Iza, la jeune sœur d’Essine, le devança:

« Oh ! Oui, j’ai l’impression que tu es simplement un Hiss barbouillé en rose ! »

Souilik souriait énigmatiquement. Il finit par dire:

« Au fond, vous n’en savez rien. J’ai déjà pris contact avec cinq humanités, dont l’une, les Krens, nous ressemble tant physiquement qu’il est presque impossible de nous distinguer d’eux. Au début, ce sont les ressemblances de mœurs qui frappent. Ensuite … Quand tu auras vécu plus longtemps sur Ella, peut-être penseras-tu comme les Froons de Sik, de l’étoile Wencor du Sixième Univers, qui entretiennent par raison de bons rapports avec nous, mais qui ne peuvent nous supporter ».

Sur ces mots, nous partîmes. Essen-Iza et son frère Ars souhaitèrent cérémonieusement un « bon vol » à leur ami Souilik et à « Srenn Sévold Slair », autrement dit M. Vsévolod Clair. Essine vint avec nous, dans son réob.

Une heure après, nous étions de retour chez Souilik. Essine resta peu de temps, et nous demeurâmes seuls. Je ne me souviens plus très bien de ce que nous fîmes, en ce premier jour de ma vie sur Ella. Il me semble que c’est seulement plus tard que je commençai à apprendre à parler et écrire le hiss. Peut-être Souilik m’enseigna-t-il dès le début ce curieux « Jeu des Étoiles », qui se joue sur une sorte d’échiquier rond, et qui consiste à réaliser, avec des jetons représentant des étoiles, des planètes et des ksills, une certaine combinaison permettant d’employer « le Mislik »: à partir de ce moment on a presque partie gagnée, car la parade est difficile, et on peut commencer à « éteindre les étoiles » de l’adversaire. Nous n’y jouâmes probablement pas ce jour-là, cependant, car je n’aurais pas manqué de demander des détails sur les Misliks, et ce n’est que plus tard que j’ai eu quelques éclaircissements à leur sujet.

Quoi qu’il en soit, ce jeu est passionnant, plus que les échecs, et je te l’apprendrai peut-être, si nous en trouvons le temps.

Nous passâmes donc la fin de la journée ensemble. Je commençais à me prendre d’affection pour ce jeune Hiss, qui devait devenir mon meilleur ami sur Ella. Souilik est un charmant compagnon, intelligent et gai comme tous les Hiss, mais possédant en plus des qualités assez rares chez eux, sensibilité et bonté. Les Hiss sont en général aimables, bienveillants, et souverainement indifférents.

La nuit vint, ma première nuit complète d’Ella. Après un bref repas où je goûtai pour la première fois ces « aliments pour les Sinzus », que le conseil des Sages m’avait fait porter, et qui ont une très nette saveur de viande, nous sortîmes nous asseoir devant la maison. Je levai les yeux et restai sidéré: le ciel fourmillait d’étoiles, il me sembla qu’il y en avait des millions. L’une d’elles brillait toute proche, comme un petit soleil. Une voie lactée d’une extraordinaire intensité traversait le ciel.

Souilik qui, quoique jeune — il avait alors seize ans, c’est-à-dire environ trente des nôtres — naviguait dans le ciel depuis longtemps, me nomma quelques astres: Essalan, Oriabor, toute proche du système solaire duquel les Hiss avaient émigré à la suite de circonstances que j’appris plus tard, Érianthé, Kalvenault, Béroé, Aslur, Essémon, Sialcor, Sudéma, Phengan-Théor, Schéssin-Siafan, Astar-Roélé … Le ciel était d’une luminosité moyenne dépassant parfois celle de notre Voie Lactée. Souilik m’en expliqua la raison: leur étoile, Ialthar, est située près du centre de leur Galaxie, et non, comme le Soleil, près du bord. Les étoiles sont particulièrement rapprochées dans ce coin de ciel, et la plus proche, Oriabor, ne se trouvait guère qu’à un quart d’année-lumière — un quart de nos années-lumière. Cela avait grandement facilité les premiers voyages interstellaires, mais avait aussi considérablement gêné le développement de leur science cosmogonique, l’étude des Galaxies extérieures n’ayant pu commencer que lorsque leurs premiers essais de passage par l’ahun les avaient conduits au bord de leur propre univers.

J’interrogeai Souilik sur ses voyages. Il connaissait cinq planètes humaines, et des quantités d’autres, inhabitées, ou habitées seulement par des formes inférieures de vie. Certains de ces mondes — la planète Biran du soleil Fsien du Premier Univers, par exemple — étaient d’une beauté à couper le souffle, d’autres, au contraire, désolés. Souilik avait abordé sur les planètes Aour et Gen, du soleil Ep-Han du Premier Univers — celui des Hiss — dont les habitants s’étaient suicidés dans des guerres infernales. Il me montra des photos en couleurs, d’une perfection dont nous ne saurions rêver sur Terre, de ces différents mondes. J’en ai quelques-unes ici. Il me montra aussi une statuette trouvée dans les ruines d’une cité d’Aour, frêle chose de verre échappée au désastre, et qui, malgré l’étrangeté de l’être qu’elle représentait — une sorte d’homme ailé à tête conique — était d’une indicible perfection. Quand on réchauffait cette statuette dans ses mains, la matière vitreuse dont elle était faite émettait un son plaintif, comme la lamentation d’une race assassinée. Ces mondes autrefois habités et maintenant déserts sont, paraît-il, assez nombreux dans l’Espace, et leur découverte a puissamment contribué à faire promouvoir la loi d’Exclusion, qui tend à éviter la contagion, et un retour à la folie meurtrière.