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Quand j’allai me coucher, ce soir-là, mon esprit bourdonnait de notions nouvelles, et les étoiles si proches: Essalan, Oriabor, Érianthé, etc., dansaient devant mes yeux. Je fus obligé d’employer « celui-qui-fait-dormir ».

Je n’ai aucun souvenir net de la journée du lendemain, ou plutôt j’en ai certainement, mais ils sont confondus avec ceux des nombreuses journées qui suivirent. En revanche je me souviens fort bien du surlendemain, qui vit ma seconde visite à la « Maison des Sages ».

Je partis avec Souilik, dans le réob. Le voyage fut rapide. Dès mon arrivée, je fus introduit, tandis que Souilik repartait, dans le bureau d’Azzlem. Les murs de ce bureau étaient nus, exception faite de cinq grands panneaux rectangulaires qui semblaient faits de verre dépoli. Au centre, une table, d’une matière verdâtre mouchetée de bleu, supportait quelques petits appareils et un tableau de commande complexe. Azzlem me fit asseoir en face de lui. Une fois de plus, je ressentis une impression familière, celle que j’éprouvais quand, interne à l’hôpital, le « grand patron » me faisait appeler.

Azzlem était certainement âgé ; la décoloration de sa peau était très poussée et lui donnait un teint blafard, verdâtre, qui eût paru, sur Terre, malsain. Mais son corps, qui se dessinait sous le maillot collant d’étoffe soyeuse grise, eût fait envie à mains athlète terrestre. Quoique les Hiss soient physiquement moins forts que nous, ils sont très bien musclés et admirablement proportionnés. Quant à ses yeux, grands comme ceux de sa race, et d’une couleur vert pâle, ils n’avaient, je t’assure, rien de sénile !

Il resta un long moment à me regarder en face, sans rien transmettre. Je sentais qu’il me comparaît aux nombreux spécimens d’autres êtres qui m’avaient précédé dans cette pièce. Puis notre conversation silencieuse commença:

« Il est extrêmement regrettable, dit-il d’abord, que tes compatriotes aient cru devoir attaquer notre ksill, et aient tué ainsi deux des nôtres. C’est un peu la faute d’Aass. Il n’aurait pas dû se risquer ainsi dans votre atmosphère sans prendre plus de précautions. Mais comme il n’avait rien vu, avant d’arriver à la Terre, qui ressemble à une machine volante, il pensait que vous n’aviez pas encore appris à voler.

— Il n’y a pas très longtemps que nous avons appris, répondis-je. Moins de cent de nos années. Cependant, nous avons déjà atteint notre satellite avec nos fusées, et nous nous apprêtons à débarquer sur les autres planètes de notre système solaire.

— Avec quel engin, as-tu dit, avez-vous atterri sur votre satellite ?

— Des fusées, dis-je en français. Et j’entamai une description sommaire. Son visage exprima la surprise.

— Je vois. Bien entendu, nous connaissons le principe des « fusées ». Mais nous ne les avons presque pas employées depuis notre préhistoire ! Le rendement en est déplorable ! Elles n’ont jamais servi chez nous à l’exploration spatiale. L’invention ancienne, due d’ailleurs à un heureux hasard, des champs antigravitiques nous a fourni un bien meilleur moyen. Mais utilisez-vous les champs gravifiques négatifs ?

— Non, et je puis vous l’affirmer, quoique je ne sache pas exactement de quoi vous parlez ».

Il essaya pendant longtemps de me le faire comprendre. Hélas ! Souvent, non seulement je ne comprenais pas, mais je n’« entendais » rien. Azzlem faisait appel à des notions qui me sont complètement étrangères, et toute communication se rompait immédiatement entre nos pensées. Je regrettai ardemment de ne pas être physicien, ou que tu ne sois là ! Quoique, bien entendu, le Terrien le plus qualifié eût été Einstein ! De guerre lasse, Azzlem renonça, et revint à des concepts plus accessibles pour moi.

« Quoi qu’il en soit de vos moyens de propulsion, un de vos engins a attaqué efficacement notre ksill. Tu as expliqué à Souilik que c’est à la suite d’une méprise. Je te crois.

— Puis-je vous poser une question ? Dis-je. Votre ksill était-il le premier qui soit apparu sur Terre ?

— Oui. Je puis te l’affirmer. Tous les ordres d’exploration partent de moi. J’avais envoyé Aass et Souilik voir s’il existait encore des univers habités après le seizième. Vous êtes vingt fois plus éloignés que le seizième, c’est-à-dire qu’il faut rester vingt fois plus longtemps, en temps local, dans l’ahun pour vous atteindre. Je ne puis garantir, contrairement à ce que t’a dit Aass, que nous pourrons te ramener. Il n’est pas sûr qu’on puisse extrapoler aussi loin les règles de navigation dans l’ahun. Nous le saurons bientôt. Mon fils Asserok va revenir du dix-septième Univers, découvert pendant le voyage d’Aass, et qui est presque aussi éloigné que le vôtre, et dans la même direction. Quand je dis que nous l’avons découvert, c’est inexact. Ce sont eux qui nous ont découverts. Ils ont aussi le sang rouge, connaissent l’ahun, et te ressemblent beaucoup.

— Nous verrons bien, dis-je, insouciant. Je n’ai pas de famille sur Terre. Mais si votre ksill était bien le premier à nous atteindre, alors le rapport officiel d’un des gouvernements de la Terre, concluant à des erreurs d’observation ou à des hallucinations, était exact ! »

Et je lui racontai toute l’histoire des « soucoupes volantes » et de la débauche d’imagination qui avait suivi. Il rit franchement.

« Eh bien, chez nous aussi, quelquefois, des esprits aventureux ont deviné le vrai à partir de données fausses. Maintenant, au travail ! Je vais te confier à des savants qui vont te poser des questions précises sur la Terre. Ensuite nous te donnerons un aperçu de notre histoire ».

Je passai la plus grande partie de la journée à répondre de mon mieux à toute une suite de questions variées, certaines complètement incongrues, du reste. Et c’est l’étrangeté de ces questions qui me fit pour la première fois entrevoir à quel point, par certains côtés, les Hiss diffèrent de nous. Mes réponses les scandalisaient presque, parfois. Quand, à propos de l’état sanitaire et des maladies sur Terre, je leur parlai des ravages de l’alcoolisme — ils connaissaient l’alcool, et il a sur eux des effets analogues — ils me demandèrent pourquoi on ne supprimait pas les ivrognes, ou pourquoi on ne les envoyait pas coloniser une planète déshéritée — ce qui, ajoutèrent-ils cyniquement, revenait au même la plupart du temps.

Quand, à ce propos, je leur parlai du respect de la vie humaine que nous essayons de développer sur Terre, sans grand succès, il faut bien en convenir, ils me répondirent tous:

« Mais ceux-là ne sont plus des hommes. Ils ont enfreint la loi divine ! »

Ce qu’était la loi divine, je ne le sus que bien plus tard.

Vers le soir, Souilik revint me prendre, et j’appris que c’était lui qui devait m’instruire du passé d’Ella. En effet, comme presque tous les Hiss, il accomplissait deux sortes de travaux: un travail social, comme officier commandant un ksill, et un travail personnel, qui, pour lui, consistait en ce qu’il appelait l’archéologie universelle. En tant qu’officier, il était soumis, pendant des périodes déterminées, à une stricte discipline. Mais une fois son service fini, il redevenait un des plus jeunes, mais, m’apprit Essine, un des meilleurs « archéologues universels ». Il eût pu, d’ailleurs, ayant accompli son temps légal, se dégager de toute obligation, mais il préférait rester dans le corps des commandants de ksills, où il avait de nombreux amis, étant ainsi assuré de participer automatiquement aux explorations.