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Aussi est-ce le soir même, dans sa maison, que je pris ma première leçon d’histoire hiss. Elle eut lieu dans le bureau de Souilik, où je remarquai deux tableaux de verre dépoli, comme dans celui d’Azzlem.

« D’après ce que tu as dit ce soir — quoique absent, j’ai été mis au courant — l’humanité est apparue sur votre planète au bout d’un très long temps, et semble sortie de l’animalité. Chez nous, sur Ella d’Oriabor, il en a été de même. Là aussi nos ancêtres ont commencé par utiliser des outils et des armes de pierre, et, grâce à la quasi indestructibilité de ces matières, nous sommes mieux renseignés sur les premiers débuts de notre espèce que sur des âges bien moins reculés ».

Sur un cadran, il fit alors une série de gestes qui me rappelèrent en plus compliqué, ceux que nous faisons pour composer un numéro de téléphone. Un des tableaux de verre dépoli s’illumina, et des images apparurent: c’étaient des outils de pierre taillée, exactement semblables à ceux que les fouilles ont découverts dans nos grottes.

« Je viens de composer une référence, et la bibliothèque archéologique me transmet ces documents », expliqua-t-il.

Plus tard, la civilisation avait fleuri sur la planète, et, comme sur Terre, les empires s’étaient élevés et écroulés, les guerres avaient détruit l’œuvre des siècles, brassé les populations ou exterminé des races. Ces races n’avaient jamais été, sur Ella-Ven, Ella-la-Vieille, aussi différenciées que chez nous ; elles ne se marquaient que par des nuances dans la couleur de la peau, toujours verte. Des religions avaient grandi, étaient devenues presque universelles, puis s’étaient écroulées les unes après les autres. Seule une d’entre elles avait subsisté, tenacement, malgré les persécutions de ses rivales momentanément triomphantes. Elle remontait aux premières civilisations historiques.

Les Hiss ne semblent pas avoir connu la relative stagnation technique qui chez nous a marqué le temps de Rome et du Moyen Âge. Aussi leurs guerres devinrent-elles rapidement dévastatrices. La dernière en date, qui remontait à environ 2 300 de nos années, s’était terminée sur une planète ravagée par des armes dont nous ne pouvons encore, heureusement, nous faire une idée. Il y eut alors une assez longue période où, faute d’une population suffisante, la civilisation faillit sombrer. Elle ne fut maintenue dans son essentiel que grâce à l’obstination de quelques savants et au refuge que trouva la science, dans cette période de pillage et de petites guerres civiles, dans les monastères souterrains des adeptes de la religion persécutée et indéracinable dont j’ai parlé tout à l’heure.

Aussi, quand après cinq cents ans de désordres, la civilisation repartit à la conquête de la planète, conquête facilitée par le fait que le reste de la population était retombé pratiquement à l’âge des métaux, cette civilisation nouvelle fut-elle une sorte de théocratie scientifique. Même si les armes dont disposaient les « moines étaient moins puissantes que celles de leurs ancêtres, elles dépassaient de loin tout ce que possédaient les tribus.

Bien plus difficile fut la reconquête du sol. Des régions entières avaient été dévastées, à jamais empoisonnées de radioactivité permanente, brûlées, vitrifiées. Pendant longtemps le chiffre de la population dut être limité: Ella-Ven ne pouvait plus nourrir qu’environ cent millions d’habitants, au lieu de sept milliards avant la « guerre de Six Mois ».

La solution fut trouvée mille ans avant mon arrivée: l’émigration. Depuis longtemps les Hiss savaient qu’Ialthar comportait plusieurs planètes habitables, contrairement à Oriabor, où seule Ella-Ven l’était. Juste avant la guerre de Six Mois, ils avaient trouvé le moyen de contrôler les champs gravifiques, mais cette découverte avait été immédiatement mise sous le boisseau par les divers gouvernements, et n’avait servi qu’à construire des engins de guerre. Le secret fut ensuite perdu pendant longtemps, jusqu’à ce qu’il fût redécouvert par hasard. Pendant la « Période Sombre », les recherches effectuées dans les monastères avaient, faute de source d’énergie suffisante, porté bien plus sur la biologie que sur la physique.

Une fois les champs gravifiques maîtrisés de nouveau, la solution apparut tout de suite: émigrer sur les planètes du système d’Ialthar. Ialthar se trouve, comme je te l’ai déjà dit, à environ un quart d’année-lumière d’Oriabor. Les champs gravifiques permirent d’atteindre une vitesse dépassant un peu la moitié de celle de la lumière. C’était donc un voyage relativement court.

Il fut fait, neuf cent soixante ans avant mon arrivée, par plus de deux mille astronefs, chacun emportant trois cents Hiss, du matériel, des animaux domestiques ou sauvages. Une expédition d’exploration avait conclu à la parfaite habitabilité d’Ella-Tan, Ella-la-Nouvelle, de Mars et même de Réssan, plus froid. Ce furent donc à peu près six cent mille Hiss qui débarquèrent un beau jour sur une planète où n’existaient que des formes animales.

Cette première colonisation fut une catastrophe. À peine les colons avaient-ils commencé à édifier quelques cités provisoires que de terribles et nouvelles épidémies les décimèrent. Il mourut, disent les chroniques, plus de cent vingt mille personnes en huit jours ! Le hassrn et ses rayons abiotiques différentiels n’était pas encore inventé. Affolés, beaucoup de Hiss repartirent pour Ella-Ven, malgré les ordres, y important l’épidémie. La civilisation faillit sombrer de nouveau.

Les colons survivants, petit à petit immunisés contre les microbes de leur nouvelle planète, s’accrurent en nombre pendant les siècles suivants. Sept cents ans avant mon arrivée, le hassrn fut inventé, et le problème cessa de se poser. Les Hiss colonisèrent alors Mars et Réssan. Six cents ans environ avant mon arrivée — je te donne toujours les dates en utilisant nos années, car leur système est trop complexe pour être utilisé dans ce récit — un de leurs physiciens, ancêtre d’Aass, soit dit en passant, découvrit l’existence de l’ahun et la possibilité théorique de l’utiliser pour atteindre les étoiles lointaines. Comme je te l’expliquerai tout à l’heure, cette découverte eut pour les Hiss une importance religieuse extraordinaire. Les distances entre les étoiles, quoique bien plus réduites en moyenne que dans la partie de notre galaxie où se trouve le Soleil, devenaient rapidement impossibles à franchir: l’étoile la plus proche d’Ialthar, après Oriabor, est Sudéma, à une année-lumière, ce qui fait déjà, aller et retour, un voyage de quatre ans. Ensuite, c’est Érianthé, à deux années-lumière et demie, soit près de dix ans de voyage. Les Hiss n’allèrent jamais plus loin par ce procédé ; encore fallut-il employer l’hibernation artificielle, la mise en vie ralentie des explorateurs.

Avec l’utilisation de l’ahun, en revanche, le problème se posait sous un jour tout nouveau, et les possibilités d’exploration devenaient pratiquement illimitées. Et, aux yeux des Hiss, cela parut la réalisation de l’Antique Promesse.

Il serait absolument impossible de comprendre quoi que ce soit à ce qui va suivre, aussi bien qu’à la mentalité des Hiss, sans connaître au moins les fondements de leur religion. Je t’ai parlé tout à l’heure de ce culte persécuté et toujours renaissant qui avait finalement triomphé. Il était devenu la religion, je ne dirai pas officielle, car ce serait trop faible, et inexact, mais la religion « imprégnante » de tous les Hiss. Les rares sceptiques que j’ai rencontrés sur Ella — Souilik est l’un d’eux — ne sont nullement mal vus. Mais leur action est faible et leur scepticisme ne porte du reste que sur les dogmes. En pratique ils agissent tout comme les croyants.