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Nous stoppâmes devant une ferme. Clair ne fut absent qu’un quart d’heure.

« Ce n’est rien. Pris à temps. Mon confrère continuera le traitement.

— Tu n’exerces plus du tout ?

— Plus guère. Pas le temps. Seulement quand le docteur Gauthier est absent, ou qu’il m’appelle en consultation ».

À notre retour, il me fit garer ma voiture, et nous montâmes mes bagages dans la chambre qui m’est habituellement réservée. Elle était contiguë à la sienne, et je crus entendre, comme nous passions devant sa porte, un léger bruit à l’intérieur.

Le repas de midi, servi par sa vieille nourrice Madeleine, fut, comme toujours, excellent. Mais Clair parla peu. Il était préoccupé, hésitant. Quand je lui déclarai que j’allais pousser l’après-midi jusqu’aux Eyzies voir quelques amis, il eut l’air soulagé, et me donna rendez-vous pour sept heures.

Aux Eyzies je vis le paléontologiste Bouchard qui me raconta une étrange histoire. Six mois plus tôt, la région avait été mise en émoi par l’apparition de « diables » dans la forêt de Rouffignac. Le bruit avait même couru que ces diables avaient emporté le docteur Clair, mais tout ceci ne reposait évidemment sur rien puisque, le surlendemain de la disparition des diables « dans une colonne de feu vert », le docteur avait reparu. Il était simplement resté enfermé deux jours chez lui, poursuivant une expérience.

Quant aux diables, le plus curieux de l’histoire était qu’une quinzaine de paysans prétendaient les avoir vus: ils ressemblaient à des hommes, mais avaient le pouvoir surnaturel de clouer les gens sur place. Le préfet avait ordonné une enquête, ainsi du reste que l’évêque de Périgueux. Mais devant les enquêteurs officiels les paysans avaient été bien moins affirmatifs. Finalement tout s’était calmé.

« Cependant, ajouta Bouchard, je dois dire que, la nuit où les diables auraient disparu, j’ai vu dans le ciel une intense lumière verte en direction de Rouffignac ».

En soi, cette histoire ne présentait que peu d’intérêt. On en voit de semblables par douzaines dans le moindre quotidien. Mais je ne sais pourquoi mon esprit fit un rapprochement entre elle et les singularités de Clair.

Quand j’arrivai chez lui, je le trouvai détendu, comme s’il avait pris une décision après avoir longuement hésité. Dans la salle à manger trois couverts étaient mis ;

« Tiens, tu attends quelqu’un ? Remarquai-je.

— Non, mais je vais te présenter ma femme.

— Ta femme ? Tu es marié ? »

Et je pensai: « La silhouette ! »

« Officiellement, pas encore. Cela ne tardera guère. Dès que nous aurons les papiers. Ulna est étrangère ».

Il hésita un moment.

« Elle est Scandinave. Finnoise. Je t’avertis qu’elle parle encore très mal le français.

— Tu parles finnois ? Première nouvelle !

— Je l’ai appris l’an dernier, au cours d’un voyage de dix mois. Je pensais te l’avoir écrit.

— Non. Et je croyais le finnois très difficile !

— Il l’est. Mais tu sais, mon hérédité slave … »

Il appela: « Ulna ! »

Une mince et étrange fille entra: grande, blonde, d’un blond pâle, des yeux d’une couleur indécise, dont on ne pouvait dire s’ils étaient gris, bleus ou verts, des traits réguliers. Elle était très belle. Mais quelque chose en elle surprenait sans qu’on puisse préciser quoi. Peut-être sa carnation dorée, contestant avec le blond pâle des cheveux ? Ou la petitesse invraisemblable de la bouche ? La grandeur remarquable des yeux ? Ou tout cela à la fois ?

Elle s’inclina gracieusement devant moi, et me tendit la main, une main qui me parut extraordinairement allongée, tout en prononçant, d’une voix très basse, mais chantante, quelques mots.

Pendant le repas, je fus assis en face d’elle. Plus je la regardais, plus elle me semblait inquiétante. Elle se servait très adroitement de son couteau et de sa fourchette, mais non point avec cet automatisme inconscient que donne l’habitude.

Je restai à peu près muet tout le temps du repas. Clair parla pour nous tous. La vieille Madeleine était une cuisinière hors ligne, même pour ce pays où les bonnes cuisinières sont légion. Mon ami avait fait une razzia dans sa cave. Je remarquai qu’Ulna mangeait peu et ne buvait guère, contrairement au docteur et, je dois l’avouer, à moi-même. À mesure que le dîner avançait, je perdis peu à peu cette gêne qui me paralysait. Ulna ne disait rien, mais de temps en temps elle regardait Clair dans les yeux, et j’avais la curieuse impression d’un échange, non point de sentiments, mais d’idées.

Après le dessert, Clair plia soigneusement sa serviette, repoussa sa chaise, et s’installa devant le feu, dans un fauteuil bas. D’un signe il m’invita à prendre place en face de lui, puis sonna la servante pour le café. Ulna était sortie. Elle revint tenant un journal plié en quatre, que Clair prit et me tendit. Un bref regard sur les gros titres m’indiqua qu’il datait d’environ six mois. J’allais le lui rendre, en demandant une explication, quand je vis, en bas de page, un article encadré au crayon rouge:

ENCORE LES SOUCOUPES VOLANTES

Kansas-City, 2 octobre.

Hier, le lieutenant George K Simpson Jr rentrait d’un exercice à bord de son chasseur F. 104, à la tombée de la nuit, quand il aperçut, à environ 25 000 pieds, une tache discoïdale qui se déplaçait rapidement. Il prit l’objet en chasse, et put s’en rapprocher. Il vit alors qu’il s’agissait d’un énorme disque à bords minces, dont il évalua le diamètre à trente mètres, avec une épaisseur au centre d’à peu près cinq mètres. L’objet se déplaçait à une vitesse que le lieutenant Simpson déclara, d’après la vitesse de son propre avion, dépasser 1 100 km à l’heure. La poursuite durait depuis une dizaine de minutes quand le pilote comprit que le mystérieux engin allait passer au-dessus du camp de N …, dont le survol est interdit à tout appareil non américain. La consigne étant formelle, le lieutenant Simpson attaqua alors l’engin. Il se trouvait à ce moment-là à environ 2 km de lui, légèrement plus haut. Piquant en survitesse, il tira une salve de fusées. « Je vis, raconte-t-il, mes fusées exploser sur le revêtement métallique. La seconde d’après, mon avion éclata et je me retrouvai en train de tomber dans la cabine largable. Heureusement le parachute fonctionna ! » Cette scène a eu de nombreux témoins au sol ; les experts examinent actuellement les débris de l’avion du lieutenant Simpson. Quant à l’engin mystérieux, il disparut, montant verticalement dans le ciel à une énorme vitesse.

Je rendis le journal à Clair, déclarant d’un ton sceptique:

« Je croyais pourtant que les rapports officiels américains avaient, après de longues enquêtes, coupé les ailes à ce canard. Il a décidément la vie dure ! »

Mon ami ne répondit rien. Il secoua lentement la tête, se pencha, prit avec les pincettes une braise dans le feu et alluma minutieusement sa pipe. Il tira quelques bouffées, fit signe à sa servante de servir le café. Ulna n’en prit pas. Nous bûmes en silence.

Clair hésitait. Je le connaissais bien et je sentais qu’il s’interrogeait. À la fin il servit le cognac, et, me regardant en face, dit:

« Tu sais que je ne suis pas totalement ignare en sciences physiques. Tu sais aussi que je suis réaliste, « matter of fact » comme disent les Anglais. Eh bien, j’ai une longue histoire à raconter sur cette soucoupe volante.

« Ne lorgne pas les bouteilles sur la table. Leur nombre est peut-être impressionnant, mais je t’assure qu’il ne sera pour rien dans ce que je vais te raconter. Peut-être serait-il pour quelque chose dans ma décision de parler ? Même pas. J’avais depuis longtemps décidé de tout te dire, la première fois que je te verrais. Voici donc mon histoire. Cale-toi bien dans ton fauteuil, car, comme je te l’ai dit, elle sera longue ».