Выбрать главу

— Tant pis, fis-je. J’aurais pourtant aimé pouvoir entrer en communication avec eux.

— Cela n’est peut-être pas impossible, dit alors Assza. Mais il te faudra du courage. Tu devras redescendre dans la crypte, coiffé d’un casque amplificateur de pensée. Les ondes psychiques — nos ondes psychiques — ont une portée inférieure de loin à celle du rayonnement mislik, et nous n’avons jamais pu approcher assez pour savoir si nous pourrions « entendre » un Mislik. Le Mislik — ou le Hiss — était toujours mort avant. Mais toi, tu pourras approcher. Il te faudra pénétrer dans la crypte, car l’isolement de ferro-nickel arrête aussi bien les ondes de pensée — si le Mislik en émet de comparables aux nôtres — que son rayonnement mortel.

— Soit, dis-je. Mais s’il s’envole de nouveau ?

— Reste devant la porte. S’il s’envole, tu rentreras dans la chambre aux scaphandres.

— Bien. Quand tente-t-on l’expérience ? »

Je les sentais encore bien plus impatients que moi-même.

« J’ai un grand réob quadriplace, commença Assza.

— J’ai aussi le mien, dis-je. On y va ?

— Allons-y, coupa Szzan, le plus jeune de nous trois.

— Il faudra modifier le casque amplificateur. J’ai ce qu’il faut dans mon laboratoire de l’île », reprit Assza.

Nous embarquâmes et filâmes pleine vitesse. Assza pilotait admirablement bien, un peu en casse-cou, et nous frôlions les montagnes. Comme nous nous engagions au-dessus de la mer j’aperçus un engin énorme, fusoïde et non lenticulaire, qui descendait rapidement vers la Montagne des Sages.

« L’astronef sinzue revient, dit Szzan. Il va y avoir réunion du Conseil.

— Ne dois-tu pas y assister ? Demandai-je à Assza. Nous pourrions remettre l’expérience.

— Non, le Conseil ne se réunira que ce soir. Nous avons le temps. Tu viendras avec moi voir tes presque frères, les Sinzus ».

L’île apparut sur la mer bleue. À peine au sol, nous nous précipitâmes dans le laboratoire. Sianssi, l’assistant chef, surveillait les appareils enregistreurs.

« Il » repose, nous dit-il. Mais « il » devient intraitable depuis que le Tsérien est descendu. « Il » a encore détruit un automate ».

Pour la première fois j’entendais, vocalisé, le nom que les Hiss nous ont donné: « Tsérien », corruption de « Terrien ».

« Fais modifier un amplificateur de pensée, afin que le … Tsérien puisse le mettre sous son scaphandre. Il va encore descendre, pour essayer d’entrer en communication avec « lui ».

Le jeune Hiss me regarda un moment avant de sortir. Je devais lui faire l’effet d’un être presque aussi monstrueux que le Mislik.

Nous observâmes celui-ci à l’aide de l’écran. Il ne bougeait pas, semblable à un bloc de métal inerte. Pourtant, c’était un être d’une fantastique puissance, capable d’éteindre les étoiles !

« Surveille-le bien, quand tu seras dans la crypte, me dit Assza. Quand ils vont s’envoler, ils commencent toujours par soulever légèrement leur avant. Tu as alors environ un millième de basike avant l’envol. Rentre immédiatement ! »

La transformation du casque aura une basike — flûte, je me crois encore sur Ella ! — aura donc environ une heure et quart.

Revêtu du scaphandre et coiffé du casque, je pénétrai dans la crypte, tout doucement. Le Mislik me « tournait le dos ». Je ne m’éloignai pas trop de la porte et mis le contact.

Instantanément, je fus submergé par un flot d’angoisse, qui ne venait pas de moi, qui était l’angoisse du Mislik: une sensation effroyable d’isolement, de solitude, si puissante que je faillis en crier. Loin d’être la créature purement intellectuelle, sans aucun sentiment, que j’avais imaginée, le Mislik était donc un être comme nous, capable de souffrir. Paradoxalement il me parut plus effrayant encore, d’être si proche tout en étant si différent ! Je ne pus y tenir, et coupai le contact.

« Eh bien ? demanda Assza.

— Eh bien, il souffre, dis-je, bouleversé.

— Attention ! Il s’éveille ! »

Le Mislik bougeait. Comme la dernière fois, il avançait, à faible allure, droit sur moi. Je rétablis le contact. Cette fois ce ne fut plus un message de souffrance que je reçus, mais une marée de haine, une haine absolue, diabolique. Le Mislik avançait toujours. Je saisis mon pistolet à chaleur. Il stoppa, émit vers moi une haine encore plus violente, que je ressentais presque physiquement, comme un flot tiède et visqueux. Alors, à mon tour, j’émis vers lui:

« Ô mon frère de métal, pensai-je, je ne te veux pas de mal.

Pourquoi faut-il que les Hiss et toi-même vous détruisiez ? Pourquoi la loi du Monde semble-t-elle être le meurtre ? Pourquoi faut-il qu’une espèce en massacre une autre, un règne un autre règne ? Je n’ai pas de haine pour toi, étrange créature. Vois, je remets mon arme en son fourreau ! »

Je ne croyais pas être compris. Pourtant, à mesure que je pensais, je sentais la haine décroître, passer à l’arrière-plan, et un sentiment de surprise la remplacer, sans l’éteindre. Le Mislik était toujours immobile.

Je me remémorai les enseignements des philosophes prétendant que la mathématique doit être la même dans tous les univers, ce qui semblait confirmé par les Hiss, et je me mis à penser à des carrés, des rectangles, des triangles, des cercles. Je reçus en retour une once d’étonnement plus intense, puis des images envahirent ma pensée: le Mislik me répondait. Hélas ! Il me fallut bientôt me rendre à l’évidence: aucune communication ne serait sans doute jamais possible ; les images restaient floues, comme des images de rêve. Il me sembla entrevoir d’étranges figures, conçues pour un espace qui n’était pas le nôtre, un espace qui faisait appel à plus de trois dimensions. Mais à peine pensais-je les avoir comprises qu’elles s’évanouissaient, me laissant le regret d’avoir été au bord de saisir une pensée tout à fait étrangère à la nôtre. Je fis une dernière tentative, pensai à des nombres, mais cela n’eut pas plus de succès. Je reçus en échange des notions absolument incommunicables, incompréhensibles, criblées de trous pendant lesquels je ne recevais rien. J’essayai des images, mais ne pus rien trouver qui éveille en lui une résonance, pas même une étoile resplendissant dans le ciel noir. La notion de lumière, telle que nous la concevons, devait lui être étrangère. J’interrompis donc mes essais, et quelque chose de ma mélancolie dut lui parvenir, car il me renvoya un nouveau flot d’angoisse, toute haine éteinte, et un sentiment poignant d’impuissance. Il repartit sans avoir émis son rayonnement mortel.

Ainsi, contrairement à ce qu’enseignent certains philosophes, la tristesse et la peur sont les mêmes d’un bout à l’autre de l’univers, mais deux et deux ne font pas toujours quatre. Il y avait, dans cette impossibilité d’échanger l’idée la plus simple, alors que des sentiments complexes passaient facilement de l’un à l’autre, quelque chose de tragique.

Je remontai dans le laboratoire, et confessai mon demi-échec. Les Hiss ne s’en affectèrent pas outre mesure. Pour eux, le Mislik était le Fils de la Nuit, l’être haïssable par définition, et leur intérêt dans cette expérience avait été purement scientifique. Il n’en était pas de même pour moi, et encore aujourd’hui je m’afflige de n’avoir pu, je ne dis pas comprendre, mais saisir si peu que ce soit de l’essence intellectuelle de ces êtres étrangers.