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Quand nous quittâmes l’île, la nuit tombait. Les deux satellites d’Ella brillaient dans le ciel criblé d’étoiles. Arzi est doré comme notre Lune, mais Ari a une sinistre couleur rougeâtre qui éveille toujours en moi l’idée d’un astre maléfique. Nous atterrîmes au clair de lune et d’étoiles, sur la grande esplanade inférieure, près de la Maison des Sages. À l’autre bout on entrevoyait l’énorme masse fusiforme de l’astronef sinzue, brillant faiblement dans la nuit. À mon vif dépit, il ne me fut pas permis de pénétrer dans la salle de réunion. Szzan et moi dûmes aller à la Maison des Étrangers, sorte d’hôtel situé dans les bosquets de la terrasse inférieure.

Nous dînâmes ensemble, puis sortîmes nous promener. Notre promenade nous mena dans le voisinage de l’astronef. Nous fûmes arrêtés au détour d’une allée par un petit groupe de Hiss.

« On ne peut pas aller plus loin, dit l’un d’eux. Les Sinzus gardent leur appareil, et nul ne peut en approcher sans autorisation.

— Mais qui est avec toi ? demanda-t-il à Szzan.

— Un habitant de la planète Tserr de l’étoile Ssleil du dix-huitième univers, le seul qui soit chez nous pour le moment. Il est venu avec Aass et Souilik. Il a le sang rouge, et les Misliks ne peuvent le tuer.

— Que dis-tu ? Ce serait un homme de la Prophétie ? Les Sinzus ont le sang rouge aussi, dit-on, mais ils ne connaissent pas les Misliks !

— Le Tsérien est encore descendu dans la crypte de l’île Sanssine aujourd’hui. Et, tu vois, il est là !

— Permets-moi de te voir », me dit-il alors.

Une douce lumière rayonna de son casque léger. Je m’aperçus qu’il portait à sa ceinture deux petits fulgurants. La garde de l’astronef n’était certainement pas une plaisanterie ! C’était la première fois que je constatais sur Ella quelque chose approchant d’une armée.

« Tu ressembles aux Sinzus. J’en ai vu trois quand ils ont débarqué cet après-midi. Mais tu es plus grand, plus lourd, et tu as cinq doigts aux mains. Ah ! Il me tarde de pouvoir participer à des raids de ksill. Je suis étudiant, encore … »

Je me souvins que, sur Ella, tout individu accomplissait deux sortes de travaux, tel Souilik qui était à la fois officier de ksill et archéologue.

Un long cri modulé traîna dans la nuit étoilée.

« Une sentinelle sinzue, dit notre interlocuteur. Ils s’appellent ainsi toutes les demi-basikes. Maintenant je suis obligé de vous demander de retourner sur vos pas ».

Nous rentrâmes à la Maison des Étrangers. Elle se composait d’une multitude de petits pavillons dispersés sous les arbres, où logeaient ceux que le Conseil avait convoqués, et qui habitaient trop loin pour rentrer chez eux tous les jours. Ma chambre était attenante à un cabinet de toilette et à une petite bibliothèque, mais j’étais trop fatigué pour lire. Agité par les péripéties de cette étrange journée, la plus étrange que j’eusse encore passée sur Ella, je fus obligé d’employer celui-qui-fait-dormir.

Je me réveillai très tôt. L’air marin était vif et frais, et je m’aperçus, que contrairement à la maison de Souilik, celle-ci comportait de vraies fenêtres, qui étaient restées ouvertes. J’entendais le ressac de la mer sur les rochers du rivage et le léger bruit de la brise dans les branches. Je traînai un moment au lit, les yeux ouverts, goûtant pleinement le charme de cette matinée ellienne, si calme.

Et soudain un chant s’éleva.

J’avais déjà maintes fois entendu de la musique hiss. Sans être déplaisante pour nous, elle est trop savante, trop intellectuelle. Ce chant n’était pas un chant hiss ! Il avait la nostalgie, la flexibilité des mélodies polynésiennes, mais avec plus d’ampleur, et une ardeur secrète qui faisait penser aux chants populaires russes. Et la voix, cette voix qui passait sans effort des notes basses aux notes hautes, n’était pas non plus une voix de Hiss ! Le chant déferlait comme les vagues sur une plage, avec des retours mélodiques, des envolées rapides, des retombées lasses. L’être qui chantait était trop loin pour que je puisse saisir les paroles, qui n’étaient probablement pas du hiss. Mais je savais que cette chanson parlait de printemps, de planètes écrasées de soleil ou noyées de brumes, du courage des hommes qui les explorent, de la mer, du vent, des étoiles, d’amour et de combat, de mystère et de peur. Elle contenait toute la jeunesse du monde !

Le cœur battant, je m’habillai rapidement, sautai par la fenêtre. Le chant venait de la gauche, vers la mer. Passant entre des bosquets, je trouvai un escalier descendant vers le rivage. Face au large, une jeune fille chantait. Le soleil accrochait des reflets dorés sur sa tête. Ce ne pouvait donc être une Hiss. À contre-jour, je ne distinguais pas la couleur de sa peau. Elle était vêtue d’une courte tunique bleue pâle.

Je dégringolai l’escalier quatre à quatre, aussi ému que lorsque, jeune étudiant, j’apercevais Sylvaine tournant au coin de la fac. Je manquai la dernière marche, m’étalai, roulai à ses pieds. Elle poussa un petit cri, cessa de chanter, puis éclata de rire. Je devais être comique, les cheveux pleins de sable, à quatre pattes devant elle. Puis son rire s’arrêta net, elle me demanda, d’un ton irrité:

« Asna éni étoé tan ? »

(Je me retournai, surpris. Ces derniers mots, ce n’était point Clair qui les avait prononcés, mais Ulna, sa femme.)

« Oui, dit lentement Clair, c’était Ulna ».

TROISIÈME PARTIE

L’ENJEU EST L’UNIVERS

CHAPITRE I

ULNA L’ANDROMÉDIENNE

Je me relevai lentement, sans quitter la jeune fille des yeux. Pendant un instant je crus que les Hiss avaient fait un nouveau voyage sur Terre, et avaient ramené d’autres Terriens. Puis je me remémorai l’énorme astronef, la statue de l’escalier des Humanités, je remarquai la main étroite. Je me souvins aussi des récits de Squilik sur les Krens de la planète Mara, quasi indiscernables des Hiss. Si ces derniers avaient leurs sosies, il était possible que les hommes aient les leurs.

La jeune fille se tenait toujours droite devant moi. Je restai un moment muet.

« Asna éni étoé tan, sanen tar téoé sen Telm ! » dit-elle alors d’un ton de colère.

Sa voix restait chantante et mélodieuse. Je répondis en français: « Je m’excuse, mademoiselle, de mon arrivée subite à vos pieds ! » Puis je réfléchis que, pour elle, ces mots étaient aussi incompréhensibles que sa question pour moi. Je la regardai alors droit dans les yeux, et essayai de « transmettre ». En vain. Elle me considérait maintenant avec méfiance. Elle posa la main sur une boucle de sa ceinture.

J’essayai alors en hiss, espérant que, peut-être, elle le comprenait.

« Je m’excuse de vous avoir dérangée », dis-je.

Elle reconnut la langue dans laquelle je m’adressais à elle, et répondit, plaçant aussi mal les accents toniques que moi à mes débuts:

« Ssin tséhé h’on ? Qui êtes-vous ? » La phrase correcte eût été: Sssin tséhé hion. Sa demande signifiait en réalité: Quelle est la lune ?

« Ari brillera le premier ce soir », dis-je en riant. Elle comprit son erreur et se mit elle aussi à rire. Pendant quelques minutes nous pataugeâmes de concert dans le hiss, sans grand succès. Elle me montra alors l’escalier, et nous remontâmes sur la terrasse boisée. Comme nous y débouchions, j’entendis les trois coups de sifflet modulés qui étaient le signal personnel de Souilik. Il parut, suivi d’Essine.

« Je vois que tu as déjà pris contact avec les Sinzus, me dit-il.