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— Pris contact est une manière de parler ! Comment faites-vous quand vous atterrissez sur une planète dont les habitants ne « reçoivent » pas et dont vous ignorez, évidemment, la langue ?

— C’est ennuyeux, surtout quand ils sont aussi charmants que cette Sinzue semble l’être pour toi, dit Essine. Mais rassure-toi. Avant peu, vous vous comprendrez.

— Oui, ajouta Souilik, le problème a été résolu depuis longtemps. Ne fais pas le fier: en réalité, c’est nous qui recevons et transmettons ! Sur ta propre planète, tu ne pourrais correspondre avec tes semblables que par le langage. Les petits enfants, chez nous, sont dans le même cas. Ils doivent apprendre. Tu apprendras, et elle aussi. En attendant, il te suffira d’un léger casque amplificateur. Voici plus important: je suis rentré cette nuit d’un univers situé encore plus loin que le tien. Tu pourras donc, quand le temps sera venu, retourner chez toi. J’ai pris contact avec une autre humanité. Dans ton coin du Grand Univers, il semble que tous les êtres aient le sang rouge: les Sinzus, vous les Tsériens, et les Zombs que je viens de découvrir.

— Comment sont-ils ? En as-tu ramené un ? »

Souilik me toisa, un œil fermé:

« Ils te ressemblent un peu. Environ deux fois plus grands. Mais ce sont encore de purs sauvages qui ne taillent même pas la pierre. Il eût été inutile et même dangereux pour lui, d’en ramener un. Dans deux ou trois cent mille ans, peut-être … »

Nous approchions de l’escalier des Humanités. En haut, quelques Hiss s’affairaient, entourés d’automates.

« Que diable font tes compatriotes ? », dis-je à Souilik.

En hiss, « que diable » a pour exact équivalent « teï mislik ».

« Il s’agit de Misliks, en effet, répondit-il en riant. Tu verras ». Et, se tournant vers la jeune Sinzue, il « transmit » quelque chose que je ne pus saisir. Les Hiss peuvent toujours entretenir, par transmission de pensée, une conversation privée, même au milieu d’une foule. Ce devait être drôle, car la jeune fille sourit.

Nous gravîmes rapidement l’escalier. Là-haut, le groupe de Hiss se dispersait. À droite, une nouvelle statue se dressait. Et j’eus la surprise de me reconnaître, très réalistement sculpté, en une pose avantageuse, le pied sur un Mislik !

« Tes rencontres avec le Mislik ont été enregistrées, dit Essine. Et Ssilb, notre meilleur sculpteur, a reçu immédiatement mission de réaliser cette statue. Il avait tes mesures exactes, prises à la Maison des Sages quand on t’a examiné, et, avec quelques photos en relief, cela fut un jeu pour lui. Trouves-tu ta statue bonne ?

— Remarquable, dis-je sincèrement. Mais cela va me gêner de passer ainsi devant moi-même chaque jour ».

Souilik et la Sinzue étaient en conversation depuis quelque temps, et je vis, au visage du Hiss, que quelque chose marchait de travers. Il échangea quelques mots avec Essine, trop vite pour que je puisse bien comprendre. Il me sembla saisir le mot « injure ». La jeune Sinzue redescendait maintenant l’escalier, à la rencontre d’une dizaine d’individus de sa race. Souilik avait l’air soucieux:

« Vite, il faut voir Assza, et même Azzlem, si possible.

— Qu’y a-t-il ?

— Rien de grave. Du moins je l’espère. Mais les Sinzus sont pourris d’orgueil, et nous avons peut-être eu tort de les mettre à gauche, sur l’escalier ! »

Nous fûmes introduits tout de suite dans le bureau d’Azzlem. Il s’y trouvait en compagnie d’un jeune Hiss, son fils Asserok, de retour de l’univers des Sinzus, et d’Assza.

« La situation est dangereuse, déclara abruptement Souilik. Pendant mon absence, le Tsérien est descendu dans la crypte de l’île Sanssine et a vaincu le Mislik !

— Oui, et alors ? dit Assza. C’est moi qui en ai pris la responsabilité, en accord avec le Conseil.

— Alors, à ce que m’a dit Ulna la Sinzue, il avait été promis aux Sinzus qu’ils seraient les premiers êtres à sang rouge à affronter le Mislik. Orgueilleux comme ils semblent l’être, il est possible qu’ils s’en formalisent !

— Leur astronef est armé, intervint Asserok. Et ils connaissent l’ahun !

— Nous sommes les maîtres sur notre planète, Asserok, répondit son père. La première fois que les Sinzus sont venus, ils n’ont pas voulu affronter le Mislik. Ils ont prétexté qu’il leur fallait des préparatifs. Le Tsérien a été plus résolu. Tant pis pour eux. Après tout, c’est à nous, Hiss, que la Promesse a été faite, pas aux Sinzus ! Nous ne devons mépriser aucune aide, mais nous devons garder la direction ! Et si les Sinzus ont des armes, nous aussi ! »

Il pressa un bouton sur son bureau. Un écran mural s’illumina, et nous vîmes l’escalier des Humanités. Devant ma statue, quatre Sinzus, dont Ulna, discutaient. Les autres regagnaient leur astronef au pas de course.

Azzlem prononça alors des paroles qui n’avaient plus retenti sur Ella depuis de nombreux siècles:

« État d’alerte numéro 1, dit-il, penché sur un microphone. Réunion immédiate des Dix-Neuf. Interdiction absolue à tout engin volant étranger — l’euphémisme nous fit tous sourire, le seul engin étranger sur Ella étant l’astronef — de décoller ».

« Nous verrons bien s’ils savent échapper aux champs gravitiques intenses », fit-il.

Les Sinzus pénétraient dans la Maison des Sages.

« Venez, dit Azzlem. Nous allons les recevoir. Venez aussi, Souilik et Essine, puisque vous êtes les seuls Hiss présents, avec mon fils, à avoir dépassé le seizième univers ».

Nous descendîmes dans la salle où j’avais comparu pour la première fois devant les Sages. Je m’assis sans encombre entre Essine et Souilik, au fond de la salle. Le Conseil restreint, les Dix-Neuf, arriva. On introduisit les Sinzus.

Ils étaient quatre, trois hommes et la jeune fille. Ils étaient tous beaux, blonds, élancés, de taille plutôt grande, et auraient pu passer sur Terre pour des Suédois. Ils affectaient un air froid et distant. On les coiffa immédiatement de casques amplificateurs.

Le plus âgé se tourna vers Azzlem et commença son discours: on les avait fait venir de leur lointaine planète pour affronter les fameux Misliks, ils étaient accourus avec les armes les plus puissantes que leurs savants aient pu inventer, et maintenant on leur disait qu’un être inférieur, venu d’une planète à demi sauvage, avait déjà triomphé de ces redoutables ennemis. C’était une injure faite à leur planète Arbor, et ils allaient immédiatement repartir pour ne plus revenir, à moins que les Shémons ne jugent l’injure trop grave pour être oubliée. Auquel cas … Il demandait des excuses et la destruction immédiate de cette statue qu’on avait mise sur le même plan que celle des Sinzus.

Je regardai les Sages pendant cette diatribe. Rien dans leur visage ne bougeait. Aucun signe de désapprobation. En revanche, à côté de moi, Souilik marmonnait entre ses dents pointues.

Azzlem répondit calmement:

« Vous êtes, Sinzus, des gens bizarres. Nous ne vous avons jamais promis que vous seriez les premiers êtres à sang rouge à affronter les Misliks. Nous ignorions à l’époque qu’il y eût d’autres humanités à sang rouge. Et nous ignorons toujours si toutes les humanités à sang rouge résistent au rayonnement mislik. Nous ne concevons pas du reste l’importance qu’il y a à être le premier. Cette mentalité a disparu d’Ella, il y a bien longtemps, avec le dernier chef militaire, et le dernier politicien. Vous ne semblez pas non plus comprendre qu’il n’y aura pas trop de toutes les humanités du ciel pour vaincre les Misliks. Pour le moment nous sommes les seuls, ou presque, à lutter contre eux, et nous perdons chaque année plus de cent mille Hiss dans cette lutte. Le Tsérien a eu le courage d’affronter le Mislik, sans préparation aucune. Il est juste que sa statue soit ce qu’elle est. Faites-en autant, et nous ajouterons volontiers un Mislik, et même deux ou trois, à votre statue ! »