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Cette saillie fit passer sur l’assemblée une onde de rire contenu. Azzlem continua:

« Votre concours sera certainement utile, mais il n’est pas indispensable. Les Tsériens ont la résistance nécessaire. Nous avons la technique, et la leur, quoique primitive, n’est probablement pas méprisable. Il y a dans le ciel bien des humanités à sang bleu ou vert dont les armes sont puissantes aussi. Et nul ne sait où frapperont les Misliks, la prochaine fois. Peut-être sont-ils déjà en route vers votre galaxie. Je vous demande de renoncer à un orgueil stupide, qui m’étonne chez une race aussi évoluée que la vôtre. Je vous conjure d’entrer dans la Grande Alliance, dans la ligue des Terres humaines. Notre seul ennemi, c’est le Mislik ! Il menace toutes les humanités, à sang vert, bleu ou rouge. Même si vous êtes insensibles à son rayonnement, vous ne pourriez vivre près d’un soleil éteint ! Réfléchissez, et revenez nous voir avec des paroles d’amitié, et non de défi. Cette planète est Ella, et non Arbor, et nous y sommes les maîtres. Nous vous recevrons de nouveau ce soir ».

Le Sinzu voulut répondre.

« Non. Inutile. Réfléchissez. À ce soir ».

Les Dix-Neuf sortirent lentement, nous laissant seuls, Souilik, Essine et moi-même, face aux Sinzus.

Ils parurent s’apercevoir alors de ma présence. Les trois hommes s’avancèrent vers moi, menaçants. La jeune fille essaya de retenir le plus âgé, sans y parvenir. Je me levai. Lentement, Souilik posa la main sur la crosse du petit fulgurant qu’il a, comme tous les commandants de ksills, le droit de porter à la ceinture. Le geste n’échappa point aux Sinzus qui s’arrêtèrent.

« Je croyais, commença l’un d’eux, que les Hiss, les sages Hiss, avaient renoncé à la guerre depuis des siècles …

— À la guerre, oui, mais non point à protéger leurs hôtes, répliqua Souilik. Si vos intentions sont pures, pourquoi ces armes, sous vos tuniques ? Croyez-vous donc que nous ne sachions pas détecter le métal sous l’étoffe ? »

La situation se tendait. En vain, Essine et moi-même d’un côté, Ulna et le plus âgé des Sinzus de l’autre essayâmes-nous de nous interposer. Souilik était maintenant possédé de la terrible rage froide des Hiss, et les Sinzus semblaient animés d’une incompréhensible morgue. Visiblement, ils nous cherchaient querelle.

Comme un deus ex machina parut un officier de la garde, suivi de quatre Hiss:

« Le Conseil des Dix-Neuf prie ses hôtes sinzus de bien vouloir regagner leur logement. Il leur rappelle que, sauf les officiers en service, nul ne peut porter d’armes sur Ella ».

Il avait un puissant casque amplificateur. Aussi la phrase sonna-t-elle nette et sèche dans ma tête, comme un ultimatum. Les Sinzus durent le comprendre ainsi, car ils pâlirent et sortirent. Ulna se retourna et nous regarda longuement.

« Quant au Tsérien, continua l’officier, Azzlem l’attend avec ses compagnons ».

Azzlem, Assza et Asserok discutaient âprement quand nous entrâmes.

« Nous n’avons pas besoin d’eux, disait Assza. Les Tsériens suffiront.

— Ils sont puissants, répliqua Asserok. Autant que nous. Croyez-moi, j’ai vu leur planète Arbor. Ils y sont plus nombreux que nous ne le sommes sur les Trois-Mondes. Et ils ont leurs serviteurs Telms … »

Il s’arrêta net, frappé d’une illumination subite.

« Je comprends ! Ils ont pris le Tsérien pour un Telm ! Il est brun et fort comme eux ! »

Sur Arbor, nous expliqua-t-il, il n’y avait pas une seule humanité, comme sur la Terre ou sur Ella, mais deux: les Sinzus, blonds et minces, et les Telms, bruns et épais. Aux temps préhistoriques, comme chez nous d’ailleurs, il y avait eu plusieurs ébauches du genre humain. Mais tandis que sur Terre une seule a survécu et a exterminé, ou absorbé les autres, sur Arbor deux branches différentes se sont développées, sur des continents très éloignés. Quand les Sinzus découvrirent le continent term, ils étaient déjà trop civilisés pour les détruire. Imagine que l’Amérique ait été peuplée de descendants des Néandertaliens. Nous les aurions certainement détruits. Plus humains, ou plus réalistes, les Sinzus, race supérieure, réduisirent les Telms en esclavage. Petit à petit leur condition s’est améliorée, mais dans la société actuelle, ils ne remplissent encore que des fonctions inférieures, auxquelles les désignent, il faut bien le dire, leur totale incapacité d’invention. Ils ne sont pas maltraités, mais aucun métissage ne s’est jamais produit, car il s’agit de deux espèces trop différentes. L’organisation sociale des Sinzus, fondée sur ce semi-esclavage des Telms, est de type aristocratique, et ressemble un peu à l’organisation de l’ancien Japon.

Or, c’est un fait que par ma puissante carcasse, ma couleur de peau et de cheveux, je ressemble vaguement à un Telm. Pour comprendre la réaction des Sinzus, imagine un puissant shogun qu’on fait venir pour combattre un terrible ennemi, et à qui l’on dit, quand il arrive: inutile, un chimpanzé l’a déjà fait !

Au fur et à mesure des explications d’Asserok, les deux Sages se rassérénaient. Il devenait possible, avec un peu de diplomatie, de calmer les Sinzus, en leur expliquant que je n’étais point un Telm malgré ma couleur. Asserok s’en chargea et partit pour l’astronef.

Il me fit bientôt appeler. Je partis accompagné de Souilik. Au moment de me quitter, avant d’arriver en vue des sentinelles sinzues, il voulut me donner un de ses fulgurants. Je le remerciai, mais refusai, convaincu de ne courir aucun danger. Un Sinzu me reçut à la coupée et me fit signe de le suivre. L’astronef était immense — plus de 180 mètres de long ! — et je dus parcourir d’interminables coursives avant de gagner la salle où j’étais attendu. Cinq Sinzus étaient assis là, avec Asserok, tous coiffés d’un casque. Un peu à l’écart, coiffée elle aussi d’un casque d’où sortaient ses longs cheveux blonds, Ulna se tenait debout contre la cloison.

J’étais à peine entré que le plus âgé me transmit:

« Ce Hiss prétend que vous n’êtes pas un Telm, mais un Sinzu noir. Nous allons bien voir. Parlez-nous de votre planète ».

Je pris mon temps, saisis un siège de métal, m’assis, croisai les jambes et commençai:

« Quoiqu’il soit aussi injurieux pour moi d’être pris pour un animal supérieur que pour vous d’être devancés par un Telm, je vous répondrai par égard pour les Hiss. Sachez que, sur ma planète, il n’y a qu’une espèce d’hommes, dont les uns sont blonds comme vous, les autres bruns comme moi. Certains — et ils sont nombreux — ont même la peau noire ou jaune. On a beaucoup discuté pour savoir quelle était la race supérieure, et on en a conclu qu’il n’y en avait pas. Dernièrement encore nous avons dû soutenir une guerre contre certains Terriens qui prétendaient être justement cette race supérieure. Nous les avons vaincus, malgré leur prétendue supériorité ».

Je transmis ainsi pendant plus d’une heure, donnant, à larges traits, un aperçu de notre civilisation, de notre organisation sociale, de nos sciences et de nos arts. Bien entendu, en sciences, ils nous dépassent de cent coudées, étant, sur quelques points, plus avancés que les Hiss eux-mêmes. Mais ils parurent impressionnés par notre utilisation de l’énergie nucléaire, de conquête relativement récente chez eux.

Ils me posèrent une série de questions savamment graduées. Leur conclusion fut que je ne pouvais être un Telm, malgré mon apparence physique. Dès lors, leur attitude changea complètement. Ils devinrent aussi bienveillants qu’ils avaient été arrogants. Ulna rayonnait: elle avait été la seule à me défendre. Asserok convint avec Hélon, le vieux Sinzu, père d’Ulna et chef de l’expédition, d’un conseil avec les Dix-Neuf pour le soir même.