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C’est tout juste si je vivais encore quand je fus transporté dans l’astronef. Les Sinzus réclamèrent de me soigner, d’abord parce que j’étais médicalement intransportable, ensuite parce que j’avais, somme toute, sauvé le fils et la fille de leur chef, enfin parce qu’il semblait que, physiologiquement, j’étais plus proche d’eux que des Hiss. À quel point je l’étais fut révélé par l’examen chimico-histo-biologique qu’ils me firent subir d’urgence, tandis que j’étais maintenu artificiellement en vie par des appareils qui dépassaient même tout ce que j’avais pu voir sur Ella. Je me trouvais posséder un protoplasme absolument identique au leur, au point qu’ils n’hésitèrent pas une seconde à me faire des hétéro-greffes. Ils sont passés maîtres dans l’art des hétéro-greffes, chose que nous ne savons pas encore faire, et ont toujours en réserve, en « survie », de la matière première, si j’ose dire. Au vrai, sauf le fait qu’ils ne possèdent que quatre doigts, caractère qui, dans un croisement avec notre propre espèce serait probablement récessif, ils sont moins différents de nous, Européens, que ne l’est un Chinois.

Bref, je survécus sans aucune infirmité, grâce aux soins de Vicédom, leur grand médecin. Mais il serait injuste d’oublier le rôle de Szzan, à qui j’avais appris pas mal de médecine terrestre, et qui put utilement le conseiller, ou celui d’Ulna, à qui revint pendant de longs jours la surveillance de l’admirable cœur artificiel qu’elle a inventé.

À partir du moment où j’eus repris conscience, mon rétablissement fut très rapide. Trois jours après, je pouvais me lever. J’eus, avec l’aide d’un casque amplificateur, de longues conversations avec Ulna, son frère et son père, et je commençai à apprendre leur langue. Je pus avoir ainsi quelques détails sur la planète Arbor et sur l’humanité sinzue.

Les Sinzus, très avancés au point de vue scientifique, ont une curieuse organisation sociale héritée de leurs ancêtres. Autrefois toutes les familles sinzues étaient nobles, et aucun individu ne se livrait plus aux travaux manuels, laissés à la race inférieure des Telms. Ils consacraient leur vie à l’art, aux voyages et à la guerre. Celle-ci disparut il y a environ sept siècles de leur planète, et fut remplacée par la recherche scientifique et l’exploration de l’Espace. C’est un singulier paradoxe que nous ayons été découverts par les Hiss, et non par les Sinzus, car leur galaxie, comme nous nous en aperçûmes plus tard, n’est autre que notre proche voisine, la nébuleuse d’Andromède. À vrai dire, de toute manière, leurs chances de tomber sur le système solaire, au milieu des millions d’étoiles de notre propre galaxie, étaient on ne peut plus faibles.

Aujourd’hui les Sinzus sont au nombre de deux milliards environ sur Arbor, et de trois cent cinquante millions sur diverses planètes de leur galaxie. Leur organisation sociale est restée très aristocratique. Hélon est le frère d’un shémon, c’est-à-dire quelque chose correspondent à un prince. Il n’y a que quatre shémons sur Arbor, chefs de quatre familles remontant aux derniers rois. Leur organisation politique est pyramidale. Au sommet se placent les quatre shémons, semi-héréditaires, en ce sens qu’ils sont toujours choisis dans les mêmes familles, mais ne sont pas forcément les fils des shémons précédents. Mais Ulna t’expliquera mieux que moi toute cette complexe société.

Le huitième jour après mon réveil, Vicédom déclara que je pouvais quitter la chambre. Je sortis de l’astronef avec délices, entre Souilik et Ulna. Nous grimpâmes lentement l’escalier des Humanités, et je vis qu’effectivement on avait ajouté un Mislik à la statue de Sinzu. Souilik riait souvent sous cape en regardant sa minuscule montre, et Ulna souriait d’un air mystérieux. Me sentant fatigué, je voulus rentrer. Ils m’en dissuadèrent vivement, prétendant que le grand air me ferait du bien, et nous nous assîmes sur un banc de pierre, face à la mer. Assza passa, s’assit un moment avec nous. Nous parlâmes de choses et d’autres, puis il nous quitta et partit en direction de l’astronef. Au bout d’une basike, Souilik regarda de nouveau sa montre, et, son visage vert tout plissé de malice, me dit: « Maintenant, nous pouvons rentrer ».

Quand nous montâmes l’escalier de coupée, les deux Sinzus armés qui montaient la garde me saluèrent. J’en fus surpris, car, jusqu’à ce moment, les Sinzus avaient réservé leurs saluts à leurs chefs ou aux membres du Conseil des Dix-Neuf. Ulna et Souilik s’esquivèrent, me laissant seul dans la coursive. Je ne le restai pas longtemps, car Akéion parut, vêtu d’une splendide tunique pourpre, un long manteau de même couleur sur les épaules, le front ceint d’un mince bandeau de platine.

« Viens, me dit-il en hiss. Il y a une cérémonie en ton honneur, et tu dois prendre tes vêtements de fête ».

Il m’entraîna dans une cabine, et m’aida à revêtir l’habit sinzu. Il consista pour moi en une longue tunique blanche, qui me fit paraître encore plus noir que je ne le suis, un manteau blanc et un bandeau d’or.

Je le suivis jusqu’à l’extrême avant, juste derrière la cabine de pilotage. Au bout de la longue salle étroite une estrade était dressée. Hélon et Ulna y étaient assis. Hélon portait une tunique amarante, Ulna une tunique vert pâle. L’état-major de l’astronef, habillé de noir, et l’équipage en uniforme gris se rangeaient le long des parois. Parmi toutes ces étoffes aux longs plis, le maillot collant d’Assza ; assis à droite de l’estrade, et celui de Souilik, assis à gauche, paraissaient presque indécents.

Je restai sidéré, dans l’espace vide, à quelques mètres de la tribune. Le silence était total Alkion se tenait un peu en retrait de moi, immobile.

Lentement, Hélon se leva et parla:

« Quel est celui qui se présente devant l’Ur-Shémon ? »

Akéion répondit pour moi:

« Un libre et noble Sinzu.

— Quel exploit lui donne le droit à la tunique blanche ?

— Il a sauvé le fils et la fille de l’Ur-Shémon.

— Que désire le libre et noble Sinzu ?

— Recevoir l’Ahen-réton.

— Que disent le fils et la fille de l’Ur-Shémon ?

— Ils acceptent, dirent en chœur Ulna et Akéion.

— Que disent les nobles et libres compagnons de l’Ur-Shémon ?

— Ils acceptent, dirent d’une seule voix l’état-major et l’équipage.

— Nous, Hélon, Ur-Shémon, commandant l’astronef Tsalan, en escale sur la planète amie d’Ella, au nom des autres shémons d’Arbor, des shémons de Tiran, de Sior, de Sertin, d’Arbor-Tian, de Sinaph, au nom de tous les Sinzus vivant sur les Six Planètes, au nom de tous les Sinzus morts, au nom de tous les Sinzus qui naîtront, nous déclarons accorder au Sinzu de la planète Terre qui est devant nous, en récompense de sa loyale et courageuse conduite, la qualité de Sinzu-Then et l’Ahen-réton du septième rang ».

Un murmure de surprise passa sur l’assemblée. Ulna souriait.

« Avance », me dit Akéion.

Je devais être plutôt comique, noir dans ma tunique blanche, avec mon bandeau d’or et les frêles antennes de l’amplificateur oscillant au-dessus de ma tête. J’avançai, ne comprenant pas encore très bien ce qui se passait. Je parvins au pied de l’estrade.

Alors, chanté en chœur, s’éleva un chant étrange et beau, le chant que j’avais entendu le matin où je vis Ulna pour la première fois, le chant des Conquérants de l’Espace. Un frisson d’émotion presque religieuse me traversa. Je sentis qu’on m’enlevait le manteau blanc, qu’on m’en plaçait un autre sur les épaules. Le chant cessa. J’avais maintenant un manteau vermillon, bordé d’or.