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« Oui, dit mélancoliquement Souilik, nul ne connaîtra jamais toutes les planètes humaines ».

Nous entrâmes à notre tour dans le Palais. Si son extérieur se présentait comme un titanesque monolithe massif et nu, son intérieur était richement décoré de sculptures et de peintures dues à toutes les humanités représentées. Une galerie périphérique montrait en panoramas des vues des principales capitales des mondes humains. Nous traversâmes un jardin d’hiver où poussaient d’étranges plantes: Souilik me montra, sous un globe transparent hermétique, la plante sténet de Ssin du premier univers, qui rend toute vie animale impossible sur cette terre du ciel, car ses somptueuses fleurs, qui semblent ciselées dans l’or, émettent un poison gazeux mortel à doses infinitésimales.

Par un escalier aux marches taillées dans une matière verte vitreuse, qui me rappela l’obsidienne, nous atteignîmes une petite loge qui dominait la salle de réunion. Je me trouvai avoir à ma droite Ulna, et à ma gauche une délicate créature féminine, à la peau pervenche pâle, aux cheveux noirs bleutés, aux immenses yeux violets, de la race des R’ben de la planète Pharen de l’étoile Véssar du onzième univers.

En bas, dans l’amphithéâtre, les délégués de la ligue prenaient place. Chacun avait à sa disposition un petit pupitre sur lequel brillaient des appareils compliqués. Tout se passa dans un silence étonnant pour une aussi nombreuse assemblée.

Les Hiss ont un sens très développé de la mise en scène: les lumières s’éteignirent, un projecteur darda un rai étroit de lumière sur l’estrade, et par une trappe monta une plate-forme sur laquelle, assis dans des fauteuils de métal brillant, se trouvaient Azzlem et quatre autres représentants, parmi lesquels Hélon. Il n’y eut nulle manifestation. Azzlem se leva et parla. Il parlait en hiss, mais, grâce aux puissants transmetteurs de pensée, chacun de nous l’entendait dans sa propre langue. Il rappela les décisions prises lors du dernier conseil, parla de mon arrivée, de celle des Sinzus, de notre résistance miraculeuse au rayonnement mislik. Désormais, grâce à nous, la lutte changerait de caractère: de défensive, elle allait devenir offensive, et le premier acte serait une reconnaissance portée au cœur de l’empire ennemi, en plein milieu d’une des galaxies maudites. Certes, il s’écoulerait probablement bien des siècles avant que l’ennemi recule. Mais le temps des replis était passé. Les armes ne manquaient pas pour tuer les Misliks: tout ce qui produisait de la chaleur était une arme. Mais jusqu’à présent, il n’avait pas été possible de s’en servir sans pertes énormes.

Il parla longtemps. Il décrivit, devant cette assemblée qui réunissait l’élite des humanités célestes, notre étrange organisation. Nous devions probablement notre immunité au fait que notre corps, comme celui des Misliks, contenait beaucoup de fer. Malgré cette lointaine parenté avec les êtres des Ténèbres, nous étions pleinement dignes du nom d’« hommes ». Les Sinzus pouvaient siéger dans la ligue, car ils avaient répudié depuis longtemps toute guerre. Les Tsériens, en revanche, n’auraient pour le moment que le statut d’alliés, mais leur civilisation était jeune, et il espérait pouvoir avant longtemps les recevoir en pleine égalité dans cette assemblée.

« Discours d’ouverture, me souffle irrespectueusement Souilik. Aucune importance. Le vrai travail va se faire dans les groupes. On ne peut, d’après la loi d’Exclusion, t’admettre dans la ligue, mais tu es prévu dans le groupe hiss.

— Pourquoi hiss ? Dis-je.

— C’est nous qui t’avons découvert, même si tu es devenu depuis Sinzu d’adoption. Ne l’oublie pas ! »

Azzlem se rassit. Il y eut un silence qui aura quelques minutes. Alors, tonitruant, éclata un chant hiss que je n’avais jamais entendu. Je ne puis dire qu’il me toucha. Je te l’ai déjà dit, leur musique est trop compliquée pour notre oreille, et elle monte ou descend parfois à des notes qui nous sont inaudibles. Mais, me tournant vers Souilik et Essine, je fus frappé par l’expression de leur visage. Il reflétait une extase, une communion mystique avec tous les êtres à sang vert et bleu. En bas, dans la salle à demi éclairée d’une lumière mauve, tous les visages avaient une expression identique, nostalgique et apaisée à la fois. Ma voisine à peau pervenche était aussi sous le charme. Seuls, Hélon sur son estrade, Ulna et son frère, et moi-même ne semblions pas atteints. Soudain une image me traversa l’esprit: j’avais vu, autrefois, sur Terre, des actualités représentant les foules de Lourdes dans l’attente du miracle. C’était à cela que me faisaient penser les multiples visages de ces humanités du ciel.

Le chant continuait: c’était une invocation au Dieu créateur, à la Lumière primordiale.

Le silence revint. Tous ces êtres d’autres mondes restèrent longtemps encore immobiles, recueillis. Enfin Azzlem fit un geste, et la foule commença à sortir.

« Je ne savais pas, dis-je à Souilik, que vous, Hiss, aviez converti toutes ces humanités à votre religion.

— Nous ne les avons pas converties ! Et tu sais toi-même que je suis incroyant. Les paroles sont inutiles. La musique a été composée il y a bien des siècles par Rienss, le plus grand génie musical d’Ella-Ven. Elle suffit à nous mettre en transes. Il se trouve qu’elle agit de même sur les autres humanités. Et comme toutes les religions ont des points communs, en ce qu’elles ont de plus élevé … Mais n’as-tu rien senti toi-même ?

— Non. Et je ne crois pas que votre hymne agisse sur les Sinzus.

— Ne le dis pas ! Ne le cites pas. Pas encore, du moins. Mes compatriotes sont très susceptibles sur ce point. Les Hommes-Insectes sont comme vous, et cela leur a suscité au début des difficultés. On a même parlé un moment de les exclure de la ligue. Il est vrai que vous, on ne vous exclura certainement pas ! Vous êtes notre seul espoir contre les Misliks ».

Le Conseil dura onze jours. Il n’y eut pas d’autre réunion plénière avant le dernier jour. Tout se passa en comités techniques auxquels je participai, mêlé à la délégation hiss. Après une cérémonie de clôture, nous repartîmes pour Ella. À mon vif ennui, les Sinzus restèrent sur Réssan.

Je repris mes habitudes antérieures. J’habitais toujours chez Souilik. Tous les jours j’allais à la Maison des Sages, où je me livrais en compagnie d’Assza et de Szzan à des expériences de biologie comparée. Assza avait réussi à reproduire artificiellement le rayonnement mislik. Je n’ai jamais clairement compris quelle était sa nature, mais je puis dire que ce sont des radiations qui n’ont rien de commun avec les radiations électro-magnétiques. Les Hiss et les Sinzus — et d’autres humanités d’ailleurs — ont abordé des chapitres de la physique dont nos savants terrestres ne soupçonnent même pas l’existence.

Je me sentais maintenant parfaitement à l’aise sur Ella. Je parlais le hiss sinon très correctement, du moins couramment, et n’avais plus besoin pour suivre une conversation de porter constamment un casque. J’avais été adopté par les Elliens, j’avais des amis, des relations, un travail. Je faisais très officiellement partie, à titre de membre étranger, de la « Section de biologie appliquée à la lutte antimislik », et comme tel, moi, biologiste terrestre, je collaborais avec Szzan et Rassenok et j’avais sous mes ordres une dizaine de jeunes biologistes hiss. Je m’étais familiarisé à un tel point avec la vie ellienne qu’un jour, au laboratoire, je proférai au cours d’une conversation avec Assza un « nous, les Hiss … » Qui déchaîna une légitime tempête de rires. Les Hiss sont réellement un peuple aimable, plein de bienveillance, malgré une certaine froideur profonde, plus « faciles à vivre » en tout cas que les Sinzus, dont la susceptibilité est généralement trop vive.