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Au bout d’un mois l’astronef revint de Réssan, et j’eus le plaisir de compter dans mon équipe Ulna et Akéion.

Mes journées se passaient habituellement ainsi: au lever d’Ialthar, après avoir déjeuné avec Souilik, je partais pour le laboratoire. En arrivant, je passais à l’astronef, sur l’esplanade, prendre Ulna et son frère. Nous travaillions jusque vers le milieu du jour. À midi je déjeunais soit à la Maison des Étrangers, soit, plus souvent, dans l’astronef. Puis nous revenions au laboratoire jusqu’à environ deux heures avant le coucher du soleil. S’il faisait beau, nous allions nous baigner dans la baie. Il eût été très dangereux de nager au large, car la mer est peuplée de vsiivz, une espèce particulièrement vorace de poissons ; mais au goulet de la baie, un rideau de hassrn, par ses rayons abiotiques différentiels, leur interdit l’entrée. En plus de nos camarades de labo, Souilik et Essine venaient souvent nous rejoindre à ce moment-là. Les Hiss sont des nageurs incomparables. Souilik réalisa devant moi plusieurs fois quarante-sept secondes au cent mètres, pulvérisant en se jouant notre record du monde.

Les Hiss, comme les Sinzus, pratiquent très volontiers les exercices physiques. Nettement moins forts que les Terriens, ils nous dépassent de loin par la souplesse. Las d’être surclassé par eux à la nage, à la course, au saut, j’introduisis sur Ella le lancement du poids, du disque et du javelot, ou plutôt je les réintroduisis, car autrefois les Hiss avaient pratiqué des sports analogues.

À la nuit, nous rentrions chez nous en réob. Souilik m’apprenait à reconnaître les étoiles de leur ciel. Nous restions parfois très tard à les contempler à l’œil nu ou dans une petite lunette. Les Hiss sont un peuple cosmique: chez eux, même les enfants connaissent les constellations. C’est une matière d’examen. Parfois Ulna et son frère nous rejoignaient dans un petit engin en forme de torpille, beaucoup plus rapide que les réobs, mais bien moins stable.

Pendant que je travaillais dans mon équipe à essayer de protéger les Hiss contre le rayonnement mislik — nous avions obtenu quelques faibles résultats —, Souilik et des centaines d’autres jeunes commandants de ksills s’entraînaient à manier les armes qui serviraient dans la grande lutte. Une île fut évacuée, au large, dans la mer Verte, et reçut un déluge de projectiles variés, de la bombe atomique, modèle terrestre, jusqu’à des engins de destruction dont nous n’avons heureusement pas idée sur Terre, et dont je te décrirai les effets le moment venu.

Puis un jour je reçus l’ordre d’apprendre à manœuvrer un ksill. Rude tâche, que je mis plus de trois mois à mener à bien. Diriger un tel engin dans l’Espace n’est guère plus difficile que de piloter un réob. La difficulté, c’était le passage dans l’ahun, et je ne décrochai que le brevet de deuxième classe, quelque chose correspondant à notre « capitaine au cabotage ». Néanmoins j’appris à partir par l’ahun et à revenir par tâtonnement, surgissant çà et là dans l’Espace. Je ne dépassai jamais le quatrième univers. Aller plus loin d’un seul trait, et surtout en revenir, exigeait des capacités mathématiques que je ne possède pas. Je n’ai strictement rien compris à la théorie de l’ahun, et je me servais du ksill comme beaucoup de femmes terrestres, qui conduisent convenablement leur voiture sans rien comprendre au moteur à explosion.

Si étrange que cela paraisse, il me fut beaucoup plus facile, plus tard, de commander l’astronef sinzu. Au dire des Hiss et des Sinzus, leurs procédés de passage par l’ahun — que les Sinzus nomment le Rr’oor — sont complètement différents. Ils ne sont même pas sûrs que ce soit le même ahun ! En effet, un ksill et l’astronef, voguant de concert dans l’espace et passant simultanément dans l’ahun, y demeurant le même temps interne, ne se retrouvent pas ensemble quand ils en émergent. La différence peut atteindre, pour de longues distances, un quart d’année-lumière !

Je me souviens très nettement d’un soir de cette période. Par exception Souilik, Essine et moi-même étions restés passer la nuit à la Maison des Étrangers. Nous étions assis sur la plage, attendant Ulna et Akéion. Souilik venait de m’avertir officiellement de son proche mariage avec Essine, mariage où je devais jouer le rôle de « stéen-sétan ». Ulna arriva seule et s’assit près de moi. Le ciel était particulièrement pur, et les étoiles brillaient, serrées. Souilik me posa quelques questions, et je dus désigner Oriabor, jaune rougeâtre, Schéssin-Siafan, rouge, Béroé, bleuté, tous trois de la constellation de Sissantor, etc.

« Ne tourne pas la tête: quelle est la grosse étoile très bleue qui doit briller actuellement derrière toi, à environ trente degrés sur l’horizon ?

— Kalvénault », fis-je d’un ton triomphant. Et je me retournai pour vérifier.

« Mais à vrai dire, ajoutai-je, je ne la trouve pas particulièrement bleue.

— Oh ! Cela dépend un peu de sa hauteur sur l’horizon, dit-il sans regarder. Je suis allé une fois sur une planète de Kalvénault. Elle est inhabitée, mais très belle ».

Puis Akéion arriva accompagné de quelques Sinzus, et nous parlâmes d’autre chose.

Depuis, j’ai souvent pensé que je devais être le premier à avoir remarqué l’anomalie de Kalvénault. En effet, étoile très proche, à moins de six années-lumière, archiconnue, elle était rarement observée par les Hiss, tant astronomes que simples citoyens.

Le mariage de Souilik eut lieu environ deux mois elliens après cette soirée. Il y a sur Ella deux sortes de mariages. Le plus simple ne comporte que la comparution des deux fiancés devant un membre du service de l’état civil. Le deuxième, beaucoup plus complexe, se fait selon les rites antiques. Ce fut le cas pour celui de Souilik, car il épousait la fille d’un grand ordonnateur des Émotions mystiques, nous dirions un grand prêtre.

Comme je devais jouer le rôle de stéen-sétan, deux jeunes prêtres hiss vinrent, huit jours avant la cérémonie, m’apprendre les coutumes. Autrefois, à l’époque des guerres proto-historiques, il arrivait fréquemment que les mariages entre gens de tribus différentes soient troublés par des guerriers qui s’opposaient au départ de la fille de leur clan. Aussi le fiancé choisissait-il, dans le clan de sa fiancée, ou dans un autre, mais nécessairement en dehors du sien, un stéen-sétan chargé de protéger les jeunes époux pendant les trois jours que duraient les cérémonies. Ce stéen-sétan était le plus souvent un guerrier connu pour ses exploits, parfois un chef influent, ou un prêtre. Bien entendu, de nos jours, il ne s’agit plus de combats armés, mais, l’excitation des boissons aidant, de sérieuses bagarres éclataient parfois. De plus, l’enlèvement de la fiancée, ne serait-ce que pour une minute, annule les cérémonies. Souilik m’avait élu en tant qu’ami, mais aussi à cause de ma force supérieure de Terrien. Je me mis donc à recruter, parmi les familiers d’Essine, les onze aides auxquels j’avais droit, et je les pris solidement bâtis.

Les premiers rites se déroulèrent dans la maison d’Essine et furent strictement privés. Seuls y assistèrent les membres de la famille, les prêtres et moi-même, en tant que stéen-sétan. Ils furent très simples: de longues prières pendant lesquelles Souilik s’ennuyait, si Essine et les autres étaient réellement recueillis, quelques chants très archaïques, sans aucun de ces brusques passages de l’aigu au grave qui caractérisent la musique hiss contemporaine. On alluma une flamme verte — couleur de sang ! — qui devait brûler pendant trois jours. Le second jour eut lieu la petite promesse: les deux époux se juraient aide et protection, mais non fidélité — en fait, elle est la règle. Puis eut lieu le petit banquet, où ne figurèrent que les amis intimes. C’est le troisième jour que mon rôle devait cesser d’être de tout repos.