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Je l’interrompis:

« J’ai dans ma valise un enregistreur magnétique. Puis-je enregistrer ton laïus ?

— Si tu veux. Cela sera même utile ».

À peine l’appareil en place, il commença. Au moment où il prononçait les premiers mots, mon regard tomba sur la main d’Ulna, posée sur le bras de son fauteuil. Je compris pourquoi cette main m’avait paru si allongée: elle ne comportait que quatre doigts !

CHAPITRE I

RÉCIT DU DOCTEUR CLAIR

Comme tu le sais, commença Clair, je suis un grand chasseur. Ou du moins c’est la réputation que j’ai, quoique je tire rarement un coup de fusil. Une certaine adresse naturelle, mêlée à beaucoup de chance, font que je suis censé ne jamais revenir bredouille. Or le 1er octobre dernier — retiens bien cette date —, à la tombée de la nuit, je n’avais encore rien tiré. En temps ordinaire je ne m’en serais guère soucié, préférant voir vivre les animaux plutôt que de les tuer — j’en tue bien assez, hélas ! Pour mes expériences. Mais j’avais invité pour le surlendemain le maire de Rouffignac, ayant besoin de sa coopération pour un projet maintenant dépassé. Or cet homme aime le gibier. Je me décidai donc à un petit braconnage au phare. Comme le soleil venait de se coucher, je traversai la clairière au Magnou, en pleine forêt. Tu la connais comme moi: couverte d’ajoncs et de bruyères, au milieu des chênes et des châtaigniers, elle ne manque pas de pittoresque le jour, mais, à la nuit tombante, elle est sinistre. Je ne suis pas impressionnable, mais je me hâtai. Comme j’allais rentrer sous bois, je me pris les pieds dans une souche: ma tête porta contre un chêne, je m’assommai et m’évanouis fort proprement.

Quand je revins à moi, je ne murmurai pas le classique « où suis-je ? » Une douleur lancinante parcourait ma tête, mes oreilles bourdonnaient, et, pendant un instant, j’ai craint la fracture du crâne. Heureusement il n’en était rien. Ma montre marquait une heure du matin, la nuit était noire, et le vent soufflait, faisant craquer les arbres. Puis, au-dessus de la clairière, la lune illumina un nuage noirâtre, le bordant d’une féerique dentelle lumineuse. Je m’assis, cherchant mon fusil, que j’avais par bonheur déchargé avant ma chute. Je tâtonnai un moment dans les herbes humides et les branchages pourris, avant de le trouver. M’en servant comme d’une canne, je me dressai lentement, la face tournée vers la clairière. À mesure que je me dressais, mon rayon visuel s’agrandissait, et c’est alors que je vis la chose.

Ce fut d’abord pour moi une masse noire, une sorte de dôme montant au-dessus des bruyères et des ajoncs, masse indistincte dans la faible clarté. Puis la lune se dégagea un instant de ses voiles, et j’entrevis l’espace d’un éclair une carapace bombée, luisant comme du métal. Je t’avoue que j’eus peur. Cette clairière au Magnou se trouve à une bonne demi-heure de marche à travers bois de la route la plus proche et, depuis que le vieil original qui lui a donné son nom est mort, il n’y passe pas un homme par semaine. Tout doucement j’avançai jusqu’à l’extrême bord du bois et, me cachant derrière un châtaignier, épiai la clairière. Rien ne bougeait. Pas une lumière. Rien que cette énorme masse indécise, obscurité plus dense sur l’obscurité du bois.

Puis brusquement, le vent cessa. Dans le silence à peine rompu par quelques craquements de branches sèches, loin dans le bois — quelque sanglier en vadrouille — j’entendis des gémissements très bas.

Je suis médecin. Quoique mal en point moi-même, il ne me vint pas à l’idée de ne point porter secours à l’être qui gémissait ainsi, d’un gémissement d’homme, et non d’animal. Cherchant ma torche électrique, je l’allumai et la braquai devant moi. Le faisceau lumineux accrocha des reflets sur une énorme carapace métallique, lenticulaire, dont je m’approchai le cœur battant. Les plaintes venaient de l’autre côté. Je fis le tour de l’engin, m’empêtrant dans les bruyères, me piquant aux ajoncs, trébuchant, sacrant, flageolant encore sur mes jambes, soudain dévoré d’une curiosité qui balaya ma peur. Les gémissements devinrent plus distincts, et je me trouvai devant une porte métallique, trappe ouverte sur l’intérieur de la chose.

Ma lampe éclaira une courte coursive, absolument nue, fermée par une cloison de métal blanc. Sur le parquet métallique gisait un homme — ou du moins je crus d’abord que c’était un homme. Ses longs cheveux étaient blancs, et il me parut vêtu d’un maillot collant de couleur verte, luisant comme de la soie. D’une blessure à la tête coulait goutte à goutte un sang sombre. Comme je me penchais sur lui, ses plaintes cessèrent, il eut un bref frémissement et mourut.

Je pénétrai alors jusqu’au fond de la coursive. La paroi était unie, sans solution de continuité, mais j’aperçus sur la droite, à hauteur de la main, une saillie rougeâtre sur laquelle j’appuyai. La paroi se fendit en deux, et un flot de lumière bleutée m’éblouit. Tâtonnant, je fis deux pas en avant, et entendis la cloison se refermer derrière moi.

Protégeant mes yeux de ma main, je les ouvris lentement, et vis une pièce hexagonale, de cinq mètres environ de diamètre pour deux mètres de haut. Les murs étaient couverts d’appareils bizarres, et, au milieu de la pièce, sur trois fauteuils très bas, trois êtres étaient affalés, morts ou évanouis. Je pus alors les examiner à mon aise.

La première chose dont je me convainquis, c’est que ce n’étaient pas des hommes. La forme générale est analogue à celle de notre espèce: corps élancé, avec deux jambes et deux bras, et tête arrondie portée par un cou. Mais que de différences de détail ! Leur stature est plus gracile que la nôtre, quoiqu’ils soient de haute taille ; les jambes sont très longues, fines, les bras plus longs aussi ; les mains, grandes, possèdent sept doigts subégaux, dont, je le sus plus tard, deux sont opposables. Le front étroit et haut, les yeux immenses, le nez petit, les oreilles minuscules, la bouche aux lèvres minces, la chevelure d’un blanc platiné donnent à leur physionomie un aspect étrange. Mais le plus étrange est leur couleur de peau, d’un délicat vert amande, à reflets soyeux. Ils ne portaient comme vêtements qu’un maillot collant, vert également, sous lequel se dessinait leur longue musculature souple. Un des trois êtres étendus là avait une main fracassée, d’où le sang dégouttait sur le plancher, en tache verte.

Un moment indécis, je m’approchai de celui qui était le plus près de la porte, et touchai sa joue. Elle était tiède, ferme sous le doigt. Débouchant ma gourde, j’essayai de lui faire avaler une gorgée de vin blanc. La réaction fut prompte. Il ouvrit des yeux d’un vert pâle, me fixa une ou deux secondes, puis se dressa et courut vers un des appareils du mur.

Je jouais au rugby il y a quelques années encore, mais je crois n’avoir jamais réussi un si rapide placage de ma vie. En un éclair la pensée qu’il courait chercher une arme m’avait traversé l’esprit, et je ne voulais point le laisser faire. Il résista peu de temps, avec énergie, mais sans grande force. Comme il avait cessé de se débattre, je le lâchai, et l’aidai à se relever. C’est alors que la plus extraordinaire des choses se produisit: l’être me regarda en face, et je sentis se former en moi des pensées qui m’étaient étrangères.

Tu le sais, j’ai joué un certain rôle dans la polémique qui a opposé autrefois les médecins de ce département à ce charlatan qui prétendait guérir les aliénés en rééduquant leur cerveau par transmission de pensée. J’avais écrit sur cette question deux ou trois articles que je jugeais définitifs, réglant une fois pour toutes le problème et le rejetant au rang des balivernes sans fondement. C’est te dire qu’à mon ahurissement se mêla quelque dépit, et, pendant une ou deux secondes, j’envoyai mentalement au diable l’être qui était là et qui me prouvait mon erreur. Il s’en rendit compte, et quelque chose comme une expression de crainte passa sur son visage mobile. Je m’employai à le rassurer, disant à haute voix que je n’avais aucune intention mauvaise.