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L’astronef partit à l’aube, laissant sur Ella Ulna et Akéion, ainsi qu’une cinquantaine de Sinzus. À midi, Souilik et Essine arrivèrent et nous partîmes pour l’île Aniasz, point de concentration de la deuxième escadre. Nous y arrivâmes neuf heures après, l’île se trouvant de l’autre côté d’Ella.

La deuxième escadre comprenait 172 ksills de types variés, allant du ksill léger, comme celui qui m’avait amené de la Terre, aux énormes ksills lourds de plus de cent cinquante mètres de diamètre, montés par un équipage de soixante Hiss, et formidablement armés. Nous marchâmes un moment au milieu de ces engins, jusqu’à ce que Souilik nous désigne un ksill du modèle moyen:

« Le nôtre. Le « navire amiral », dit-il, mi-plaisant, mi-orgueilleux.

Curieux navire, et curieux équipage: il comprenait Souilik, chef d’escadre, Snezin, chef de bord, dix Hiss, Ulna. Akéion, Hérang, jeune physicien sinzu, et moi-même, formant à nous quatre la « compagnie de débarquement », et, à notre surprise, Beichitinsiantorépanséroset, la jeune Hr’ben et un autre Hr’ben, Séférantosinanséroset: ils devaient essayer une arme non thermique qu’ils avaient mise au point dans les laboratoires de Réssan. D’un commun accord, Hiss, Sinzus et « Tsérien », nous amputâmes leurs noms trop longs et les appelâmes respectivement Beichit et Séfer.

Pendant les jours suivants, nous nous entraînâmes, sous la conduite des Hiss, à l’emploi des armes et au maniement des ksills. Hérang, Ulna et Akéion, habitués à passer dans l’ahun selon la méthode sinzue, assimilèrent très vite les manœuvres et me dépassèrent promptement. Ils m’étaient également supérieurs, évidemment, dans le maniement des armes sinzues, mais je les surclassai dans celui des armes hiss. Quant à l’arme inventée par les Hr’ben, nous ne l’essayâmes pas, car elle ne pouvait être efficace que contre les Misliks.

Au matin du sixième jour, nous fûmes convoqués à la Maison des Sages. Nous nous y rendîmes en ksill, à une prodigieuse vitesse. Les éclaireurs venaient de rentrer: 24 ksills sur 102. Comme l’avait prévu Assza, les pertes avaient été lourdes. Kalvénault était presque éteint, quoique sa lumière nous parvînt encore éclatante, à peine rougie, au bout de cinq ans. Souilik eut un petit frisson rétrospectif quand il comprit que, lors de son voyage sur Rissman, les Misliks étaient déjà à l’œuvre depuis deux ans sur les planètes Six et Sept. Actuellement, leur sol glacé grouillait de Misliks. Comme dans le cas du soleil Sklin, ils y avaient construit de formidables pylônes métalliques. Il ne fallait pas songer à les surprendre, car des groupes de neuf Misliks patrouillaient dans le vide interplanétaire. Les ksills de reconnaissance avaient pu bombarder les pylônes de Six, mais n’avaient pu approcher de Sept. Notre rôle consisterait à briser les défenses de Sept, à débarquer — les Sinzus et le Tsérien —, à tenter de détruire les mystérieux pylônes et à revenir — si nous le pouvions. Nous disposerions pour cela de véhicules blindés, qui nous mettraient plus ou moins à l’abri du choc des Misliks.

Dire que ce programme m’enthousiasma, ce serait mentir. L’idée de débarquer sur ce monde inconnu, pour affronter l’inimaginable, avec pour compagnons des êtres que je connaissais à peine, me glaçait d’effroi anticipé. Mais je ne pouvais guère reculer. J’étais l’hôte des Hiss, j’avais été accepté comme l’un des leurs, ils m’avaient confié beaucoup de leurs secrets. Enfin j’étais insensible au rayonnement mislik, tandis que Souilik et Essine, pour qui le même rayonnement était mortel, n’hésitaient pas une seconde. Et tout compte fait, en défendant Ialthar je défendais notre soleil, la possibilité de survie de notre humanité. J’acceptai donc.

Nous partîmes le lendemain matin. Le passage dans l’ahun fut extrêmement bref, et nous émergeâmes dans l’Espace, près de l’orbite de Rissman, la planète Trois du système de Kalvénault.

Ne va pas conclure de tout ce que je t’ai raconté sur les systèmes planétaires que chaque étoile a son cortège de planètes. En réalité, ils sont relativement rares. Une étoile sur 190, d’après les Hiss, comporte des planètes. Deux planètes sur dix en moyenne sont habitables, et, parmi ces planètes habitables, une sur mille environ porte des êtres que l’on peut qualifier d’humains. La planète Rissman entrait dans la catégorie des planètes habitables, mais non habitées, si ce n’est par des formes primitives de vie, homologues de celles qui fleurirent sur Terre au Cambrien.

La concentration des forces eut lieu sur Rissman. C’était un monde de taille intermédiaire entre notre Terre et Mars Solis. Avant l’invasion mislik, elle avait été éclairée par un radieux soleil bleu, un des plus beaux du premier univers d’après Souilik. Mais maintenant Kalvénault brillait dans le ciel comme un œil sanglant, rouge sombre. Le sol était recouvert de neige et de gaz carbonique liquéfié. La température était déjà de moins cent degrés, toute forme de vie avait disparu, sauf peut-être au plus profond des océans gelés.

Je ne saurais dépeindre la désolation de notre camp: imagine une vaste plaine morne, s’étendant à l’infini dans la demi-obscurité rougeâtre. Par-ci, par-là, quelques tumulus de neige accumulée, en diverses hauteurs, imprécises et molles. Égaillées entre eux, les lentilles aplaties des ksills, taches à la fois brillantes et sombres, entre lesquelles circulaient de minuscules silhouettes engoncées dans des scaphandres. À mesure que Kalvénault descendait vers l’horizon plat, sa lumière s’étalait en reflets pourpres sur la glace, pareils à des doigts sanglants pointés vers nous. Je me sentais loin de la Terre, petit être dérisoire perdu dans le vaste univers, à des milliards de kilomètres de ma planète natale. Il me venait une impression de fin du monde, d’Apocalypse, d’exil hors du temps. Les Hiss eux-mêmes me parurent alors étrangers, fils d’un monde sans aucune commune mesure avec le mien. Ulna devait ressentir des sentiments analogues, car je la vis pâlir et trembler. Akéion et l’autre Sinzu restaient immobiles devant l’écran, le visage fermé, muets.

Dans la salle de commandement, le seall, j’entendis Souilik qui radiodiffusait ses ordres. Sa voix sonnait calme et froide, mais je pouvais y percevoir la légère vibration qui, chez les Hiss, indique l’exaltation. C’était son premier commandement important et, sans se faire beaucoup d’illusions sur ses chances de revoir Ella, il éclatait de joie d’être à la tête de la première vague d’assaut, lui, le jeune découvreur de planètes.

Je m’assis dans un fauteuil, récapitulant tout ce que j’avais appris les jours précédents sur le maniement des armes que j’aurais bientôt à employer, et la conduite du sahien, l’engin blindé qui essayerait de nous protéger des Misliks. Une main toucha mon épaule, et Ulna me dit en hiss:

« Ne veux-tu pas descendre sur Rissman ? Souilik vient de déclarer que nous partons dans une basike ».

Sa voix chantante rendait plus fluides encore les syllabes hiss. Elle était penchée vers moi, ses longs cheveux blonds tombant de chaque côté de son visage doré, étrangement humain parmi les Hiss aux figures vertes. Comprenant mon désarroi, elle me sourit, de ce merveilleux sourire des filles sinzues que tu peux voir actuellement sur ses lèvres.

— Soit, dis-je, sortons.

— Ne t’attarde pas, me cria Souilik. Nous partons bientôt. Ah ! Si tu avais pu voir Rissman avant … Mais maintenant c’est fini à jamais », ajouta-t-il plus bas.

Nous ne nous dîmes pas grand-chose, Ulna et moi, au cours de cette brève promenade sur le sol gelé de Rissman, entre les ksills. Pourtant de ce moment date sans doute notre entente. Il n’est pas facile d’être intime avec un Sinzu. Leur orgueilleuse réserve est bien loin de la cordialité un peu indifférente de la majorité des Hiss. Mais quand ils donnent leur amitié, c’est à jamais. Comme nous rentrions, Ulna glissa et tomba. Je me précipitai pour la relever. Je sentis dans mes bras, sous son scaphandre, son corps souple, et je vis à travers la vitre ses yeux plongés dans les miens. Je compris alors que, malgré les milliers d’années-lumière qui séparent sa planète de la mienne, elle m’était plus proche, plus chère que toutes les filles des hommes que j’avais connues sur Terre.