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« Nous approchons du but, me dit Azzlem. Peut-être un jour, nous Hiss, serons-nous aussi résistants que vous, Tsériens et Sinzus. Après une injection de bsin — ton bsin, Slair — ma fille Senati supporte depuis deux basikes une intensité qui autrefois eût été dangereuse, sinon mortelle. Hélas ! Sitôt que nous dépassons le degré trois, le rayonnement de trois misliks, la protection cesse. Mais ce n’est point pour cela que je t’ai fait venir. Tu as ramené le corps de Missan, le seul rapporté sur Ella. Les autres resteront sur la planète maudite, jusqu’à ce que nous ayons pu en chasser les Misliks. Missan était le fils de mon ami Stensoss, mort avant ton arrivée, à bord de son ksill, quelque part dans l’Espace. En vertu de nos vieilles coutumes, celui qui ramène le corps d’un Hiss tué au combat devient le fils des parents du mort, et le frère de ses frères. Désormais tu pourras dire, sans que personne songe à rire: « Nous, les Hiss ». C’est une étrange destinée que la tienne, ô Tsérien ! Te voilà à la fois Tsérien, Sinzu et Hiss, fils de trois planètes. Va, tu dois assister aux funérailles de ton frère, dans la maison qui est désormais la tienne. Essine te conduira.

— Où est Souilik ? Demandai-je.

— Il est reparti pour Kalvénault, à la tête de mille ksills. Comme il n’est pas besoin de débarquer, aucun Sinzu ne l’accompagne. Ne t’inquiète pas, ils bombarderont de très loin ».

Je partis en réob avec Essine et Ulna. J’appris que Missan avait été un jeune étudiant prodigieusement doué, qu’Azzlem aurait voulu tenir à l’écart des dangers de la guerre. Mais la loi hiss était inexorable: en cas d’alerte, nul volontaire ne pouvait être écarté, et Missan avait été volontaire. Il n’avait plus ni père ni mère, mais une sœur aînée, Assila, « ingénieur » à une grande usine de nourriture.

Sa demeure se situait dans l’île de Bressié, à six cents brunns au nord de la Maison des Sages — j’ai omis de te dire que sur Ella il n’y a guère de continents, mais un très grand nombre d’îles, de surface variant entre celle de l’Australie et celle de l’île Jersey, sans compter les îlots. C’était une petite maison rouge, sur une colline, face à la mer.

Essine me présenta « ma sœur », une jeune fille à la peau vert pâle, au regard étrange: ses yeux, au lieu d’être du gris vert habituel des Hiss, étaient couleur d’émeraude. Elle m’accueillit comme si j’étais vraiment son frère, les mains en coupe devant son visage, salutation qui n’est usitée qu’entre membres de la même famille.

Les funérailles hiss sont d’une imposante simplicité. Le corps de Missan fut placé sur une plate-forme métallique, devant la maison, sous le ciel. Un prêtre hiss dit de courtes prières. Puis, guidé par Essine, je pris la main d’Assila, nous nous approchâmes et appuyâmes conjointement sur un petit levier. Nous reculâmes. Il y eut une courte flamme brillante, et l’estrade fut vide. Le prêtre se tourna vers les assistants et demanda:

« Où est Missan ?

— Parti dans la Lumière », répondirent-ils. Et ce fut tout.

Selon la coutume, je restai cinq jours dans la maison. Ulna et Essine repartirent le soir, et je me trouvai seul avec Assila. Quoiqu’elle présentât au regard l’impassibilité habituelle des Hiss, je sentais qu’elle souffrait, mais je ne savais que dire, trop ignorant de l’histoire, des usages, des sentiments des Hiss. Je compris alors à quel point mon assimilation était superficielle. J’errai mélancoliquement dans cette maison inconnue, furieux contre cette coutume hiss, gêné, malheureux moi-même. Des heures passèrent, sans que je puisse me résoudre à aller me coucher dans la chambre qui était désormais la mienne de plein droit. Tout était silencieux. Assila était assise dans la salle commune, muette. Je m’assis à mon tour, et ainsi nous passâmes la nuit. J’ai rarement senti à un si haut degré mon isolement sur cette planète étrangère que devant cette fille hiss, au cours de cette veillée funèbre.

Puis, au matin, elle parla. Sans larmes, sans sanglots, elle me raconta la vie de ce jeune frère si doué, si plein d’avenir, tué à son premier combat. Onze membres de sa famille, déjà, étaient morts dans la lutte contre les Misliks. Elle se reprochait amèrement de ne pas être partie avec lui, de ne pas être morte avec lui. Elle l’avait aimé farouchement, voyant en lui un futur Sage, un de ceux qui honorent la race. Elle se souvenait de ses succès à l’université, de ses jeux quand il était enfant, du premier amour dont elle avait été la confidente, elle, la sœur aînée. Et de tout cela il ne restait rien, rien, que la phrase consacrée: Parti dans la lumière.

À mesure qu’elle parlait, les barrières qui me séparaient des Hiss s’effondraient. Ces mots, n’importe quelle femme de la Terre aurait pu les dire. Et comme devant le Mislik, dans la crypte de l’île Sanssine, je compris que, d’un bout à l’autre de l’Univers, la douleur et l’angoisse sont les mêmes. Je trouvai des paroles de consolation, oubliant tout à fait qu’entre Assila et moi se creusait l’abîme de millions d’années-lumière. Et ce n’est pas la moins étrange de mes expériences.

Puis, avec cette surhumaine maîtrise de soi-même qu’ont les Hiss, elle se leva, s’occupa de notre repas.

Je restai encore quatre jours avec elle. Puis je rejoignis la Maison des Étrangers de la presqu’île d’Essenthem. Mais, tous les huit jours, je passais une soirée avec Assila. Petit à petit je considérai cette maison de l’île Bressié comme la mienne, et Assila comme une proche parente. Actuellement, dans ma chambre, se trouvent encore mes livres, mes notes, les quelques bibelots que j’ai accumulés sur cette planète Ella. Et je suis sûr que, de temps en temps, « ma sœur » Assila demande aux Sages si je vais bientôt revenir.

Entre-temps les planètes Six et Sept avaient été nettoyées de tout Mislik. C’était malheureusement trop tard pour Kalvénault, qui continuait lentement à s’éteindre. Les quelques Misliks qui avaient réussi à s’implanter sur une planète glacée d’El-Toéa furent exterminés, assez tôt pour que ce soleil ne s’éteignît point. Quant à Asselor, il ne possédait point de planètes, et son spectre redevint normal sans qu’aucun Sage puisse en donner la raison.

Il est heureux que les Misliks soient obligés, pour vivre, de prendre souvent contact avec une planète. Ils peuvent parfaitement vivre dans l’Espace vide, mais seulement quelques heures. Comment parviennent-ils à passer d’étoile en étoile, et surtout de galaxie en galaxie ? C’est encore un profond mystère. Toutes les tentatives de les détecter dans l’ahun sont restées vaines. Certains savants hiss pensent qu’il doit exister plusieurs ahuns: les Hiss utiliseraient l’un, les Sinzus l’autre, les Misliks un troisième. Pour ma part, je n’ai pas d’opinion, mais dire qu’il existe trois néants différents me semble un non-sens.

Dans l’entourage des Sages, on commençait à parler du grand projet. Pendant longtemps, je ne pus savoir de quoi il s’agissait. Ni Souilik ni Szzan n’étaient dans le secret. Assza restait impénétrable. Ulna n’en savait pas plus que moi. L’astronef sinzu revint, accompagné de vingt-neuf autres qui atterrirent dans l’île Inoss, à peu de distance de la Maison des Sages. Ils restèrent peu de temps, puis filèrent sur Réssan pour débarquer cinq mille Sinzus, noyau de la future colonie d’Ellarbor. Seuls demeurèrent sur Ella, Hélon, Akéion, Ulna et l’équipage du « Tsalan ». Ella est absolument réservée aux Hiss, et c’était un grand privilège dont bénéficiaient Ulna et sa famille. Pour moi, la question ne se posait plus: j’étais un Hiss.

Je fus finalement mis au courant du grand projet par Azzlem lui-même: il consistait à envoyer un ksill explorer une galaxie maudite, c’est-à-dire une galaxie entièrement colonisée par les Misliks. On choisit une galaxie située au-delà de l’univers des Kaïens, les géants aux yeux pédonculés.