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Quelle étrange race que celle des Kaïens ! Ils mesurent à peu près deux mètres trente de haut, ont la peau verdâtre, un crâne chauve et rond, des yeux glauques pédonculés, pas de nez, et une bouche largement fendue garnie de dents minuscules et très nombreuses. Malgré leurs bras et leurs jambes longs et grêles, ils donnent l’impression d’être presque aussi larges que hauts. Je ressentis immédiatement pour eux une aversion irraisonnée, que toute leur amabilité ne put jamais vaincre. Il en fut de même pour Akéion et Ulna, et même pour Essine. Souilik, lui, les connaissait depuis ses mystérieux voyages, et avait des amis parmi eux. Leur civilisation est particulière: médiocres astronomes, physiciens passables, ils sont de prodigieux chimistes. Utilisant très peu le métal, leur industrie est tout entière fondée sur les matières plastiques de synthèse. Sur le plan spirituel ils ont, m’assura Souilik, de remarquables poètes, de profonds philosophes, des peintres et sculpteurs éminents. Mais je ne puis en juger, n’ayant jamais séjourné que quelques heures sur la planète Sswft.

Nous ne nous éloignâmes pas de notre ksill. Il reposait sur un vaste espace nu, sur lequel atterrissaient de nombreux engins volants, de type hélicoptère, entièrement en matière plastique transparente, moteur compris. Nous nous assîmes dans une légère construction, analogue à quelque « bar de l’escadrille », où l’on nous servit une excellente boisson verte. Souilik discuta un moment avec trois Kaïens, puis nous restâmes seuls. À distance, contenue par des gardes armés, une foule dense nous contemplait, et contemplait les deux ksills. Le vent nous apportait par bouffées son odeur épicée.

Nous fûmes longtemps silencieux. Tout avait été dit. Souilik nous quitta, accompagné d’Akéion. Ils allaient vérifier une dernière fois le Ulna-ten-Sillon. Machinalement, je chargeai et déchargeai mon pistolet thermique. Essine parlait bas à Ulna et Beichit, et elles pouffèrent en me regardant.

Souilik revint.

« Frère, c’est le moment. Rappelle-toi que le Conseil veut des renseignements, et non des exploits. Reviens. Soyez prudents ».

Penché vers moi, il ajouta à voix basse:

« Les Sinzus sont trop braves. Modère Akéion ! »

Nous arrivâmes près du ksill. Souilik me mit une dernière fois la main sur l’épaule, puis partit en courant. De loin, Essine et Beichit saluèrent. Ulna était déjà dans le ksill. Je me courbai, et y pénétrai à mon tour, le cœur battant.

La porte était à peine fermée que nous décollâmes. Il avait été convenu avec Souilik que nous resterions exactement deux basikes et demie dans l’ahun, et que nous ne changerions de direction sous aucun prétexte, de façon que les Hiss sachent où venir nous chercher, en cas d’accident. Nous ne devions pas rester absents plus de vingt jours elliens.

Nous sortîmes de l’ahun au moment convenu. Sur les écrans de vision, tout était d’un noir d’encre, tacheté de pâles lueurs ovales: les galaxies encore vivantes. Une d’elles, plus proche, couvrait à peu près la surface de la lune. Akéion me la montra:

« L’univers des Kaïens, je suppose. Nous en venons ».

Si, par magie, nous avions eu à notre disposition un télescope de puissance infinie, nous aurions vu cet univers non point qu’il était « à présent », mais tel qu’il était plus de cinq cent mille ans avant !

Sur l’écran spécial, fonctionnant selon le principe du radar, les ondes sness, se propageant dix fois plus vite que la lumière — eh oui ! La théorie d’Einstein est non point fausse, mais incomplète —, dessinaient le cercle d’une planète.

« La planète de taille convenable la plus proche, a dit Souilik, remarqua Ulna. Celle-ci semble faire l’affaire.

— Nous descendons, répondit Akéion. Aux postes de combat ! »

Je m’assis devant la table de commande des armes. Ulna prit le guet. Devant moi, sur un écran, se reflétait tout l’espace environnant, dans les quatre directions cardinales, plus le zénith et le nadir. Ulna disposait d’un écran plus sensible, qui permettait de grossir à volonté telle ou telle zone. Sauf la tache de la planète, rien n’était visible.

« Nous allons survoler à faible hauteur. Clair, la zone de chaleur ! »

J’abaissai le levier correspondant. Notre ksill s’entoura immédiatement d’une zone portée à 300 degrés absolus, ou plutôt d’une zone dans laquelle tout objet aurait été porté immédiatement à 300 degrés. Nul Mislik ne pouvait nous approcher sans périr, et cette température restait suffisamment basse pour ne point nous incommoder si nous sortions en scaphandre.

La surface de la planète emplissait maintenant tout l’écran du nadir, et on commençait à percevoir des détails: chaînes de montagnes, anciennes rivières gelées, larges surfaces plus lisses qui avaient sans doute été des océans. Nous descendions toujours.

Sur la rive d’un de ces océans morts, je remarquai une vaste forme pyramidale, extraordinairement régulière. Je la signalai à Ulna qui, modifiant le réglage, put la discerner en détail. Et je l’entendis murmurer:

« Seigneur Étahan ! C’était une planète humaine ! »

C’était une ville, en effet, ou tout au moins ce qui en restait. Elle grossissait rapidement et sa forme générale pyramidale se résolvait à mesure en clochetons, en obélisques s’élançant furieusement vers le ciel noir, de plus en plus hauts, de plus en plus serrés en approchant du centre. Elle devait couvrir des milliers d’hectares, et son plus haut clocher culminait à plus de mille mètres.

Je restai rêveur: quelle fantastique civilisation, abolie depuis des millions et des millions d’années, avait construit cette cité ? Tu le sais, j’ai toujours été passionné pour l’archéologie. Il me prit une envie invincible de débarquer: Je le dis à Akéion.

« Nous allons d’abord faire le tour de la planète. Si nous ne voyons pas de Misliks, nous débarquerons ».

Pendant des heures défilèrent sous nos yeux les continents gelés. En maint endroit, nous vîmes des ruines, mais aucune aussi imposante. Malgré de fréquents passages au ras du sol, il nous fut impossible d’apercevoir un seul Mislik. Nous retournâmes donc vers la fantastique ville morte, que nous illuminâmes d’un rai de projecteur. Sous la lumière, les constructions étincelèrent d’air gelé et d’or.

Nous atterrîmes sur une grande place, au pied d’un clocheton dont le sommet se perdait dans le ciel. Il fut décidé qu’Ulna et moi descendrions à terre, tandis qu’Akéion resterait dans le ksill, prêt à toute éventualité. Nous revêtîmes nos scaphandres, prîmes des réserves d’air pour douze heures, de la nourriture comprimée, que l’on peut absorber à l’intérieur du scaphandre, nos armes et une bonne réserve de munitions. Puis nous sortîmes.

Nous hésitâmes un instant sur la direction à prendre. Le ksill se trouvait sur une place vaguement circulaire, surplombée de tous côtés par d’énormes constructions. Au contact de la zone chaude, l’air solide se liquéfiait, se vaporisait, et une buée nous cacha rapidement notre appareil. Nous ne nous en inquiétâmes pas, et marchâmes droit devant vous.

Nous pénétrâmes sous la voûte d’une rue couverte. Toutes les portes de métal vert étaient fermées. Elles me parurent étrangement basses par rapport à la grandeur des bâtiments. Nous continuâmes pendant un kilomètre environ, évitant de prendre les embranchements, pour ne point nous égarer. Les façades étaient désespérément nues, sans aucune inscription, sans aucune sculpture, sans rien qui puisse nous parler de cette humanité disparue. Je songeais à forcer une porte en mauvais état quand nous sentîmes le sol trembler sous nos pieds. Pressentant une catastrophe, je pris la main d’Ulna et je l’entraînai, courant vers la place. Là où se trouvait tout à l’heure le ksill, il n’y avait plus qu’un énorme entassement de matériaux divers, de pierres et de métal. Le clocheton de gauche, sous l’action de la chaleur probablement, s’était écroulé sur l’Ulna-ten-Sillon. De temps en temps, sans bruit, tombaient d’autres débris, s’accumulant en pyramide.