Выбрать главу

« Ulna, criai-je, réveille-toi ! »

La boule de feu disparut, remplacé par un ciel constellé. Puis apparut l’image d’une planète, vue de très haut d’abord, puis de plus en plus près. Sous nos yeux défilèrent des montagnes et des forêts, des océans et des plaines, tandis que la voix étrange répétait: Siphan, Siphan, Siphan. Je compris que c’était le nom de cette planète.

Le sol cessa de défiler, et nous vîmes, mais éclairée par les rayons d’un soleil éclatant, la ville dans laquelle nous nous trouvions, et dont le nom devait être Gherséa. Ses places grouillaient de véhicules et d’êtres, que nous voyions de trop haut pour bien les distinguer.

L’écran, car c’était un écran, montrait maintenant la campagne avoisinante, plantée de végétations pourpres rappelant l’arbre Sinissi d’Ella, et, à ce que me dit Ulna, le Tren-Tehor d’Arbor. Sur une route bleue filait un véhicule analogue à celui que j’examinais quand les Misliks nous avaient attaqués. Nous le suivîmes. La route escaladait une montagne jusqu’à un observatoire placé au sommet: du moins interprétâmes-nous ainsi cette construction. Pendant que défilaient ces images, nous entendions un commentaire tout à fait inintelligible pour nous. Le champ se concentra sur le véhicule, d’où sortit un être bipède, muni de quatre bras, à tête ronde. Nous ne pûmes voir ses traits. Il entra dans le bâtiment.

La projection cessa un instant, puis reprit avec une vue du soleiclass="underline" lentement, nous le vîmes perdre de son éclat, rougir. Et nous comprîmes alors que nous voyions l’histoire de la fin de ce monde. Le personnage du véhicule devait avoir été un savant, ou un homme important, car nous le revîmes à maintes reprises, parlant devant des conseils, manœuvrant d’étranges machines, commandant des armées, et, tout à la fin, tombant foudroyé dans un scaphandre transparent, devant les Misliks. Mais auparavant nous l’avions vu dirigeant des travaux, réglant de minuscules appareils, puis fermant deux portes ornées d’un soleil flamboyant, portes que nous reconnûmes immédiatement. Le film se terminait montrant un de ces étranges individus soulevant une dalle, sous le levier que j’avais actionné.

Bien entendu, une fois la stupeur passée, nous cherchâmes cette dalle: nous la trouvâmes sans peine. Elle s’ouvrait sur un escalier en colimaçon, que nous descendîmes, ayant de nouveau revêtu nos scaphandres par prudence. Nous parvînmes dans une grande pièce, illuminée d’une douce lumière verte. Une porte nous conduisit dans une autre salle, puis dans une autre, puis encore une autre, en enfilade. Si la première était vide, les autres étaient à moitié remplies de coffres massifs de métal, que nous ne réussîmes pas à ouvrir. Enfin, tout au bout, nous trouvâmes un autre escalier en colimaçon, qui nous amena, au bout d’un quart d’heure de montée, à une coupole transparente, isolée par un sas, qui donnait sur une plaine noire, en dehors de la ville. Une porte-sas permettait de sortir. Comme le sol fourmillait de Misliks, nous ne l’utilisâmes pas cette fois.

Alors commença pour nous une étrange existence, qui se prolongea pendant un mois terrestre. Nous avions maintenant de l’air en quantité, et Ulna découvrit qu’au lieu de prendre trois boîtes de munitions de réserve, elle avait pris deux boîtes seulement et une boîte de vivres comprimées. Cette boîte nous eût permis de tenir plus d’un an, mais nous n’avions de l’eau que pour deux mois. Le « sac de scaphandre » contient en effet un petit appareil ingénieux qui permet de récupérer, sur les planètes mortes, l’eau qui se trouve mêlée aux gaz liquéfiés ou solidifiés, mais la cartouche de séparation et purification ne dure qu’un mois. Néanmoins, nous pouvions maintenant espérer la venue d’une expédition de secours, car nous avions suivi scrupuleusement les instructions de Souilik.

Ulna, maintenant que nous n’étions plus en danger immédiat, donna fibre cours à son chagrin. J’essayai de la consoler: étant donné la solidité du ksill, il se pouvait parfaitement bien qu’Akéion soit encore vivant, et qu’il soit libéré en même temps que nous, dès que les Hiss arriveraient. Je ne pus la convaincre. La réalité était pourtant bien plus fantastique encore !

Nous n’avions rien à faire que manger, dormir et attendre. Nous fîmes souvent repasser le film de la fin de ce monde, que nous finîmes par savoir par cœur, et nous bénîmes maintes fois le génie qui, pour sauver la mémoire de sa race, avait fait construire ce refuge. Je me mis à observer les Misliks depuis la coupole transparente. Ils s’aperçurent vite de notre présence, mais, comprenant que leur rayonnement était sans effet, et que la coupole était trop dure pour qu’ils puissent la briser, ils cessèrent rapidement de faire attention à nous.

Je passai des journées entières, retranché derrière la solide cloison transparente, à les observer. Je me comparais à un biologiste étudiant, sous son microscope, de nouvelles formes microbiennes ou de nouveaux insectes. Évidemment, j’étais placé dans des conditions défavorables, ne pouvant expérimenter. Pendant tout le mois que dura notre captivité, nous nous acharnâmes à essayer de saisir la signification de leurs mouvements. Je peux dire, je pense, que, de tout l’univers, nous sommes les êtres qui les connaissent le mieux, excepté eux-mêmes. Eh bien, le dernier jour, nous n’étions pas plus avancés que le premier. Nous ne décelâmes rien qui ressemblât à une activité ordonnée, dans le sens que nous donnons à ce terme, rien qui ressemblât à un instinct, rien même qui rappelât un simple tropisme. Et pourtant, depuis mon expérience de l’île Sanssine, je savais qu’ils possédaient une intelligence, quoique sans aucune commune mesure avec la nôtre, et une sensibilité bien plus accessible pour nous.

Les Misliks ont, c’est évident, des organes des sens, encore que nous ne puissions même pas imaginer ce qu’ils sont: ils évitaient parfaitement bien la coupole, et ne la heurtèrent que volontairement, au début. Ils étaient certainement conscients de notre présence, et nous reconnûmes vite les « étrangers » par le fait qu’ils émettaient en passant près de nous. Certains habitaient la ville morte: nous apprîmes à les distinguer, à quelques détails des courbes de la carapace.

Voici ce que j’ai pu observer de l’existence des Misliks: ils s’agitent constamment, semblent ignorer le sommeil ; nous en suivîmes un, nous relayant, Ulna et moi, pendant plus de cinquante heures. Il ne cessa de décrire des sinuosités compliquées sur le sol, à peu de distance de la coupole. On en voit rarement d’isolés, mais on ne peut dire qu’ils vivent par groupes, car leurs bandes se désagrègent facilement, tel Mislik passant d’un groupe dans un autre sans raison apparente. Parfois ils s’agglomèrent en essaims qui comprennent jusqu’à cent individus, et qui finissent par fusionner en une seule masse métallique. L’état de coalescence dure de quelques secondes à plusieurs heures. Puis la masse se disloque. Je crus au début assister à leur mode de reproduction, mais il sort de ces essaims exactement le même nombre d’individus qu’il en est entré.

Nous étions gênés dans nos observations par la portée relativement courte de nos lampes — hors de leur rayon, tout était obscurité — et surtout par le manque d’appareils enregistreurs. J’aurais donné beaucoup pour avoir à ma disposition un casque amplificateur de pensée, tel celui que je portais dans la crypte. Alors peut-être aurais-je pu avoir quelques lueurs sur ces monstres. Mais nous étions là, derrière notre vitre, spectateurs impuissants.

À force de réfléchir, j’échafaudai cependant, sur l’origine des Misliks, une théorie que j’exposai plus tard à Assza, et qu’il jugea plausible. Tu sais évidemment qu’au voisinage du zéro absolu s’établit la supra-conductibilité, et que la résistance des métaux au courant électrique devient presque nulle. On peut imaginer que les ancêtres des Misliks, qui ont pu différer de ceux-ci autant que la première cellule vivante sur Terre diffère de nous, ont dû leur existence à un phénomène de ce genre. Un cristal de ferro-cupro-nickel, peut-être, a pu se trouver placé, sur un monde mort, dans un champ électro-magnétique variant très rapidement et de façon complexe, et une sorte de vie électrique apparaître ainsi. Une fois ceci admis, le reste de l’évolution, jusqu’aux Misliks, n’est guère plus incompréhensible que notre propre évolution terrestre. Ce bloc a pu induire à son tour cette forme particulière de vie chez d’autres blocs, des variations se sont produites, des diversifications. Si le rayonnement mortel des Misliks n’est pas électro-magnétique, il n’en reste pas moins qu’ils sont entourés également d’un puissant champ de cette nature.