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Le Tsalan avait atterri à son emplacement habituel. Je l’évitai, allai me promener sur le rivage, à l’endroit où j’avais vu Ulna pour la première fois. Que Hélon ne m’ait pas répondu immédiatement me semblait un mauvais signe. Je souhaitais et appréhendais à la fois le coucher du soleil. Le ciel était sans nuages, de la douce couleur mauve qu’il prend souvent sur Ella quand le temps est humide, au coucher d’Ialthar. Je m’assis sur le sable fin.

Derrière moi, des pas crissèrent sur le sable. Un Sinzu s’approchait, saluait:

« Song Vsévold Clair, l’Ur-Shémon t’attend », dit-il, me donnant mon titre sinzu.

Je le suivis. La proue du Tsalan étendait son gigantesque cône au-dessus de nos têtes. Hélon m’attendait dans le poste central, avec Akéion et cinq Sinzus âgés, dont Vincédom.

« Tu as demandé hier ma fille Ulna comme épouse, commença-t-il sans circonlocutions inutiles. Théoriquement, tu en as le droit ; tu es Sinzu-Then et Song. Mais, et je puis l’affirmer, ayant consulté nos amis les Hiss, ce serait la première fois que se produirait un mariage entre humanités de planètes différentes. Jusqu’à notre rencontre, nous n’en connaissions aucune qui soit assez proche de la nôtre pour qu’une telle union soit envisagée. Il n’y a jamais eu de mariages entre les Hiss et les Krens, qui leur ressemblent tant que les Hiss eux-mêmes savent à peine les distinguer de leurs compatriotes. Mais nos biologistes affirment, pour t’avoir examiné lors de ton passage dans notre hôpital, que chimiquement, ton protoplasme est indiscernable du nôtre. Tu portes du reste en toi des fragments d’os sinzus, d’artères sinzues de tissu sinzu. Ton métabolisme est identique au nôtre, tu as le même nombre de chromosomes, et probablement le même nombre de gènes. Ton cas est donc unique. La seule différence est que tu as cinq doigts, au lieu de quatre, mais nos lointains ancêtres avaient eux aussi cinq doigts. Il ne semble donc pas y avoir d’obstacles, autres que psychologiques. Mais Ulna — il sourit — consent. En conséquence je te réponds oui. Aucun mariage ne devant avoir lieu dans les familles de Shémons, en dehors de Bérisenkor, la capitale d’Arbor, vous partirez dès que les Hiss le permettront. Je dis: dès que les Hiss le permettront, car si tu es Sinzu-Ten, tu es aussi Hiss, et également Terrien. Je me demande avec anxiété, plaisanta-t-il, à quelle planète appartiendront vos enfants ! »

Pendant ce long discours, j’avais été sur des charbons ardents. La conclusion me remplit de joie. Je m’inclinai, selon le cérémonial sinzu. Remercier eût été une impolitesse: on ne remercie que pour les dons de peu de valeur.

« Je t’avertis, reprit Hélon, que selon notre coutume, tu ne dois pas chercher à revoir Ulna maintenant. Tu ne la reverras plus que le jour de votre mariage. Mais nul ne t’empêche de lui envoyer des messages ».

Je sortis du Tsalan le cœur léger. Je tombai sur l’inévitable Souilik, à qui j’appris la nouvelle.

« Tout le monde se marie donc, répondit-il. Essine et moi, Ulna et toi, et je viens de voir Beichit qui m’annonce son mariage avec Séfer. Seulement, dans ton cas, tu es en faute avec nos usages.

— Comment cela ?

— Tu as été mon stéen-sétan, et il n’y a pas un an que je suis marié. Tu me dois l’amende coutumière. Autrefois, c’eût été une lourde amende: un bloc de platine gros comme le poing ! Aujourd’hui, si tu ne le trouves pas, le premier laboratoire venu se fera un plaisir de te le fabriquer. Ton mariage aura lieu sur Arbor, je pense. Comment iras-tu ? Je sais que le Conseil tient à garder ici tous les astronefs sinzues. Veux-tu que je t’y conduise avec mon ksill ? »

Et c’est ainsi que, trois jours plus tard, nous partîmes pour Arbor, Souilik, Essine, Hélon, Akéion et moi, avec Ulna enfermée dans une pièce où je ne pouvais la voir.

Je te raconterai un jour les somptueuses cérémonies qui se déroulent au mariage de la fille d’un Ur-Shémon. Je te parlerai aussi des splendeurs de cette planète Arbor. Autant Ella est un monde calme et serein, autant les planètes mortes que j’ai visitées sont des lieux d’horreur, autant Arbor est une terre sauvage et belle, avec ses océans d’un bleu violet, ses montagnes de vingt kilomètres de haut, ses immenses forêts vertes et pourpres, sur lesquelles les Sinzus veillent avec un soin jaloux. Oh ! Je ne suis pas près d’oublier le court séjour que je fis après mon mariage dans la vallée de Tar. Nous n’y restâmes que six jours d’Arbor, c’est-à-dire à peu près huit fois vingt-quatre heures terrestres. Il y a là un bungalow réservé aux jeunes couples, au milieu d’une des forêts dont je viens de parler, à mi-pente d’un vallon encaissé où coule un torrent bleu de glacier. Quelques kilomètres plus bas, le torrent est endigué, et forme un lac sur les bords duquel se dresse la ville de plaisance de Nimoë. Et pourtant, nul Sinzu ne dépasse la limite invisible qui sépare la vallée réservée du lac. C’est une vieille coutume, qui existait je crois aussi chez nos Indiens Apaches, que les jeunes couples doivent passer quelques jours complètement isolés. À mon point de vue, c’est à inscrire à l’actif de la civilisation sinzue.

Au passif, à mon goût tout au moins, il faut porter la manie des cérémonies: aucun peuple, sauf peut-être les Chinois, n’est à ce point cérémonieux. Une fois nos six jours de solitude écoulés, il me fallut participer à toute une série de fêtes, de visites. Mon ignorance des coutumes me faisait toujours craindre de commettre des impairs, et je me sentis soulagé quand les Shémons me firent savoir que je pourrais retourner sur Ella quand il me plairait.

J’eus encore sur Arbor une étrange expérience. Akéion me conduisit un jour au principal observatoire de la planète, dans l’hémisphère austral. Et là les astronomes me montrèrent, perdue dans la constellation de Brénoria, une pâle tache de lumière: notre galaxie. Dans le plus puissant instrument — qui n’est pas fondé sur le principe du télescope — cette tache se résolvait en une poussière d’étoiles, disposée en spirale. Parmi ces étoiles, noyées dans l’irradiation de ses puissants compagnons, se trouvait notre humble soleil. Et autour de cette petite étoile tournait ma Terre natale, si loin, si minablement invisible. La lumière que je voyais était partie depuis deux millions d’années et, en admettant que la science des Sinzus eût permis de voir la Terre, tout ce que j’aurais pu espérer apercevoir eût été, peut-être, quelques misérables familles de pithécanthropes, à l’orée d’une forêt.

Maintenant que je suis revenu sur Terre, chaque soir où le temps le permet, Ulna et moi regardons la nébuleuse d’Andromède. La voir me fait toucher du doigt, pourrait-on dire, l’immensité des distances que j’ai parcourues. La galaxie des Hiss est trop loin, hors de portée, même pour nos télescopes géants. Mais voir cette petite opale, et penser que la femme qui est à côté de moi y est née, et que j’y suis allé …

Au bout de trois mois nous repartîmes. Souilik vint nous chercher comme il avait été convenu. Nous décollâmes de l’astroport de Bérisenkor, encombré par les énormes astronefs qui assurent la liaison entre Arbor et les autres planètes colonisées par les Sinzus. Notre ksill paraissait minuscule à côté d’elles.

À peine étions-nous partis que Souilik me confirma que je ferais partie de son état-major de « torpilleurs de soleils morts ». Il semblait être devenu un personnage sur Ella. Je me suis longtemps demandé pourquoi les Hiss ne cessaient de me nommer à des postes importants … et dangereux ! J’aurais certainement été plus à ma place dans mon équipe de biologistes. Les Sinzus ne manquaient pas, qui partageaient avec moi l’immunité au rayonnement mislik, et qui, de plus, étaient d’excellents physiciens. Mais je crois que les Elliens avaient tout à fait pris au sérieux mon assimilation, et que, pour eux, j’étais un Hiss, un Hiss à sang rouge, et non un étranger comme les Sinzus. De plus, il y a entre Souilik et moi une vraie et profonde amitié, et, en insistant pour que je l’accompagne, ce jeune Hiss exceptionnellement aventureux dans ce peuple d’aventuriers scientifiques me faisait le plus beau cadeau en son pouvoir, l’aventure.