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Il m’est arrivé maintes fois de maudire, non point cette amitié, mais ses conséquences !

À notre retour sur Ella, nous nous installâmes dans ma maison de l’île Bressié. Ulna et « ma sœur Assila » s’entendirent fort bien. Nous continuâmes à travailler près d’un an dans notre équipe de biologistes, cherchant à immuniser totalement les Hiss contre le rayonnement mislik. Finalement, cela nous apparut comme théoriquement impossible: les ondes particulières émises par les Misliks détruisent le pigment respiratoire des Hiss et de toutes les humanités, sauf les Sinzus et nous-mêmes. Et à moins de changer de pigment respiratoire, ce qui est évidemment impraticable, il n’y a rien à faire. Assza étudia la question du point de vue de la physique, et arriva exactement au même résultat. Cependant nous parvînmes, par l’injection de certaines substances chimiques, à retarder l’action lytique pendant quelque temps, à condition de ne pas avoir affaire à un rayonnement trop intense.

Un soir, comme nous sortions du laboratoire, Souilik nous entraîna dans son ksill, et sans explications, décolla. Je commençais à être familiarisé avec la conduite de ces engins, et au bout de peu de temps il fut évident que nous étions en route pour Mars. Ni Ulna ni moi-même n’y étions jamais allés, aussi prîmes-nous la chose du bon côté. Le voyage se fit à l’allure spatiale maxima pour cette distance, le dixième de la vitesse de la lumière.

Mars est une planète sauvage, qui ressemble un peu à Arbor, mais en plus aride. Nous survolâmes le sol de très haut, puis Souilik fit piquer son ksill droit sur un énorme bâtiment, l’usine principale où étaient construits les ksills pour toutes les planètes. Que le terme d’usine n’éveille pas en toi l’idée d’un fracas insupportable. Les Hiss ont horreur du bruit, et tout se passait en silence, ou presque. Les ksills étaient assemblés sur une chaîne, par des automates que surveillaient de rares Hiss. Nous passâmes dans les vastes halls sans nous arrêter, et Souilik nous introduisit dans un immense hangar où se poursuivait la construction d’un ksill de proportions titanesques: mesurant plus de trois cents mètres de diamètre, sur une épaisseur de soixante mètres, il ne présentait pas la forme en lentille classique, mais plutôt celle d’un dôme surbaissé. Nous restâmes un moment à le contempler. Puis Souilik dit:

« Notre futur vaisseau, avec lequel nous irons rallumer les soleils.

— Mais pourquoi ces dimensions, et cette forme ? Dis-je.

Elles sont nécessaires. L’engin qui servira à rallumer les soleils est énorme, et ne peut être lancé. Il nous faudra donc atterrir sur la surface des étoiles mortes. Or tu sais comme moi que la pesanteur y est effroyable, et que nous serions immédiatement aplatis sous notre propre poids si nous ne disposions pas d’un champ antigravitique intense. Pour créer ce champ, il faudra dépenser une énergie fantastique: aussi est-ce une véritable centrale qui sera installée dans ce ksill. La forme en dôme permettra au ksill de mieux résister à son propre poids. De toute façon, je doute fort que nous puissions rester plus d’une basike sur un soleil mort ! »

Plusieurs mois passèrent encore. Petit à petit, je m’habituais à l’idée de participer à cette expédition impossible. Les jours coulaient, très calmes. Du moins semblaient-ils calmes. Mais, sur les Trois Planètes, tout ce que l’univers comptait de cerveaux prodigieusement doués travaillait jour et nuit à la grande œuvre. Parfois, cependant, je me prenais à penser, en contemplant les tranquilles paysages d’Ella, que toute cette sérénité recouvrait une activité vertigineuse, et je me sentais perdu, loin en arrière, comme un pauvre négrillon emporté par un express.

Au laboratoire je travaillais avec acharnement. Je me considérais en quelque sorte comme l’envoyé de la Terre, le représentant de notre civilisation occidentale, si fière de sa technique, technique dépassée, oh ! de combien, dans tant de cantons de l’univers. Il me semblait que si je faisais une découverte importante, j’affirmerais ainsi mon droit à vivre sur Ella, je cesserais d’être un parent pauvre, une curiosité, pour devenir un membre de la communauté des Terres humaines. Aussi lisais-je tard le soir les publications hiss, et je me faisais traduire par Ulna les travaux sinzus. Grâces en soient rendues à mes maîtres terrestres: si mes connaissances étaient souvent déficientes, mes méthodes de travail étaient bonnes et je pus rapidement assimiler les notions nécessaires.

Le plus curieux est que, pendant que je me tourmentais ainsi et gémissais sur mon ignorance, les Hiss me considéraient déjà comme un bon élément, et avaient depuis longtemps placé sous mes ordres de jeunes biologistes. De par mon organisation différente, je possédais en effet des connaissances qui leur étaient nouvelles. Quant aux Sinzus, s’ils ont poussé très loin la physique biologique — ils soignent à peu près toutes les maladies par des rayonnements appropriés, comme les Hiss —, ils avaient oublié, ou négligé, le côté chimique, et c’est justement dans cette voie que je parvins au résultat dont je t’ai parlé: protéger pendant quelque temps les Hiss contre les ondes misliks.

Les débuts de ma vie commune avec Ulna ne furent pas toujours faciles. Les Sinzus sont d’une susceptibilité extrême, et je ne suis pas toujours patient. Nous avions à combler l’abîme qui béait entre nos éducations différentes. Fort heureusement le problème religieux ne vint pas compliquer les choses: les Sinzus sont agnostiques comme moi-même. Mais de multiples petits détails nous dressaient parfois l’un contre l’autre: par exemple, chose curieuse pour un peuple si cérémonieux, les Sinzus mangent avec leurs doigts, et tu as pu voir ce soir qu’Ulna n’est pas encore tout à fait à l’aise avec une fourchette. L’habitude que j’ai de travailler tard dans la nuit lui semblait incompréhensible, de même que ma répugnance à devancer l’aurore. Petit à petit un modus vivendi s’établit entre nous, et, du moins, les Arboriennes ont-elles un énorme avantage sur leurs sœurs terriennes: elles ne menacent jamais de retourner chez leur mère !

Puis, un jour que je me chauffais au soleil comme un lézard devant ma maison, causant avec Ulna et Assila, une ombre s’interposa entre nous et le soleiclass="underline" c’était l’énorme ksill que j’avais vu en construction sur Mars. Sous la conduite de Souilik il décrivit des orbes gracieux malgré sa masse, effleura mon toit plat, et fila derrière l’horizon. Une demi-heure après, je reçus un message d’Azzlem m’enjoignant de venir immédiatement.

J’atterris sur l’esplanade. Le gigantesque engin se balançait doucement posé sur les flots, au bout de l’embarcadère. Souilik m’attendait, seul.

« Tu n’as pas amené Essine ? Dis-je.

— Non. Il ne pourra y avoir de femmes dans cette aventure. Tu n’as pas non plus amené Ulna !

— Quand partons-nous ?

— Bientôt. Viens, les Sages veulent te voir ».

Azzlem et Assza nous reçurent immédiatement. Azzlem commença abruptement:

« Slair, nous allons une fois de plus te demander d’accomplir une périlleuse mission. Tu le sais, Souilik a obtenu que tu fasses partie de son état-major. Nous n’avons pas refusé, car il n’y avait aucun motif de refuser, mais nous ne pensions pas que tu serais particulièrement utile. Or il se trouve que tu vas être probablement indispensable. Tu connais l’essentiel du projet: sur un ksill spécial, vous allez débarquer sur la surface encroûtée d’un soleil mort, et y placer un lourd appareil qui va ranimer les réactions nucléaires. À vrai dire, il semble que nous dépasserons légèrement le but fixé ; nous nous proposions de rallumer simplement les soleils. Nous les ferons sans doute exploser ; les planètes qui tournent autour d’eux seront détruites, en même temps que les Misliks. Tant pis !