Выбрать главу

« Le problème est le suivant: sur la surface des soleils, vous seriez soumis à une intensité de la pesanteur des dizaines de fois plus forte que celle qui règne sur Ella, si le ksill n’était pas muni d’un dispositif antigravitique. Mais ce dispositif consomme une énergie fantastique, et ne pourra fonctionner qu’une demi-basike. Il faudra que tout soit prêt dans ce temps, sinon c’est l’écrasement. D’autre part, une partie du détonateur, partie qui ne peut être pour le moment ni divisée ni montée d’avance sur le corps de l’appareil, pèse trop lourd, malgré tous nos efforts, pour être manipulée par un Hiss ou un Sinzu, dans les conditions auxquelles vous serez soumis.

— Les automates », commençai-je.

Azzlem poussa un Ssii d’agacement.

« Tu sais bien que les automates ne fonctionnent pas dans les champs antigravitiques. Nous avons donc songé à utiliser ta force physique. Acceptes-tu ?

— Il m’est difficile de refuser, dis-je.

— Nous allons donc te placer dans un champ de gravitation artificielle intense, pour voir si tu seras capable de manipuler cette pièce, et dans quelles limites. Le champ antigravitique que pourra fournir la machinerie du ksill sera, en durée, inversement proportionnel au champ du soleil mort. Il te faudra faire aussi vite que possible. Viens ».

Je pénétrai pour la première fois dans le laboratoire de physique. On me fit revêtir un scaphandre spécial. Des tiges de métal l’armaient, articulées aux genoux, aux coudes et à la ceinture, et l’intérieur en était agencé comme les combinaisons anti-g de nos aviateurs supersoniques. Ainsi accoutré, je fus placé sur un plateau de métal, sous un dôme de cuivre. Par terre gisait une pièce métallique compliquée. Je me baissai, la soulevai sans peine. Je savais que c’eût été presque impossible à un Hiss.

Assza se dirigea vers un rhéostat.

« Attention ! Gravité deux ! »

Je me sentis alourdi. Soulever la pièce fut plus pénible. Petit à petit, Assza augmentait l’intensité de la pesanteur. Mes bras et mes jambes devinrent de plomb, ma circulation devint difficile, mon sang refluait vers mes pieds malgré le scaphandre. Puis vint le « voile noir » bien connu de nos aviateurs, mais avant même qu’il se produisît je n’avais plus pu soulever la pièce. Lentement, Assza ramena la pesanteur à l’unité « Ce sera juste, dit-il. Et probablement impossible pour certains soleils. Il faudra trouver le moyen de rendre l’opération automatique. Enfin, nous pourrons toujours essayer sur une petite étoile ».

Le lendemain, Souilik repartit avec le grand ksill, qui devait être achevé sur l’île Aniasz. Pendant un mois je n’en entendis plus parler, puis un jour Assza passa au laboratoire, et m’annonça que tout était prêt, que nous partions le lendemain torpiller un soleil mort de la galaxie maudite où j’étais déjà allé.

Ce soir-là, nous ne rentrâmes pas chez nous mais restâmes à la Maison des Étrangers. Au coucher d’Ialthar, le grand ksill apparut à l’ouest, amerrit au bout de la presqu’île. Quelques minutes plus tard Souilik parut avec Essine, Assza, Beichit et Séfer, Akéion et Béranthon, le grand physicien sinzu. Tout l’état-major du « Sswinss » — ce nom signifie le Destructeur — se trouvait donc réuni. Il y eut une sorte de banquet, sans discours. Ulna et moi nous retirâmes de bonne heure et allâmes nous promener sur la plage. Il faisait délicieusement doux, la mer phosphorait à grandes ondulations lentes. Ari et Arzi versaient leur froide lumière, les étoiles brillaient par milliers. Bas sur l’horizon, Kalvénault scintillait encore, à peine plus rouge. La lumière argentée des lunes découpait les ombres des bosquets. Nous nous assîmes dans cette ombre, regardant le flot déferler sur le sable, en gerbes écumantes.

Nous restâmes longtemps sans parler. Qu’aurions-nous pu dire ?

Le drame qui se préparait dépassait de si loin nos individualités !

Il ne m’était plus possible de reculer, et je n’en avais du reste pas envie !

L’intention, malgré la peur qui me secouait par rafales. Ulna savait qu’elle ne pouvait me suivre cette fois-là.

Tout près de la mer, à notre gauche, parut un couple. Les élégantes silhouettes, un peu frêles, dénotaient des Hiss. Ils se rapprochèrent, et nous reconnûmes Souilik et Essine. Je me levai pour les appeler, mais Ulna me tira par la tunique, disant:

« Laisse-les. Eux aussi doivent se séparer ».

Je me tus. Ils passèrent devant nous sans nous voir, s’éloignèrent vers la droite. Quelques instants plus tard, ils revinrent vers nous. Ils n’étaient plus seuls. Leurs compagnons étaient plus minces encore, et je devinai que c’étaient Beichit et Séfer. Cette fois, quand ils passèrent devant nous, je les appelai, et ils vinrent s’asseoir à côté de nous. Je tirai ma pipe de ma poche, l’allumai. Bien que les Hiss ne fument pas, et trouvent même cette habitude singulière, il y a sur Ella une plante qui vaut le meilleur tabac terrestre, sans en avoir la nocivité. J’en ai rapporté quelques pieds qui n’ont pu s’acclimater. J’allumai donc ma pipe, et me tournai vers Souilik.

« Combien de chances avons-nous de revenir, à ton avis ? »

Il me répondit par une locution hiss:

« C’est le coup du stissnassan ! »

Le stissnassan est un ver ellien, dont la tête est si semblable à la queue qu’on se trompe une fois sur deux sur sa place. Il continua: « Il n’y a probablement pas de Misliks sur les soleils morts. Le danger n’est pas là. Mais nous disposerons d’un temps très court pour poser le kilsim. Tout dépendra peut-être de ta force. À la place des Sages, peut-être aurais-je attendu de pouvoir fabriquer des automates fonctionnant dans les champs antigravitiques. Mais d’un autre côté la construction des kilsim dévore une énorme quantité d’énergie, et si finalement ils ne peuvent servir, autant vaut être fixé tout de suite, et utiliser cette énergie à un autre usage.

— Vous y parviendrez certainement, fit Beichit, indignée.

— Beichit fait partie des constructeurs, répliqua Souilik d’un ton légèrement sarcastique. Il est normal qu’elle ait pleine confiance en leur engin. Pour ma part, je serai plus tranquille quand il aura fonctionné. Ce ne serait encore rien, s’il se contentait de ne pas fonctionner. Il explosera de toute manière. Mais il nous faut réussir … ou disparaître !

— Comment ça ? Fis-je.

— Le kilsim est encore un engin expérimental … et dangereux. Une fois l’avant-dernière pièce posée, tu auras exactement une de tes minutes terrestres pour poser ta pièce: c’est ainsi ! Si tu réussis, l’explosion se fera une basike après. Si tu échoues, elle se fera deux minutes après. Inutile de te dire que dans ce cas nous n’aurons pas le temps de nous éloigner. Quant à passer dans l’ahun immédiatement, avec la proximité d’un champ de gravitation si formidable, nous sommes sûrs d’aller voltiger dans quelque univers négatif. Et tout le monde n’a pas la chance d’Akéion. Mais ne t’inquiète pas. Dans ta minute, je ferai donner le maximum au champ antigravitique. Tu y arriveras ! »

Lentement, Arzi descendit derrière l’horizon. Un vent frais se leva. Nous restâmes silencieux. Puis Ulna, à mi-voix, entonna le chant des Conquérants de l’Espace. Quand elle arriva au couplet sur « ceux que la mort a pris sur les mondes inconnus », elle eut un bref sanglot, mais continua. D’une voix basse et très pure, Beichit chanta à son tour un chant antique de sa planète, lent et obscur comme une incantation. Puis ils me demandèrent un chant de la Terre, et je ne pus trouver rien de mieux que l’air farouche des corsaires de Jean Bart: