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« Et c’est pour cela que je suis revenu, après une absence de trois ans. Et ici, dans ma maison natale, je ne me sens plus guère chez moi. Je ne me sens plus tout à fait Terrien. Je crois que Souilik a raison, et que je suis devenu plus Hiss qu’un Hiss.

« Le ksill m’a déposé de nuit dans la clairière au Magnou, il y a six mois. Je suis parti immédiatement en voyage à l’étranger et suis revenu deux mois plus tard pour accueillir Ulna, arrivée de nuit comme moi-même, et que je suis censé avoir ramenée de Finlande. J’ai déjà vu une centaine de personnel, dans divers pays. Beaucoup ont accepté, et partiront.

— Mais, dis-je, tu m’affirmes être resté trois ans absent, et pourtant tout à l’heure tu m’as dit que ton départ s’était fait en octobre dernier !

— En effet. Et je ne suis resté absent, pour les Terriens, que deux jours. Ce fut pour les Sages un terrible casse-tête que le calcul de ce voyage de retour, quand je leur eus dit que pour remplir utilement ma mission, il ne fallait pas que j’aie disparu de la Terre plus de quelques jours. Le passage dans l’ahun permet, dans certaines conditions, et au prix d’une consommation fantastique d’énergie, de voyager dans le Temps, dans d’étroites limites, d’ailleurs. Je ne sais pas comment ils ont fait. Tout ce que je sais, c’est que j’ai vécu trois ans sur Ella, que j’ai maintenant trente-cinq ans, quoique je sois né un mois seulement avant toi qui en as trente-deux, que je suis parti le 5 octobre et revenu le 8 du même mois. Mais les Sages t’expliqueront, si tu viens.

— Quoi ? Tu me proposes de venir avec vous ?

— Et pourquoi pas ? Tu es seul au monde, à présent. Et pour un physicien enthousiaste comme toi …

— J’aurais beaucoup à apprendre, dis-je amèrement.

— Tu apprendras vite, avec les méthodes semi-hypnotiques des Hiss. Penses-y ! L’univers, l’univers à nous ! »

Clair se tut. On n’entendit plus que le tic-tac de la vieille horloge à poids. Je restai muet, étourdi par ce fantastique récit et par les surprenantes possibilités qui s’ouvraient devant moi, à moitié incrédule encore.

Clair reprit:

« Et voilà. Je ne sais pas très bien où je suis allé, la seule chose certaine c’est que les Hiss vivent dans le même univers, au sens large, que nous. Et les Misliks aussi. C’est là la menace, aussi bien pour nous que pour eux. Je n’ai pas de bonne raison à apporter, mais je crois qu’ils sont nos contemporains.

« La seule preuve que je puisse te donner de mon voyage, outre les photos que je puis te montrer, la voici: Ulna, Ulna l’Andromédienne, née à deux millions d’années-lumière d’ici, sur la planète Arbor de l’étoile Apher, la seule planète connue avec la Terre — si l’on excepte le monde sauvage découvert par Souilik — dont les habitants aient le sang rouge, et soient insensibles au mortel rayonnement des Misliks, ceux-qui-éteignent-les-étoiles.

« Je suis parti il y a six mois, j’étais de retour trois jours après, et, pendant ce temps, j’ai vécu trois ans sur Ella, j’ai visité une galaxie maudite, et affronté les Misliks. J’ai fait partie des torpilleurs de Soleils morts, j’ai pris contact, sur Réssan, avec les ambassadeurs de la Ligue des Terres humaines. Sans Ulna, je croirais que c’est un rêve de fou, et j’irais me remettre aux mains d’un psychiatre. Non, j’oubliais. Il y a le hassrn que tu regardais tout à l’heure dans mon labo — ne nie pas, tu ne sais pas mentir. Celui-là je ne le laisserai pas sur Terre. Oh ! Je sais. Avec lui, on pourrait débarrasser l’humanité de la plupart des maladies. Je m’en suis servi pour guérir la sœur de notre ami Lapeyre, qui mourait lentement d’un cancer. Mais il suffirait que le secret tombe entre les mains des politiciens ou des militaires pour en faire la plus effroyable machine de guerre qui soit. Les rayons abiotiques différentiels … Non, plus tard. Nous surveillerons la Terre, et quand elle sera enfin pacifiée … À moins qu’elle ne prenne le chemin d’Aour et Gen, et que tout ce qui reste en fin de compte de l’homme terrestre soit une statue, dans la maison d’un jeune explorateur du ciel ».

Clair resta silencieux un moment, puis eut un petit rire:

« Je me demande ce que diront les gouvernements, quand ils constateront ces disparitions parmi les élites de leurs peuples. On va encore accuser les Russes. Il est vrai qu’il y aura aussi des disparitions derrière le fameux « rideau de fer ». Je n’ai nulle raison de réserver Nova Terra à un seul peuple !

« Trois heures du matin. Il est temps de dormir. Réfléchis bien.

— Je dois être demain soir à Paris, dis-je.

— Oh ! La réponse n’est pas si pressée. Je vais rester encore quelques mois sur la Terre. J’y reviendrai sans doute de temps en temps, d’ailleurs. Ah ! Détail comique: j’ai rapporté le bloc de tungstène emprunté à mon ancien client. Il ne se doute pas qu’il enferme soigneusement dans son tiroir le produit d’un laboratoire de Réssan ! »

Je ne sais comment je fis pour m’endormir ce matin-là. Je me réveillai à sept heures. Clair et sa femme m’attendaient dans la salle à manger. Tout ce que j’avais entendu dans la nuit me semblait un songe lointain, incroyable dans la clarté du matin. Je fus obligé de regarder la main étroite d’Ulna, et de penser à la preuve que j’emportais dans ma valise, enregistrée sur fil magnétique.

Je déjeunai rapidement. Comme je serrais la main de Clair, Ulna dit quelques mots dans une langue sonore, en me tendant un petit paquet.

« Ulna te donne ceci pour la femme que tu épouseras, si tu ne veux pas venir avec nous, traduisit Clair. C’est un cadeau d’Arbor à la Terre. Écris-moi ta décision.

— Entendu, fis-je. Mais tu sais, tout cela est encore trop frais, j’ai besoin d’écouter encore une ou deux fois ton récit ».

Je partis. À quelques kilomètres, je m’arrêtai, ouvris le paquet. Il contenait une bague de métal blanc, avec un splendide diamant bleu taillé en étoile à six branches.

Le lendemain, j’étais au laboratoire, repris par la routine de tous les jours. Chaque soir, je branchai mon magnétophone, jusqu’à ce que je sache par cœur le récit de Clair. Je l’ai transcrit sur ce cahier. Et j’ai montré la bague à un grand bijoutier. Il a été formeclass="underline" jamais jusqu’à présent il n’avait vu ou entendu citer un diamant taillé en étoile. Quant au métal, c’est du platine.

J’ai fait une bêtise: j’ai prêté ce cahier à Irène M …, la jolie spécialiste des neutrons. Elle me l’a rendu deux jours après, me disant que je devrais abandonner la physique pour écrire des romans d’anticipation. « Si c’était vrai, viendriez-vous ? Lui ai-je demandé. — Pourquoi pas », m’a-t-elle répondu. Alors je lui ai fait entendre le récit, et je lui ai montré la bague.

C’est décidé: je pars. Je l’ai écrit à Clair. Je vais essayer de convaincre Irène de partir avec moi.

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Ce manuscrit abracadabrant a été trouvé chez M.F. Borie, derrière un meuble où il avait glissé. Comme nos lecteurs le savent, M. Borie, un jeune physicien de grand avenir, a disparu il y a six mois, en même temps qu’une de ses collègues du Centre de recherches nucléaires, Mlle Irène Masson. Nous avons fait une enquête en Dordogne sur ce docteur Clair dont il est question dans le manuscrit. Il a également disparu à la même date. Quelques mois auparavant, il était rentré de voyage avec une jeune femme très belle qu’il avait épousée à l’étranger. Chose à noter, sa vieille nourrice Madeleine a disparu en même temps que lui. La veille de la disparition de F. Borie, selon la concierge, un homme brun de grande taille et une femme blonde très belle étaient venus le voir.