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Enfin, pour obscurcir encore cette énigme, en Europe comme en Amérique, nous avons pu savoir, malgré la discrétion des gouvernements, qu’à peu près à la même époque ont disparu plusieurs centaines de personnes, hommes ou femmes, la plupart jeunes, mais tous d’un niveau intellectuel élevé: savants, artistes, étudiants, officiers, ouvriers spécialistes, parfois avec toute leur famille. Partout on a pu relever le passage, quelque temps avant, de l’homme brun de haute taille et de la très belle femme blonde.

À PROPOS

DE CEUX DE NULLE PART …

Nous ne sommes pas seuls …

Physicien en vacance, égaré ds Causse. S’abrite dans maison isolée, abandonnée. Nuit de pluie et de vent. Astronef arrive. Il va épier, voit êtres. Êtres le voient ? Partent en hâte. Il rentre à son labo et comprend (Geiger) qu’il est radioactif. Écrit sur machine télécommandée.

Un thème de nouvelle parmi d’autres, dactylographiés sur un feuillet vers 1950. En marge, au crayon, une flèche, précédée de « a » et suivie de « Ceux de N. Part ! ». Traduction: « a donné Ceux de nulle part ». Car au départ, Ceux de nulle part devait être une nouvelle.

Fin 1951, François Bordes — qui n’est pas encore « officiellement » Francis Carsac car il n’a encore rien publié sous ce nom — a terminé sa thèse d’État en Géologie sur Les Limons quaternaires du Bassin de la Seine. Il est attaché de Recherches au CNRS. Il a dans ses tiroirs deux « romans d’hypothèse » terminés (Sur un Monde stérile (1943–1945), et L’Aventure cosmique (1945), qui deviendra Les Robinsons du Cosmos), un roman écrit à moitié qui ne sera jamais terminé (En l’An 2001 … (1945-46)), et un premier tiers, à peu près, du roman Le grand Crépuscule qu’il reprendra en 1955-56 et qui sera publié sous le titre Terre en fuite.

Il vient de passer cinq années harassantes, tant du point de vue physique qu’intellectuel. Quand en 1946 il avait commencé son travail de thèse, il ne connaissait que peu de choses sur cette partie de la Géologie, la Géologie du Quaternaire, qui, bien que concernant les événements géologiques contemporains de l’Homme, n’était pratiquement pas enseignée à l’Université en France. Il ne connaissait pas non plus son terrain de thèse, le Nord-Ouest de la France. Et la géologie, cela se fait d’abord sur le terrain. Il sillonnait donc par tout temps le Bassin parisien, la Normandie, la Somme, sur sa « pétrolette », une moto Alcyon de 125 cc. De retour à Paris, où nous habitions alors, c’était le travail de laboratoire à l’institut de Paléontologie Humaine, le travail de réflexion, le travail de recherche des références et de lecture — et les articles scientifiques ne se lisent pas comme des romans ! — , le travail de mise au propre des notes de terrain, etc. Et enfin, le travail de rédaction de sa thèse.

Quant aux « vacances », elles se passaient sur un autre terrain de recherche, celui des grottes et abris sous roche préhistoriques du Périgord. Car parallèlement à son travail de géologue, François Bordes continuait sa recherche de préhistorien et, en quelque sorte, bien que les deux domaines soient très liés, menait deux carrières scientifiques de front. Il est maintenant tellement admis que l’on n’en parle même plus qu’il est impossible de séparer l’étude des civilisations préhistoriques de l’étude des milieux dans lesquels ces civilisations évoluaient, et donc de la géologie quaternaire qui est la principale source d’informations sur ces milieux. Mais à l’époque, cette attitude méthodologique était loin d’être communément admise, et passait même en France pour « hérétique » auprès de bon nombre de « préhistoriens purs ». Depuis, bien sûr, les choses ont changé. Mais ce fut dû pour partie au travail de pionnier de François Bordes. Quand en 1989, pour le bicentenaire de la Révolution, « Science et Vie » a publié un numéro spécial sur « 200 ans de science française », dans le « Journal de la Science mondiale » un des trois faits scientifiques marquants retenus pour l’année 1954 est: « Travaux de F. Bordes sûr les lœss et les industries paléolithiques du Bassin parisien ».

Pour Noël 1951, donc, François Bordes décide de s’accorder des « vraies » vacances, de souffler un peu, en quelque sorte. Et pour cela, entr’autre, d’écrire une nouvelle sur ce que l’on appellerait maintenant « une rencontre du troisième type ». Il reprend donc son idée, la retravaille dans sa tête et la modifie. Ce ne sera plus le Causse du Quercy, mais une forêt en Périgord. Le personnage devient un médecin, qui raconte sa rencontre à un vieil ami de passage. À la fin, les « visiteurs » sont repartis après réparation du « ksill ». Le docteur sait qu’il se déroule dans l’Univers une guerre fantastique, inimaginable, entre les « êtres de la lumière », et les « êtres du froid et de la nuit », guerre qui entraînera la fin de la Terre si les « misliks » gagnent, mais à laquelle les terriens ne peuvent pas participer, paradoxalement parce qu’ils sont eux-mêmes « guerriers ». Quant au visiteur, il se demande ce qu’il doit croire.

Il se mit donc à sa machine à écrire et écrivit 10 pages. Mais pour donner de la cohérence à ce que disaient les Hiss, il avait imaginé avec un certain détail leur « univers », la guerre contre les misliks, etc., « univers » dont, bien sûr, les Hiss ne révéleraient que des bribes au docteur Clair. Et il se sentit envahit de la même frustration que son personnage. C’était trop bête de rester ainsi sur Terre pendant que les Hiss repartaient … Et la nouvelle devint roman.

Ceux de Nulle-part fut alors écrit en trois mois, le mot « Fin » sur le premier manuscrit étant accompagné de la date: 28/3/52 0 h 10, et la version réécrite pour le « polissage » ne diffère que très peu de la première. En lisant « en parallèle » le premier jet et le texte publié, on voit que la révision n’a consisté qu’en des améliorations de style ça et là: suppressions de répétitions, modifications de tournures maladroites …

Pourtant, le plan du roman a évolué au fur et à mesure qu’il était écrit. En quelque sorte, l’auteur découvrait l’univers des Hiss en même temps que le Dr Clair. À l’époque, j’étais dans ma septième année, et je ne savais même pas que mon père écrivait un roman. Mais en même temps que le premier manuscrit se trouvent trois plans successifs, se rapprochant peu à peu du plan final. Dans le premier schéma, il est fait allusion à des « espions misliks », peu compatibles avec ce que furent les misliks en définitive, et le « plan » de la fin du roman ne comporte que des numéros de chapitres, sans autres indications. Le second plan est compatible avec le roman jusqu’à la moitié, et le troisième jusqu’aux trois quarts. Quant au titre, il a aussi changé avec le temps: Les êtres du bout-du-monde (ou: d’outre-monde, ou: d’outre-univers), La menace cosmique, puis Ceux qui vinrent (ou: viennent) de nulle-part, qui devint Ceux de Nulle-part à la publication.

Publication qui fut presque le fait du hasard. « Normalement », Ceux de Nulle-part aurait dû, une fois terminé, rejoindre Sur un monde stérile et L’aventure cosmique dans le deuxième tiroir à droite, à partir du bas, du bureau de mon père. Et y rester. Car comme les précédents, ce roman n’avait pas été écrit pour être publié, mais simplement pour l’amusement. Comme détente, en quelque sorte. D’ailleurs, où publier alors, si tant est qu’il en ait eu l’intention ?