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À la fin, je hélai, sans trop élever la voix. Un vif faisceau lumineux jaillit de la soucoupe, m’enveloppa, passant à travers les branches. En même temps le mur élastique parut céder, et j’avançai d’environ deux mètres. Puis il durcit de nouveau, et cette fois je fus pris à l’intérieur, sans possibilité d’avancer ni de reculer. Le faisceau lumineux se posa sur moi. Ébloui je tournai la tête, et béai d’étonnement: à un mètre derrière moi il s’arrêtait net, comme tronqué, sans éclairer plus loin, et je suis sûr que quelqu’un, placé sur le prolongement de son trajet, mais à quelques centimètres au-delà de cette limite, n’eût point perçu de lumière. Depuis, sur Ella, j’ai vu bien d’autres prodiges, mais sur le moment cela me parut absolument invraisemblable, et contraire à tout bon sens.

Je sentis un attouchement à l’épaule, et tournai de nouveau la tête vers la clairière. Une des « femmes » se tenait devant moi. Je n’eus pas la sensation d’une transmission de pensée, et pourtant je sus tout de suite qu’elle s’appelait Essine, et venait me chercher. À mon étonnement nous avançâmes sans difficulté, et quelques instants après je me trouvai devant l’engin.

Je fus reçu avec cordialité et sans aucune méfiance apparente. Souilik se borna à me transmettre: « Je t’avais bien dit que nous avions des moyens de défense ». Je demandai des nouvelles des blessés. Ils allaient tous considérablement mieux ; après le désarroi et la confusion de l’atterrissage forcé de la nuit dernière, les Hiss — t’ai-je dit qu’ils se nomment ainsi ? — s’étaient très rapidement réorganisés et, comme complément à mes premiers soins, d’autant plus rudimentaires que j’ignorais tout alors de leur anatomie et de leur physiologie, avaient mis en marche leur merveilleux générateur de rayons biotiques, dont je reparlerai plus tard.

L’intérieur de la soucoupe était complètement réparé, mais beaucoup des multiples appareils du « laboratoire », étaient encore en débris. L’homme de très grande taille, dont le nom était Aass, y travaillait fébrilement, en compagnie de deux autres et d’une femme. Je vis sur son visage vert une expression préoccupée, exactement semblable à celle qu’avait mon père quand ses calculs ne le satisfaisaient pas. Brusquement il se tourna vers moi, et transmit:

« Serait-il possible, sur Terre, de trouver deux kilos de tungstène ».

Bien entendu il ne me transmit ni le mot Terre, ni le mot kilo, ni le mot tungstène, et pourtant je compris, sans erreur possible, le sens de sa question.

« Cela me paraît difficile », pensai-je à haute voix.

Il eut un geste bref, puis transmit:

« Alors, nous sommes condamnés à vivre sur cette planète ! »

Et, en même temps que la pensée pure, je reçus le choc du désespoir qui l’assaillait.

« Je me suis mal fait comprendre », dis-je.

Un de mes clients, au château de la Roche, était un ancien directeur de fonderie, et il m’avait souvent fait admirer sa collection d’aciers spéciaux et de métaux rares. Le tungstène étant très dense, il n’était pas impossible que le petit bloc qu’il possédait pesât deux kilos. Le difficile serait de le convaincre de s’en dessaisir. Mais, en mettant les choses au pis, il ne serait pas impossible, quoique plus long, de trouver cette quantité de métal ailleurs.

À mesure que je leur transmettais mes réflexions, le visage de mes hôtes s’éclairait. Je leur promis de m’en occuper dès le matin et, sentant que je les dérangerais dans leur travail, je repartis, sans aucune difficulté, sauf une lente et puissante poussée dans le dos quand je franchis le cercle.

Je me présentai à neuf heures au château de la Roche. Mon client était absent. Le cœur battant, j’expliquai à sa femme le but de ma visite, prétextant une expérience importante et urgente. Non, le bloc exposé ne pesait pas deux kilos, mais celui qui était dans le tiroir sous la vitrine dépassait ce poids. Oui, elle consentait à me le prêter, à condition de lui promettre de le rapporter dans un délai ne dépassant pas un mois. En fin de compte, je le lui rapportai huit jours après, comme tu le verras, ou plutôt j’en rapportai un équivalent.

Pensant que mes mystérieux amis en avaient besoin le plus tôt possible, je filai droit sur la clairière au Magnou. Le cercle répulsif n’existait plus. Je fus accueilli par Souilik, à qui je remis le bloc. Je ne restai pas avec eux, ayant rendez-vous avec le maire à midi. Il fut entendu que je passerais la journée du lendemain, leur dernière journée sur Terre, pensaient-ils, dans la « soucoupe », car ils avaient de nombreuses questions à me poser sur notre planète. De mon côté, je comptais leur proposer de revenir sur Terre en un endroit plus sûr. Je pensais à ce moment-là aux Causses, au Sahara, ou à quelque chose de ce genre.

Pendant tout le repas de midi, je fus distrait. Un de mes fermiers m’avait finalement apporté le lièvre nécessaire. Le maire était euphorique, mais je n’en profitai nullement pour pousser mes avantages. Je me repris un peu après le café et les liqueurs.

Vers quatre heures de l’après-midi, comme nous sortions de table, on sonna à ma porte. Je ne sais pourquoi j’eus le pressentiment d’un grave ennui en marche. C’était le Bousquet, un assez mauvais sujet, braconnier et chemineau, qui voulait parler à M. le maire.

Égayé par cette requête imprévue — d’habitude le Bousquet évitait soigneusement tout ce qui, de près ou de loin, ressemblait à l’autorité — le maire me demanda s’il pouvait le recevoir chez moi:

« Nous en aurons fini dans un moment, et nous pourrons parler ensuite sérieusement de ce qui nous occupe ».

Bien entendu j’acquiesçai, et on fit entrer le Bousquet. Je le connaissais déjà pour l’avoir soigné une fois ou deux, gratuitement bien entendu. En reconnaissance, il m’avait indiqué plusieurs endroits giboyeux.

Il ne perdit pas son temps en politesses:

« Monsieur le maire, il y a des diables dans la clairière au Magnou ! »

Je dus pâlir. Ainsi, mes « amis » étaient découverts !

« Des diables ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire-là ? », Rétorqua le maire, bon vivant nullement superstitieux.

« Oui, monsieur le maire. Des diables. Je les ai vus.

— Ah ? Et à quoi ressemblent-ils, tes diables ?

— À des hommes. À des hommes verts. Et il y a des diablesses avec !

— Voyons, explique-toi. Comment les as-tu vus ?

— Eh bien, monsieur le maire, j’étais en train de me promener dans les bois, pas loin de la clairière. J’entends un bruit de branche cassée, je pense à un sanglier, je prends mon fusil …

— Ah ! Tu te promenais avec ton fusil ? Tu n’as pas de permis, je pense.

— Euh …

— Passons. Voyons tes diables.

— Je prends donc mon fusil et je me retourne, et je me trouve nez à nez avec une diablesse.

— Fichtre ! Elle était jolie ?

— Pas vilaine, mais la peau verte ! De saisissement, le coup part ».

Je jurai à part moi.

« Je ne la touche pas, le canon était vers la terre, mais elle a peur, elle fait un geste de la main, et me voilà par terre comme si j’avais reçu une bourrade. Puis elle tourne le dos et se met à courir. Je me relève, furieux, je la poursuis. Elle courait plus vite que moi, je la perds de vue, j’arrive à vingt mètres de la clairière, et je me casse le nez contre un mur !