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— Comment ça ? Il n’y a pas de mur ! Je connais cette clairière comme ma poche !

— Je m’explique mal, monsieur le maire. Je sais bien qu’il n’y a pas de mur, mais c’était tout comme. Je ne pouvais plus avancer. Et les arbres étaient courbés comme s’il y avait fort vent, et pourtant il n’y avait pas de vent ! »

Je pensai à ma propre expérience, et je compris facilement le désarroi du Bousquet.

« Je peux pas avancer, donc. Je regarde à travers les arbres, et je vois une dizaine de diables occupés autour d’une grande machine brillante, comme un gros couvercle de lessiveuse. Ils entraient et sortaient par une porte. Je reconnais ma diablesse en train de parler à un autre diable, mais j’étais trop loin pour entendre les paroles. Alors tous les diables regardent vers moi, et rient ! Puis quelque chose est tombé sur moi sans que je voie rien, et j’ai été roulé dans les ajoncs jusqu’à cent bons mètres de la clairière. Là, ça m’a lâché. J’ai couru jusqu’à la route, et puis je suis venu vous avertir ».

Le maire le considérait d’un air sceptique:

« Tu es sûr que tu n’as rien bu, aujourd’hui ? Pas trop de pinard, ou de rhum ?

— Non, monsieur le maire. À peine deux litres de rouge, comme tout le monde, en mangeant.

— Hum, qu’en pensez-vous, docteur ? »

J’essayai de gagner du temps, et mentis sans scrupule:

« Vous savez, pour peu que cet homme ait le foie malade, deux litres suffisent. Il a la réputation de boire. Le délirium fait plutôt voir des éléphants que des diables verts, mais on ne sait jamais …

— Bon, ça va. Reviens me voir dans une heure à la mairie. J’ai des affaires plus sérieuses à traiter que tes diables ».

Le Bousquet sortit, hochant la tête. Le maire déclara alors:

« Il est évidemment saoul, quoiqu’il ne titube pas. Des diables ! Voyez-moi ça ! Et quand bien même ! C’est l’affaire du curé, pas la mienne ! »

J’opinai de la tête, l’esprit ailleurs. Comment lâcher le maire, sans le vexer, de façon à pouvoir prévenir mes « amis » ?

En fait, il n’y eut pas moyen. Je dus discuter pied à pied la question qui nous séparait, et il ne partit que vers six heures.

Je sortis immédiatement, et allai à Rouffignac. De nombreux petits groupes stationnaient sur la place. Le Bousquet avait parlé, et l’affaire grossissait de minute en minute. Il était déjà question de deux cents diables crachant le feu. Pourtant tout cela ne m’inquiétait guère, car nul ne semblait avoir envie d’aller vérifier les faits sur place. Un reste de crépuscule sinistre traînait à l’ouest, le vent soufflait, et il allait pleuvoir.

Après Rouffignac, je pris la route qui conduisait au bois. Un kilomètre plus loin, je fus obligé de freiner. Dans la lumière des phares se tenaient une douzaine de paysans, en qui je reconnus mes compagnons de chasse habituels. Tous avaient leurs fusils. Je stoppai.

« Où allez-vous ainsi ? À la chasse, ou à la guerre ?

— À la chasse au diable, oui, monsieur Clair.

— Comment ? Vous croyez un seul mot de ce que raconte ce vieux blagueur de Bousquet ? Il était fin saoul quand il a raconté son histoire. Le maire vous le dira !

— Lui peut-être. Mais pas la Marie de Blanchard. Elle les a vus elle aussi, et elle est à moitié folle de peur. Votre confrère la soigne.

— Ah ! Fichtre ! Et c’est dans la clairière au Magnou qu’elle les a vus, elle aussi ?

— Oui. Aussi nous y allons. Nous verrons si les diables résistent aux chevrotines.

— Attention ! Vous allez faire une bêtise. Ce n’est pas votre affaire, mais celle de la gendarmerie. Après tout, ils n’ont fait de mal à personne, vos diables.

— Pourquoi se cachent-ils, alors ? C’est peut-être des espions russes déguisés.

— Ou américains, dit une voix que je reconnus pour celle du contremaître des carrières de kaolin.

— Alors ça vous regarde encore moins. Ça regarde la Sécurité du Territoire !

— Ouais ! Et le temps qu’ils viennent, ils seront partis ! Non, on y va ».

Ma décision fut rapidement prise. Je ne pouvais songer à expliquer la vérité. Le plus urgent était d’avertir les Hiss.

« Bon. Alors j’y vais aussi. Je passe devant ! »

Avant qu’ils aient pu dire quoi que ce soit, je fis foncer ma voiture. La pluie qui menaçait commença à tomber en grandes flèches liquides, au travers du rayon des phares. J’entendis des cris derrière moi, mais me gardai de stopper, et accélérai au contraire.

Les cris décrurent, et se perdirent dans la pluie. J’arrêtai un peu après le chemin qui conduit à la clairière, et garai ma voiture dans un autre petit chemin, sous les châtaigniers. Je courus ensuite à travers bois, embarrassé par mon imperméable, essayant de n’utiliser que le moins possible ma torche électrique. La pluie crépitait sur les ramures à demi dépouillées, le tronc des arbres était froid et visqueux de lichens, la mousse imbibée d’eau giclait sous mes pieds. Parti trop vite, j’eus bientôt un point de côté. Loin derrière moi, sur la route, passèrent une ou deux autos.

J’arrivai enfin près de la clairière. Il y régnait une lueur verdâtre, qui émanait d’un dôme opalescent se dressant à l’emplacement de la « soucoupe ». Que s’était-il donc passé ? J’écartai violemment le dernier rideau d’arbustes, pénétrai dans l’espace découvert où la pluie s’abattait avec une violence redoublée. Je parvins à toucher la base du dôme, et compris: ce n’était que la pluie ruisselant sur une invisible surface de répulsion. Mes « amis » les Hiss avaient là un parapluie peu banal !

J’appelai, sans oser trop élever la voix, de peur d’alerter les « chasseurs de diables » qui devaient maintenant être entrés sous-bois. Au bout de quelques minutes, une ouverture se dessina dans le rideau de pluie, je la franchis et me trouvai au sec, en face de Souilik.

« Qu’y a-t-il ? Me transmit-il.

— Vous allez être attaqués. Mes compatriotes vous prennent pour des êtres malfaisants. Il faut que vous partiez immédiatement !

— Nous ne pouvons pas partir avant le jour. Mais nous ne craignons rien avec notre « essom », rien en tout cas de vos compatriotes ».

Par « essom », je compris qu’il voulait indiquer le rideau répulsif.

« Vous ne pouvez vraiment pas partir ? » demandai-je, ennuyé par toutes les complications que je prévoyais.

« Non. Les moteurs ne sont pas complètement réparés, et il serait trop dangereux de passer dans l’ahun sans nous être éloignés d’une planète ».

Comme chaque fois qu’il sentait que la transmission d’idée n’était pas possible, il avait prononcé le mot.

« Qu’est-ce que l’ahun ? »

Il ne répondit pas.

Essine, la « femme », parut alors, et me transmit:

« Venez dans le ksill ».

Nous la suivîmes. Je me trouvai de nouveau en présence d’Aass, le Hiss de très haute taille que j’avais vu déjà, dans le laboratoire saccagé. Il se fit répéter notre conversation, puis me demanda:

« Quels sont les moyens d’attaque de votre peuple ?

— Oh ! Ils sont variés, et quelques-uns puissants (je pensai à la bombe atomique), mais ceux qui vous menacent ne le sont pas beaucoup ».

Et je fis une description mentale du fusil de chasse. Aass eut l’air rassuré:

« Dans ce cas, le danger n’est grand, ni pour nous, ni pour eux ».

Dehors retentirent quelques coups de feu, puis des exclamations désappointées. Aass tourna un commutateur. La lumière s’éteignit, toute une paroi de la pièce sembla disparaître. Je vis la clairière comme si j’y étais, et comme s’il faisait grand jour. La pluie avait cessé, et, à la lisière du bois, juste à l’entrée du chemin, silhouettes humaines épaulaient leurs fusils. Quatre Hiss les regardaient placidement. Les coups partirent, suivis du même chœur désappointé: les chevrotines s’étaient une fois de plus heurtées au barrage invisible. On les voyait, suspendues en l’air, petites taches incandescentes bien groupées, immobiles.