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L’évêque s’était à nouveau levé et dominait le policier. Il tenait à nouveau ses mains serrées sur la ceinture violette de son habit. Valence le regardait avec complaisance et, dans cette pose un peu guerrière, il le trouvait beau.

— Vous vous permettez d’accuser Gabriella ? demanda Vitelli.

— Je dis seulement qu’elle avait d’excellentes raisons.

— C’est trop.

— C’est la vérité.

— Le soir de la fête, elle était chez un ami, je le sais.

— Non, monseigneur. Je vais vous causer de la peine, mais le fils de sa gardienne l’a vue le soir du meurtre sur la place Farnèse. Il a voulu lui parler mais Gabriella n’a pas semblé le reconnaître.

Ruggieri avait baissé d’un ton. Il avait adouci sa voix et instinctivement tendu une main vers Vitelli comme pour parer à sa réaction. Il regrettait d’avoir été si brusque au début car à présent la peine visible qui marquait le visage de l’évêque le gênait. Il aurait voulu revenir en arrière pour formuler les choses autrement.

— Allez-vous-en, dit Vitelli. Tous les deux, allez-vous-en ! Vous avez ce que vous voulez.

Ruggieri et Valence sortirent lentement. La voix de l’évêque les rappela tandis qu’ils descendaient l’escalier. Ils levèrent la tête vers lui.

— Mais je vous ai dit que, moi, j’ai une piste ! leur cria Vitelli. Moi, je vous trouverai le voleur de la Vaticane, et vous comprendrez qu’il est aussi l’assassin d’Henri ! Vous entendez, Ruggieri ? Vous, le policier, vous n’êtes qu’un médiocre ! Et vous changez l’or en plomb !

L’évêque s’éloigna de la balustrade, leur tourna le dos et partit à grands pas. La porte du cabinet se referma avec violence. Ruggieri resta figé sur la marche de l’escalier, agrippant la rampe. Il changeait l’or en plomb.

Quand il chercha Valence du regard, il avait disparu sans explication.

XVII

Richard Valence était rentré directement à son hôtel. Il en sortit en début de soirée, d’humeur plutôt invincible. Il avait passé plusieurs heures à téléphoner, à chaîner les informations qu’il obtenait et qui s’offraient d’elles-mêmes à sa compréhension. Il avait suffi qu’il se mette dans le bon sens pour que l’inexplicable s’ordonne en une série de transparences. Le résultat était définitif et d’une mortelle simplicité. Personne n’avait l’air d’y avoir pensé. Pourtant, à bien y réfléchir, il avait donné la clef de l’affaire à Ruggieri dès leur première rencontre.

Maintenant, il venait de lui arracher l’autorisation de lui passer devant et d’aller interroger les trois empereurs le premier. Ruggieri avait d’abord refusé avec fermeté. Mais Valence savait repousser presque n’importe quelle résistance parce que la sienne était taillée dans la masse, sans ces lignes de faiblesse qui font céder les autres sous la pression ou sous le temps. Ruggieri avait tout de même mis dix minutes à se rendre. C’était long. Ruggieri était un petit policier résistant.

Dans le reflet d’une voiture, Valence serra sa cravate et rejeta ses cheveux en arrière. Il se sentait maître de lui, et les trois empereurs, malgré le portrait indulgent qu’en avait fait l’évêque, ne l’attendrissaient pas. Pour être exact, il se méfiait de ces sortes d’amitiés superbes.

La porte de l’appartement était basse, et il se pencha pour entrer. Claude, qui lui avait ouvert, le laissa seul dans une pièce surchargée, à fonction indéfinissable, la pièce commune probablement, investie des manies de chacun des trois. Claude s’était excusé pour aller frapper aux portes des chambres de Néron et de Tibère. Valence avait d’emblée saisi le genre de Claude. En réalité un visage joli, mais fébrile, une silhouette très mince, qui devait faire le quart de la sienne. Il avait la sensation qu’il aurait pu le déplacer d’un revers de main, que Claude n’avait pas de racines pour le tenir au sol.

Néron venait à sa rencontre d’un pas maniéré et ironique. Il s’inclina avec un mouvement de toge, sans lui serrer la main.

— Ayez l’indulgence de fermer les yeux sur ma tenue, dit-il à voix forte. La soudaineté de votre visite ne m’a pas laissé le loisir de m’adapter à la circonstance.

Néron était en short court. C’était tout ce qu’il avait sur lui.

— Oui, dit Néron, vous avez raison, je suis imberbe. Et cela vous étonne parce que c’est rare chez un garçon de mon âge. C’est assez joli, je trouve. Disons que c’est spécial. Voilà, c’est spécial. En réalité, tout ceci n’est qu’apparence, je me fais épiler. Mais rassurez-vous, sitôt que je serai sorti du monde romain, ce qui, j’en ai peur, n’est pas pour demain, je me dispenserai de cette corvée. Car c’est une corvée, figurez-vous. Il faut me croire sur parole, car je doute que vous ayez jamais tenté cette expérience de l’épilation. C’est intéressant, mais ça prend du temps, et c’est parfois assez douloureux. Heureusement, les compensations valent la peine. Ainsi préparé, et pour la vraisemblance un peu plus nu que vous ne me voyez là, je m’expose dans les musées. Parfaitement. Je monte sur un socle, je prends la pose. Ils s’attroupent, admirent, font des commentaires gracieux qui me paient largement de mes sacrifices.

— Néron, mon ami, tu n’intéresses pas monsieur.

— Ah c’est toi, Tibère. Entre, Tibère. C’est que monsieur ne s’intéresse peut-être pas à la statuaire antique. Tibère, permets-moi de te présenter…

— Inutile, coupa Valence. Nous nous connaissons déjà, lui et moi.

— Certainement une rencontre au cours d’une partie fine ? demanda Néron en se laissant tomber dans un fauteuil.

Tibère regardait Richard Valence en souriant un peu, debout, adossé au mur, bras croisés sur la poitrine. Il était toujours habillé en noir, et ça faisait un spectacle curieux à côté de son ami Néron.

— Oui, dit lentement Valence en allumant une cigarette. L’empereur Tibère me suit depuis mon arrivée. Très courtoisement d’ailleurs, et sans s’en cacher. Je n’ai même pas encore fait l’effort de lui en demander la raison.

— C’est pourtant simple, soupira Néron. Vous lui plaisez, je ne vois que ça. Il vous aime. N’est-ce pas, Tibère ?

— Je ne sais pas encore, dit Tibère en souriant toujours.

— Qu’est-ce que je vous disais ? reprit Néron. Au fond, l’amour ne s’avoue jamais, tout le monde sait ça. Et Tibère, qui est un garçon très délicat…

Claude frappa violemment sur la table. Ils se retournèrent tous en même temps pour le regarder.

— Vous n’avez pas bientôt fini vos conneries ? hurla-t-il. Et vous, monsieur l’envoyé spécial, je suppose que vous n’êtes pas là pour analyser les fantasmes de Néron ? Alors, puisque vous devez être odieux, soyez-le tout de suite et qu’on en finisse, nom de Dieu ! Qu’est-ce qu’il y a dans votre sac, dans votre tête ? De la merde ? Très bien ! Allez, bon sang, sortez-la !

Tibère regardait son ami. Claude était blanc et avait le front humide, et il n’avait certainement pas pris le temps de bien considérer son interlocuteur. Celui-là pourtant n’était pas à traiter avec impatience et insultes. Valence était resté debout lui aussi, appuyant ses deux mains à une table derrière lui. Tibère le voyait de plus près qu’il n’avait pu encore le faire pendant ses filatures. Il était large et dense, et son visage était taillé à la mesure de son corps. Tibère voyait cela, et il voyait aussi que Claude ne le voyait pas du tout. Tibère voyait que Valence avait des yeux rares, d’un bleu bizarre, d’une somptueuse netteté, et qu’il s’en servait pour faire plier les autres. Il voyait que Claude, dans son exaspération hystérique, allait se présenter de plein front à Valence, et il était clair qu’il ne serait pas de taille à encaisser. Il s’intercala rapidement entre eux deux, et proposa à Valence de s’asseoir en lui donnant l’exemple. C’est le genre d’homme qu’il vaut mieux avoir assis que debout.