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— Bon, alors s’il est mort, ça change tout. Combien de temps dure la veillée ? demanda-t-il en s’asseyant en face de Claude, de l’autre côté du corps étendu de Tibère.

— Ça dépend de lui, dit Claude. Il a besoin de réfléchir.

Néron gratta une allumette et examina Tibère de très près.

— Ça a l’air que ça va durer un bon moment, conclut-il.

— Forcément, dit Claude. Laura va partir. Elle va être condamnée et emprisonnée.

— L’envoyé spécial ?

Claude hocha la tête.

— Ce soir, il y a quelque chose qui monte, continua Claude. Ça suinte, ça grimpe jusqu’à la gorge et ça vous tranche les jambes. C’est la fin de Laura qui monte, et tout le monde a peur et se rétracte. Quand on aura fini de veiller Tibère, je ferai le mort aussi, et il faudra que tu me veilles à ton tour, Néron.

— Et moi, qui va me veiller ? Est-ce que je vais être tout seul comme un con, avec mes bras en croix sur le trottoir ? Pourquoi pas sur un tas de fumier ?

— Vos gueules, dit Tibère.

XXIII

Laura était entrée de manière très calme dans l’hôtel et elle avait dit que Richard Valence était prévenu de sa visite et qu’il l’attendait. Le veilleur de nuit avait été étonné, parce qu’il était déjà une heure et demie du matin, et que Valence n’avait laissé aucune consigne de ce genre. Mais il l’avait laissée passer en lui donnant le numéro de la chambre.

— Mais je crois qu’il dort, avait-il tout de même précisé. Il n’y a plus de lumière à sa fenêtre.

Depuis sa conversation avec Tibère tout à l’heure, au Garibaldi, Laura avait exactement prévu comment elle ferait pour aller trouver Richard Valence. Elle connaissait les portes de cet hôtel qu’elle avait habité longtemps avant de changer pour le Garibaldi. C’était un genre de porte assez facile, qu’on libère avec une pointe de canif. Les leçons du Doryphore allaient être utiles. Le Doryphore s’y connaissait autant en serrures qu’en plomberie.

Elle trouva Valence étendu habillé sur son lit. Il avait simplement pris le temps d’ôter sa veste et de desserrer sa cravate avant de s’endormir. C’était à peu près comme ça qu’elle s’était imaginé le trouver. Mais elle n’avait pas réfléchi à ce qui allait se passer après, comment elle allait s’y prendre. Maintenant, elle était debout dans cette chambre noire sans trop savoir comment faire. Elle s’approcha de la fenêtre et resta un quart d’heure à regarder la nuit sur Rome. Ce que lui avait appris Tibère lui avait donné un véritable choc. Valence avait réussi à presque tout savoir et elle était encerclée. Pourquoi merde en était-il arrivé là ? C’était si triste.

Laura soupira, quitta la fenêtre et le regarda. Un de ses bras tombait le long du lit et sa main touchait le plancher. Avant, elle avait aimé ses mains. Maintenant, aurait dit Tibère, c’était devenu des mains pour détruire, et elle ne voyait pas quoi faire contre ça. Elle s’assit sur le bord du lit, les bras serrés contre son ventre. Même endormi, il n’avait pas l’air inoffensif. Elle aurait volontiers bu quelque chose. Ça lui aurait certainement donné du cran pour le moment où il se réveillerait et où il faudrait qu’elle se tienne prête. Il ne fallait à aucun prix qu’il se doute qu’elle ne tenait plus qu’à un fil. Avant, elle n’avait pas peur de lui. Elle pouvait le toucher sans s’inquiéter. Elle approcha sa main et la posa à plat sur sa chemise, sans le réveiller. Elle se souvenait de ce contact. Elle pourrait essayer de rester comme ça jusqu’à ce qu’elle n’ait plus peur, jusqu’à ce qu’elle retrouve le calme qu’elle avait, avant, quand elle l’aimait.

Elle n’avait plus envie de se battre. La mort d’Henri, son visage repoussant sur le chariot de la morgue, les pressions d’Édouard Valhubert, le harcèlement autour de Gabriella, son trafic de marchandises dont on allait faire tout un scandale, et Richard Valence qui dressait toute sa taille contre elle. Ça faisait trop en une seule fois. Le front posé sur son poing, l’autre main posée sur Valence, Laura se sentait s’endormir par saccades. Lorenzo, Henri et Richard ne lui avaient pas rendu la vie facile. Elle ne regrettait pas le meurtre d’Henri, elle en était sûre à présent. Si elle avait pu s’endormir comme ça, sur sa main, ou bien même dormir contre lui, et repartir au matin, débarrassée de sa peur. Pourquoi, bon Dieu, ne pouvait-elle pas faire ça, alors que c’était si simple ?

Elle se leva lentement et fit le tour de la pièce à tâtons pour chercher quelque chose à boire. Le bruit du verre alerta Valence qui se dressa en sursaut.

— Ne t’inquiète pas, dit-elle, je me sers un verre.

Richard Valence alluma et elle se protégea les yeux. C’était fini, l’obscurité.

— Est-ce normal que je vous trouve en train de boire dans ma chambre au milieu de la nuit ? demanda Valence en se relevant sur un coude.

— Est-ce normal que tu aies préparé sur ton bureau mon arrêt de mort ? Qu’est-ce que c’est que ça ? C’est du gin ?

— Oui.

Laura fit la moue.

— S’il n’y a que ça, dit-elle en se servant largement. Valence s’était mis debout, frottait son visage et enfilait sa veste.

— Tu sors ?

— Non. Je m’habille.

— C’est plus prudent, dit Laura.

— Qu’est-ce que tu viens chercher ? Ta rédemption ? Tu ne l’auras pas.

— Si.

— Non. Par où es-tu entrée ?

— Par la fenêtre, comme les vampires. Est-ce que tu sais, Richard, que les vampires ne peuvent entrer dans les chambres que si le dormeur désire ardemment qu’ils y entrent ?

— Je ne désire pas ardemment que tu sois dans cette chambre.

— Je le sais. C’est bien pour ça que je suis entrée en forçant la porte, comme tout le monde. Débarrasse-toi de ce rapport et je m’en vais.

— Tu sais tout ce qu’il y a dedans ?

— Je crois, oui. Tibère était un peu exalté, mais précis.

— Va-t’en, Laura.

— Tu as l’air claqué.

— N’importe quelle enquête est claquante. Laisse-moi maintenant.

— C’est tout ce que tu arrives à dire depuis que je t’ai revu : « Laisse-moi. » Et toi, est-ce que tu me laisses tranquille ?

— Moi, je n’ai tué personne.

— Te rends-tu compte du scandale politique que tu vas déclencher en France ? Qu’est-ce que ça peut te foutre que j’aie tué Henri ? Ça ne vaut tout de même pas ta carrière.

— Complicité tacite d’assassinat, c’est ça que tu veux de moi ?

— Pourquoi pas ?

— Qu’est-ce qui te fait croire que je marcherais ?

— Beauté du geste, noblesse de l’âme, souvenirs. Tout ça.

— Arrête avec ce gin, Laura.

— Ne t’en fais pas, je t’avertirai au moment exact où je serai ivre. Tu te débarrasses de ce rapport ?

— Non. Mais je vais profiter de ta présence pour l’améliorer. Tu es donc en cheville avec le banditisme romain ? Tu trafiques ?

— Mais non. C’est ma valise qui trafique. Quand j’arrive à Rome, il n’y a rien dedans. Quand je repars, il y a des tas de trucs inouïs. Qu’est-ce que je peux y faire ? Elle vit sa vie de valise, cette valise. Si ça lui plaît de trimballer des tas de bricoles, c’est son affaire, je ne vais pas m’en mêler. On ne quitte pas une valise sous prétexte qu’elle prend de temps en temps son indépendance. C’est comme un enfant fugueur, il faut s’y habituer. De toute façon, je suis persuadée que ça recommencerait avec n’importe quelle valise. Tiens, l’autre jour, ça a commencé avec mon sac à main, par contagion, je suppose. Léger à l’aller, lourd au retour. C’est bien, Richard, prends des notes, prends des tas de petites notes. C’est magique, ces petites notes qui s’ajoutent les unes aux autres, Laura Valhubert ceci, Laura Valhubert cela, Laura Valhubert cache sa fille dans un trou à rats, Laura Valhubert trimballe des valises, et elle finit par boire du gin dans la chambre de son tortionnaire et ex-amant dont elle a forcé la porte. Écris tout cela, mon chéri, ça fera un rapport magnifique. Si, je t’assure. Magnifique.