San-Antonio
Champagne pour tout le monde !
Roman un peu con, mais néanmoins très beau
A Jean Dutourd,
Cette littérature assez peu académique,
mais que j’espère marrante tout de même
« Nul ne fut jamais grand sans un souffle de l’inspiration divine »
CHAPITRE PREMIER
La bagnole possédait une carrosserie italienne. La fille aussi, probablement.
L’une, comme l’autre, mobilisait les regards, mais les deux réunies t’énucléaient littéralement.
La seconde avait quelque peine à ouvrir la première.
Je me précipitai, en regrettant que ce ne fût pas la deuxième qui fût à ouvrir.
Mais qui savait…
La fille s’obstinait à vouloir faire pénétrer dans un trou de serrure une clé qui n’avait jamais été conçue à cette intention.
Elle rageait entre ses dents, et dans la langue du Dante, ce qui équivaut à rager doublement.
Le moment étant venu pour moi d’intervenir, j’intervenis.
— Des problèmes, mademoiselle ? demandai-je en italien de fortune (de bonne fortune, espérais-je).
Elle se retourna, me vit, ne parut pas contrariée d’avoir à me regarder, me sourit même, et murmura :
— Les problèmes qu’une idiote peut avoir quand elle confond les clés de son bureau avec celles de sa voiture.
Je lui fis alors discrètement remarquer qu’elle n’avait qu’à remonter à son domicile pour rectifier l’erreur. Elle rit de plus rechef, à belles dents éclatantes, à belles lèvres rouges et charnues, à mutines fossettes et m’expliqua qu’elle demeurait au diable vauvert, ce qui n’est pas la porte d’à côté, et qu’elle avait frété un taxi pour venir récupérer sa bagnole, laissée en ce quartier résidentiel de Rome à l’issue d’une soirée que je devinais tumultueuse (des amis l’avaient déposée chez elle au petit jour, me dit-elle).
Je lui proposai alors de la ramener à son home. Elle parut hésiter, mais, ayant consulté sa montre, murmura :
— Je suis tellement pressée… Il n’existe donc aucun moyen de mettre une voiture en marche quand on n’en possède pas les clés ? Comment font les voleurs, alors ?
Moi, gros bras tout plein, matamore, haleine fraîche, de lui virguler le sourire Email Diamant des magistrales occases.
— Ils font comme ceci, jolie demoiselle.
J’extirpe mon sésame. Cric-croc-crac… La portière est délourdée. Ensuite je m’attaque au plus duraille : le contact. La chignole, pourvue d’un antivol, récalcitre. J’obstine. Ah ! ma vache, tu ne vas pas faire perdre la frite au beau Sana quand il en installe devant l’une des plus ravissantes personnes d’Italie, merde ! Où ça va, ça !
A force de trifouiller, de bricoler, d’actionner ceci, cela, le reste, vron vron vraoum ! le moulin cède et tourne.
La gonzesse me déclare que je suis le gars superman en chair et noces, atterri opportunément dans son univers. Elle m’écarte pour s’installer au volant. Ce faisant, elle pose ses escarpins et retrousse sa jupe ! Vingt gu ! De quoi guérir de la cataracte tout l’hosto des Quinze-Vingts !
J’en goinfre mes rétines avides.
— Quand t’est-ce qu’on se revoit, signorina ? bredouille une voix conne qui doit être la mienne, tant elle est parfaitement imitée.
— Bientôt, répond négligemment la trop belle en démarrant.
Je regarde foncer la bagnole : une Daimler 12 cylindres blanche.
Qu’à ce moment des gonziers surviennent en hurlant au voleur, me ceinturent, me grêlent de coups, m’emportent chez des messieurs carabiniers beaux comme des bites peintes avec leurs cartouchières en toile cirée, leurs futals à bandes rouges bien repassés et leurs moustaches gominées impec.
Le lendemain, dans tous les baveux romains, c’est écrit à la une, la deux, voire la trois à l’extrême rigueur, qu’un commissaire français en tourisme s’est rendu coupable de complicité de vol. Les journalistes italoches gorgechaudent à s’en fouler le poignet (ce qui n’est pas un luxe, mais une luxation).
Me reste plus qu’à plier bagage.
D’autant qu’on a foutu une photo de ma pomme plein écran, l’air anthropométrique en diable, avec un regard fixe et angoissé de chat en train de déféquer.
CHAPITRE II
— Qu’est-ce qui ne va pas, mon grand ? s’inquiète Félicie, en me voyant rêvasser au-dessus de mon bol de café fumant.
Je refais surface, le visage emperlé de buée refroidie.
— Tout va bien, m’man, quelle idée !
— N’écoutez pas, madame ! sachaguitryse une voix bien connue, trop connue.
Et un diable chauve surgit dans notre salon, tragique comme un reptile du secondaire, hideux de trop de courroux condensé dans ses prunelles. Le Vieux, puisqu’il faut l’appeler par son nom ! Le Vieux, en noir, la frime blême, spectrale, moi je dis, vilain en plein, les veines emplies de vinaigre et la bouche de fiel.
— La porte était ouverte, j’ai frappé néanmoins, dit le survenant. Personne ne m’ayant répondu, je me suis permis…
Félicie bégaye que bonjour-monsieur-le-directeur-vous-avez-bien-fait-ravie-de-vous-voir. Après quoi, elle se tait, anéantie par l’expression de damné peinte en blanc sur la tronche blanche du Dabe.
Celui-ci arrive à la perpendiculaire de mes pinceaux posés paresseusement sur un siège.
— Non, madame, rien ne va bien, entonne-t-il. Tout va très mal, au contraire. Vous allez me tirer les oreilles de ce garnement, le priver de dessert, lui faire copier des verbes, car sa conduite est inqualifiable ! Jusque-là, nous n’avions eu à déplorer que de petites incartades sans gravité. Une admonestation et l’ordre revenait. Nous le comptions parmi les bons éléments de sa classe. Il nous est même arrivé de l’inscrire au tableau d’honneur. A plusieurs reprises, j’ai lu ses rapports à ses camarades, pour l’exemple, et il les surveillait, parfois, en mon absence. Mais son inconduite récente m’oblige de prendre des sanctions. D’où l’objet de ma visite. Ne me regardez pas avec ces yeux de poisson mort, San-Antonio, ça ne changera rien à rien. Votre maman doit être mise au courant et elle le sera. Madame, regardez cela. Oui : ce journal. Lisez-vous l’italien ? Non ? C’est pourtant facile, on voit que ces gens-là ont pillé notre vocabulaire, nos racines, tout le fourbi. Vous reconnaissez la photo de votre rejeton, du moins, bien qu’elle eût été prise par un photographe transalpin ? Je vous traduis le titre : « La police française au secours des voleurs de voitures romains. » Textuel ! L’article raconte comment ce grand foutraque s’est empressé d’aider une voleuse d’automobiles. Elle s’est carapatée avec la voiture, mais lui, le niais, a été appréhendé par le propriétaire furieux et ses gens. Et attendez : quelqu’un de bien, le propriétaire. Du tout beau linge ! Professeur Corvonero. Vous allez m’objecter que les Italiens se font tous appeler dottore à compter du certificat d’études primaires, mais lui c’est un vrai professeur. Il ne professe pas, mais il pourrait. Grand patron des laboratoires Acquapotabile de Rome.
« Des relations internationales, élevé au Rosay, c’est vous dire ; ça te vous tutoie les derniers rois comme des portiers d’hôtel. Et alors, cet article, écoutez-moi : repris dans Minute, demain. Le Canard, L’Humanité ; quand il s’agit de gloser sur la police, tous d’accord, n’importe leurs opinions. Politique du papier vendu, voilà la vérité. Pas de sens moral, mais des tirages. Et alors, ma bonne chère dame, je deviens quoi, moi, dans tout cela…, hmmm ? Moi, le directeur ! Je couvre ? Je châtie ? Je désavoue ? Je sanctionne ? Je donne un avertissement ? Oui, n’est-ce pas ? A cause de vous, alors ! Pour ne pas briser votre cœur de mère ! Éviter que le rouge de la honte ne vous monte au front. Bon, un avertissement, soit ! Le dernier, l’ultime ! On se tient à carreau, mon garçon, dorénavant. Et on me fait de bonnes compositions en fin de trimestre, promis ? Vous m’en donnez l’assurance, n’est-ce pas ? Alors, bon, très bien, je passe l’éponge. On brûle ces monstrueux journaux qui nous font tant de mal, à nous, verseurs de sang professionnels dont on oublie la mort héroïque pour ne célébrer que les bavures ! J’ai personnellement appelé le professeur Corvonero, pour vous excuser, m’excuser, excuser la France. Heureusement, on a retrouvé sa voiture le lendemain du vol, en bon état, dans un parking. Tout est bien qui finit bien. Mais soyez plus perspicace à l’avenir, San-Antonio. Ne mordez pas à n’importe quel hameçon sous prétexte qu’il vous est proposé par une donzelle riche en tétons, polisson ! Que dites-vous, chère madame ? Oui, je prendrais volontiers une tasse de café. »