Выбрать главу

— Elle nous a priés de monter et nous a donné les clés pendant qu’elle s’attarde un peu avec le professeur.

J’ai dit négligemment. Mais enfin, ça reste foireux malgré mon ton enjoué. Le Jaunet ne se démonte pas.

— Vous pouvez me montrer les clés, s’il vous plaît ?

Pas folle la guêpe !

Je me tourne vers le Gros.

— Tu veux bien montrer les clés à monsieur, Alexandre-Benoît ?

— Mais certainely, dit Son Importance, avec beaucoup de parfaitement.

Et de t’aligner une pêche (ou un litchi) au menton du petit valet qui le décolle du tapis pour l’expédier dans des matins calmes.

Très au point dans ce genre de tête-à-tête, Béru le cramponne avant qu’il ne s’écroule et l’installe dans un fauteuil de l’entrée.

— C’qu’a d’con av’c ces mecs, dit-il, c’est qu’on peut pas s’rend’compte si y tournent d’l’œil étant donné qu’ils gardent constamment leurs stores baissés.

Je ne suis pas fiérot. Coup fourré, ma poule ! Du train où vont les choses, je vais me faire emballer pour de bon par mes collègues romains, moi.

— Cassons-nous ! décidé-je.

Mais le Mammouth regimbe :

— Là, j’te pige plus, l’Artiss. Maint’nant que j’aye aligné not’copain Fleur-de-soja, j’voye mal c’qui t’retiendrait d’faire ce dont on est venus pour ! Vas-y : esplore pendant qu’j’veille su’son sommeil.

J’opine (oui : de cheval si tu veux, pas qu’on perde nos bonnes habitudes) et me livre à une exploration en trombe. Les salons, salle à manger, juste pour dire. Ce qui m’intéresse, c’est la chambre de la gosse. Car une chambre constitue pour tout individu une espèce d’État dans l’État. Elle est sa vraie tanière. L’endroit où il garde ce qui lui est le plus personnel. Les secrets et les slips font bon ménage, ils sont, les uns et les autres, « d’alcôve ».

La carrée de Mlle Letizia Ramolin évoque les fastes hollywoodiens. Elle a trop bouquiné Ciné-Revue dans son adolescence et y a contracté le goût de l’époustouflant. En tout cas elle ne souffre pas d’agoraphobie. Vingt gu quelle salle de bal ! La plus grande pièce de l’appartement : dix mètres sur dix. Rose praline, comme chez je ne me souviens plus quelle vieille vedette partie du muet pour arriver à l’oubli. Lit rond, rose, de même que le ciel de lit, les murs, les sièges. Meubles laqués roses, salle de bains rose, avec baignoire en forme de piscaille qu’il faut descendre trois marches pour s’immerger la tranche de melon. Elle croit que c’est cela, le luxe, la dévoreuse. Et après tout pourquoi not ? Chacun ses goûts, chacun son rêve. Puisque les gens dits de goût sont en effroyable minorité, c’est donc qu’ils ont tort par rapport à la masse, non ? La loi du nombre l’emportera toujours.

Mais bref : je reviens à la réalité.

La réalité, ne serait-ce pas cette espèce de bureau-secrétaire moderne aux tiroirs aguicheurs ? Ou bien cette commode basse qui ne recèle peut-être pas seulement de la lingerie bandante ?

Je plonge, espèce de honteux animal fouisseur, dans la vie privée d’autrui. Un tiroir, je vais t’expliquer, pour bien en apprécier le contenu, il convient de le vider et de replacer l’une derrière l’autre, après l’examen, les choses que tu en as sorties. Ça prend du temps, mais c’est la seule méthode.

Ceux de Letizia contiennent tout un matériel porno. Vrai, le cul, c’est sa lumière, à cette fille. Complètement déboussolée du fion. Des bouquins qui épouvanteraient le dirlo d’une sex-shop ! Et puis la panoplie sophistiquée : vibromasseurs, godes électrifiés, onguents aphrodisiaques, nerfs de bœuf à pommeaux d’argent, fouets à clous, fouets sans clous, collerettes à paf en poils de mule et je m’arrête là, pas tomber dans le libidinœud, ni intriguer outre mesure le lecteur aux coïts classiques pour qui la fellation constitue le sommet de l’érotisme. Un peu de dignité, que diantre !

De papelards, fort peu : les bafouilles de son vieux papa qui habite la Haute-Savoie, une très ancienne carte de Sécurité sociale, des photos qui la représentent avec des glandus anonymes : petite fille, adolescente, femme. La fresque des cons à vivre. Famille, travail, amours. Rien que du banal, du sous-quotidien jaunissant. Les meubles gardent leur secret probablement parce qu’ils n’en ont pas. On a knockouté le petit valet asiatique pour ballepeau ; Letizia n’est qu’une provinciale nympho qui aime à jouer les Dames aux Camélias, la tuberculose en moins.

Je m’obstine, mais pour des prunes. Ne me donne pas la peine de bien ranger vu que notre visite sera mentionnée par le valeton.

Dans le hall, Bérurier est assis face à sa victime, les grêles genoux de l’Asiate entre l’étau des siens.

— Toujours dans la purée, Cézigue ? m’inquiété-je.

Sa Majesté renifle.

— J’l’entretiens av’c des petits gnons amicaux au bouc. Dès qu’il papillote des châsses, poum ! une chique pour l’rendormir. Et toi, où en sommes-tu ?

— Rien, filochons !

On se trisse. Je suis de plus en plus renaud, mal dans ma peau et autour de mes os. Traînant un confus sentiment d’empaillage généralisé. Comme si tout se liguait contre moi. Comme si mes pensées se trouvaient trahies par mes actes. Comme si, en sourdine, l’univers entier se payait ma tronche.

Dis, ça va pas continuer de la sorte jusqu’à la Saint-Trouduc. Tu penses sérieusement ? Me semble qu’il va m’arriver quelque chose. Et tu vas voir que mes pressentiments sont plus solides que les prédictions de Nostradamus.

CHAPITRE X

Il ne s’est pas annoncé.

Il est là, fou, purement fou, à tambouriner à la porte de ma chambre malgré que je vienne de la lui ouvrir. Son visage est ruisselant de larmes. Sa poitrine ronfle comme les établissements du Maître de Forges avant le Front populaire. Il exhale des plaintes de carnassier piégé.

Il cesse de cogner, s’étant aperçu que je lui avais donné satisfaction. Sans doute m’avise-t-il enfin à travers le rideau de pleurs qui l’isole du monde ?

Alors il se jette sur mon pyjama de soie bleue, le détrempant en quelques clins d’yeux. Il pend dans mes bras comme l’enfant à naître dans le ventre de sa mère.

Un couple de touristes hollandais, blonds, roses et cons, nous regardent, stupéfaits. Je le happe à l’intérieur de ma suite royale dont je referme la lourde d’un gracieux mouvement de talon.

Le coltine jusqu’à un fauteuil au creux duquel il se love (I love you, darlinge) pour mieux chialer.

Alerté par le tumulte de ce chagrin à grand spectacle, Béru arrive, vêtu de son tricot de corps qui s’arrête au-dessus du nombril ; lequel nous fustige d’un œil de pachyderme frappé de conjonctivite.

— Qu’est-ce que c’est c’bordel ? demande Bérurier, que j’en faille m’étouffer en clapant mon croissant. Pourquoi t-il qu’il bieurle d’la sorte, le Momo ? Hein, Momo, qu’estce y t’arrive, mon bout d’homme ? Ta nana t’a largué en engourdissant la caisse ? Ou bien t’es arrivé au moment qu’é s’faisait encore pointer féroce par un d’ses loubards ?

— Non, non, regimbe le professeur Corvonero. Elle est morte !

On chope ça pleines badigoinsses ! Cap ratiches, toutes ! Vlan !

En chœur, moi avec ma voix de ténor, Béru avec sa voix de basse beaujolisée, on récrie :

— Morte !

— Si ! Morte ! J’ai entendu à la radio pendant que je me rasais ! Je suis parti comme un fou chez elle. Et c’est vrai : morte !

Cris, larmes, légère crise de nerfs en provenance des Açores, avec dégradation du système neurovégétatif consécutif à un courant froid venu d’Islande. Il trépigne. Il glabute. Il chnouffige. Il pétrarque. Il ramisse. Il a un début de dégueulage : son jus d’orange matinal.