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— Qu’est-ce tu dis d’la tournance des évén’ments, Beau Prince ?

— Je me demande pourquoi on a déguisé la môme en incendie, réfléchis-je.

— Parce qu’elle savait quéqu’chose de plus qu’c’qu’on croivait qu’elle susse, répond pile l’Einstein de la Rousse ; moi, c’t’aut’ chose qu’j’m’demande.

— Dis !

— Les deux filles sont mortes, mais Momo vit encore ; j’s’rais été d’eux, j’aurais commencé par lui.

— Seul’ment tu n’es pas eux. Ils ont trop besoin de lui. Bon, fringuons-nous et repartons au combat, mon drôle.

— L’menu du jour ?

— Une virée au musée. On ne sait jamais.

* * *

Le Museo di Santa Antonia dei Cosmetici est une construction monoptère[5] oubliée au fond d’un vaste parc truffé d’oiseaux, d’amoureux, d’enfants et de vieux branleurs. Pas très grand, il propose aux amateurs des collections réputées relatives à l’art extrême-oriental.

Ce qu’apercevant, je flanque un coup de manivelle en os dans les cerceaux du Gravos.

— Hé ! dis, Prosper, voilà qui fait bien augurer.

Il s’écarquille à en chier partout.

— Qui fait inaugurer quoi-ce ? bougonne-t-il, vexé d’être pris en flagrant délit d’incompréhension.

— Art d’Extrême-Orient.

— Voui, alors ?

— N’oublie pas que la drogue arrive souvent de ces contrées lointaines, et que c’est un Extrême-Oriental qui a piégé le plumard de Letizia, cette nuit.

Sa Majesté acquiesce, vaincue.

— La filière jaune, quoi ?

— On peut lui donner ce nom de code en effet.

J’acquitte le prix de deux biftons et nous visitons hâtivement le musée. Endroit conventionnel, fonctionnel aussi : murs blancs, spots innombrables, écriteaux explicatifs en italien et en anglais. En plus de tout : les rois de la fête, naturellement, une grouillade de reliefs (et bas-reliefs) d’architecture asiatique, bouddhas, déesses, fresques, armes anciennes, nani et nanère, pincemi et rince-doigts sont sur une jonque, tout ça… De surcroît, une odeur indéfinissable de là-bas : musc, me dit-on ? Je prends. Qui déconcerte nos narines indélébilement européennes. Pas grand trèpe. Les enfants d’une classe terminale sous la conduite d’un jeune gars qui prend son pied avec l’époque Ming au lieu de brosser sa gonzesse.

Ayant pris contact avec les lieux, je les quitte, pour pénétrer dans une cabine téléphonique installée dans le hall d’entrée du museo.

D’un index implacable je compose le numéro d’icelui. Ça bourdonne longtemps avant qu’on ne dégoupille le combiné.

— Pronto ! s’annonce une voix qui me semble femelle.

— Pronto, dis-je pour payer mon écho.

Là-dessus, je dois plonger.

— Vous êtes le Museo di Santa Antonia dei Cosmetici ?

— Si, signore.

— Puis-je vous demander à quel service vous appartenez ?

Ma terlocutrice paraît interlocutée :

— Mais, qu’entendez-vous par là ?

— Je veux dire : vous n’êtes pas la personne du guichet ?

— Oh, non, ici la ligne privée du directeur. Le guichet c’est…

Je la coupe, cette chère Melba, avec le sécateur de ma voix de rêve.

— C’est précisément au directeur que je souhaiterais parler.

— Le signor Parrucca est en conférence. Il faudrait le rappeler.

— Pensez-vous qu’il en ait pour longtemps ?

— Un quart d’heure tout au plus.

— Croyez-vous qu’il puisse m’accorder un entretien ensuite ? Il s’agit d’une chose très importante.

— De la part de qui ?

— Mon nom ne lui dirait rien, je suis un ami du professeur Corvonero.

— Si vous voulez bien répéter, je ne suis pas sûre d’avoir bien entendu.

— De la part du professeur Corvonero. Je me permettrai de me présenter d’ici une dizaine de minutes, j’espère que M. le directeur pourra me recevoir. Mes respects, signora.

— Elle a l’air un peu écroulaga, la s’crétaire, commente le Vibrant. Doit pas avoir une tronche à s’faire fourrer su’1’clavecin d’son Olivetti.

De primatial abord, l’endroit fait pas tell’ment repaire de croquants. Je consulte ma montre.

— Séparons-nous, Gros. Tu vas flânocher dans le coin en m’attendant.

— Et toi, tu comptes l’entreprendre comment, le directeur ?

— Je vais lui balancer un pavot dans la mare pour voir si ça va faire des ronds.

CHAPITRE XI

Le signor Parrucca, dans le genre vieille ganache, on peut certes faire mieux, mais alors faut vendre les louis d’or de grand-père pour pouvoir se l’offrir car c’est beaucoup plus cher.

En passant le seuil de son burlingue qui sent le sarcophage, je pige illico que je suis en train de me pointer sur une voie de garage. Imagine, ma petite poulette, un birbasse de soixante balais et quelques, perdu dans un costard noir dont il fit l’emplette à l’époque où il pesait quatre-vingt-dix-huit kilogrammes (alors qu’il est redescendu d’un tiers). Limouille blanche à col râpé. Cravate noire plantée d’une perle bidon grosse comme un testicule de lutteur turc. On le subodore chauve comme la piste d’Holiday’s on ice sous la plus effarante réchauffante qui somma jamais la pointe avancée d’un pseudo-intellectuel italien. Brune, avec à la base des reflets queue-de-vache, elle constitue une espèce de casque écœurant. Mon seul espoir, car je suis un être de haute bienveillance, est qu’au moins elle lui tienne chaud, sinon ce serait à désespérer de l’art capillaire.

Des décorations fanées, et je suppose sans grande signification[6], mettent une sorte de cancer honorifique à son large revers.

A mon entrée, il se tient comme Pasteur (ou Fallières) sur sa photo du Larousse : debout derrière son burlingue, appuyé des deux poings sur le sous-main de cuir, le regard condamneur et la glotte bloquée entre deux étages. Il y aurait écrit « Vieux con » en travers de sa personne, en caractères d’imprimerie, qu’il ne ferait pas davantage vieux con. Car il est prototypique dans son genre, ce kroum. Il témoigne, étalonne, prouve, bienfonde ce qualificatif. Le signor Parrucca est un vrai, un pur, un authentique vieux con ; un vieux con de naissance, dont la plus humble des cellules est vieille conne. Il a la rutilance intérieure du vieux con irréfutable. C’en est très vite fascinant. Tu contemples, tu es pris d’un confus vertige. Tu éprouves le besoin de prier. L’émotion te sodomise. O que c’est merveilleux, un tel vieux con ! Joyau ! Royal ! Sa perruque est la tiare du vieux con. Dois-je me signer ? M’agenouiller ? N’oublie pas que nous sommes à Rome !

Il me regarde avec cette fixité du Vieux Con qui assure son autorité.

Et je marche à sa grande connance, d’un pas dévot, avec une tête de veau. Frileux d’impuissance devant cette connerie intense, si brûlante et admirable que même le con moyen se sent faiblir en sa présence.

Je me présente, enroué devant tant d’ineffabilité.

Il m’écoute, hoche ses fanons, ne me tend pas la main, mais me désigne une chaise, dépose un cul lustré dans un fauteuil qui l’est davantage encore, puis fait le pont des Soupirs avec ses avant-bras et appuie son menton ganacheur sur la clé de voûte de l’ouvrage.

— Je suis un ami du professeur Corvonero dont vous avez sans doute entendu parler, monsieur le directeur ?

— Jamais, laisse-t-il tomber d’une voix comme si on lui arrachait un pansement délicat et par trop adhésif.

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5

Merde, y a des dictionnaires, t’as qu’à chercher ! Tu ne veux pas que j’aille faire ton ménage, par-dessus le marché !

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6

Comme si une décoration pouvait jamais en avoir une, hé ! pauvre con !

Note du Grand Maître de l’Ordre de la Région Donneur.