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Le bateau s’arrache du quai en pataugeant comme un canard dans sa mare. Lentement, il quitte le môle. J’en chope plein les mirettes.

Et tu vas voir à quel point, ma pauvre chouquette.

Figure-toi que nous prenons la tangente en décrivant une orbe qui nous amène à l’extrémité du môle.

Et qu’aperçois-je ?

Vois-tu, je voudrais te le donner en mille, mais ce serait dommage, car c’est bien plus beau dans son entier.

Parmi les employés de la compagnie, un couple de « Blancs ».

Mes tourtereaux !

Voui, ma chère ! Miss Museo et son aimable compagnon. Toujours enlacés. Chacun a conservé une main libre dont il se sert pour envoyer des baisers au barlu en partance.

Je me doute que ceux-ci me sont destinés. Certes, ils ne peuvent me voir, mais ils espèrent bien que je les vois, et c’est leur façon de me traiter de con. Des baisers à n’en plus finir.

« Va te faire foutre, San-Tantonio, gros malin de nos fesses ! Va te faire aimer chez les Chino-Portugais, espèce de flic au rabais ! »

Oh ! pardon. Comment que ç’a été mené rondo, la petite opération. Cocu, va ! Je croyais les filer et c’est eux qui jouaient au chat et à la souris.

Le barlu prend de la vitesse. Il est trop tard pour me faire débarquer. Et il m’est même impossible de sauter à l’eau, avec le monstre bouillonnement créé par l’hydroglissage.

Je pige tout bien. Ils m’ont retapissé depuis le début. A l’hôtel, cet appel, c’est eux qui l’ont fait passer, espérant sortir pendant que je serais au téléphone ; comme ça n’a pas marché, ils ont trouvé autre chose.

Charmant voyage. Des milliers de kilomètres pour la peau !

Encore bien qu’ils ne m’adressassent pas des bras d’honneur. Note que des baisers, dans une telle circonstance, comme dirait Béru : c’est plus pire !

CHAPITRE XVI

Chante, ô mon amertume !

Insuffle-moi l’énergie qui mène à la revanche ! Il faut subir. Et puis trouver dans la résignation les éléments des prochaines victoires.

Je les regarde s’agiter dans le soleil, si gracieux, les salauds, si ivres de leur triomphe qu’un sentiment de profonde générosité me vient.

Alors tu sais quoi ?

Sors ta main de ma braguette et écoute : je bondis sur le pont. Je fonce à la poupe populaire.

Et je me mets à agiter mes deux bras à leur intention. Qu’ils soient rassurés, les beaux chéris. Message reçu. Oui, oui, je l’ai dans le cul. Oui, oui, bravo ! Ils m’ont enfilé de première, jusqu’à la garde ! Que Dieu les protège. De l’existence toujours perfide, bien sûr, et aussi de moi ! Parce que le gars Santantonio va revenir de Macao. Et parce que le monde n’est pas suffisamment grand pour qu’ils puissent m’échapper. Au moment des retrouvailles, je ferai du neuf et du déraisonnable. Quoi ? N’en ai pas la plus légère idée, mais ça me viendra au bon moment.

Au revoir, au revoir, les chéris ! Car ce n’est qu’un au revoir, mes frères, ce n’est qu’un au revoir. Promis. Pourtant, ce n’est là qu’une simple arnaque, de bonne guerre. D’autres malfrats, au long cours de ma carrière, m’ont meurtri dans ma viande, m’ont contraint à des soumissions déshonorantes ; mais je les haïssais seulement, j’avais simplement envie de les tuer, voire de les mettre en pièces. Pour ce couple, c’est différent. J’ai soif de les retrouver, soif de me venger d’une manière infiniment subtile. Ce bafouement me dépèce l’âme.

Et puis ça y est. Je ne les vois plus. L’éloignement les soustrait à ma rage délirante. J’arrête de gesticuler. La bourrasque de la vitesse qui croît me décoiffe.

Je me retourne pour aller m’asseoir. C’est alors que j’aperçois une femme qui compte parmi les dix plus belles qu’il m’ait été donné d’approcher. Attends que je récapitule : non, parmi les cinq plus belles. Et peut-être les trois. Une Chinoise. Mais nom de Dieu de nom de Dieu, ce qu’elle peut être horriblement belle ! Belle à te faire mal partout ! A t’en donner envie de chialer ! Ah ! l’heureuse diversion ! Et combien opportune ! Merci, sainte Opportune que je vais devoir vénérer, révérer, réverbérer au besoin. Instantanément, la brûlance de ma déconvenue cesse. Miraculeux.

Un baume pour les yeux rougis de haine.

Une Chinoise. Vive la Chine éternelle ! Une Chinoise inoubliable. Grande, et puis… Et puis merde ! Te décrire quoi ? Comment ? Une Chinoise ! Une Chinoise, quoi. La plus belle du milliard de Chinois qui se préparent pour la fiesta.

Visage parfait. Et cette dignité ! Madoué ! Et ce maintien. Mais le plus mieux, c’est le regard. Il est lumineux d’intelligence. Il est grave, intense, complet. Il voit et il montre !

Il sait tout et il dit.

Il observe et reste secret. Elle réagit à mes yeux dans les siens. Comprend que je suis un chibreur de naissance. La joute constante, zobinche braqué. Elle sait que, d’instinct, j’en veux, que, d’autor, j’en obtiens.

Son expression fugace est de repli. Elle exprime une curiosité dominée par une grande pudeur. Flattée et craintive. La classe !

Elle porte un tailleur noir, un chemisier blanc. Un très léger manteau de vigogne (qui est de retour) est jeté sur ses épaules. Curieuse mise pour partir en voyage touristique. Bien trop habillée. Son beau regard oblique va quêter le large ponctué d’îles vertes qui font le gros dos au soleil.

Je cherche du spirituel, de l’inédit, de l’apprivoiseur.

— Paysage magnifique, n’est-ce pas ?

De toute beauté ! Belle venue, hein ? On sent un gars qui n’est pas privé de dissert. Le mec plein d’aisance comme une fosse du même nom.

La personne ne répond pas, c’est mieux, plus subtil, plus captivant. Un tout juste acquiescement muet. Elle ne se livre pas, ne me rebuffe pas non plus. Polie, avec un zeste de féminité. Le côté, tu triques pour moi, grand rouleur, mais ne t’emballe pas, j’ai la chatte parcimonieuse.

Je les retapisse principalement dans les restaurants, les gonziers seuls, guignant des femmes seules. Me marre. Me retiens d’en être un de plus. La manière qu’ils trémoussent sur leur chaise, coulant des regards envapés sur la possible conquête. Toutous qui s’enchaleurent. T’approcherais tout contre, tu percevrais le gémissement qui leur fuse des narines.

Ils bouffent sans savoir, boivent automatiquement, parlent aux serveurs sans penser à ce qu’ils disent. Ils gambergent avec leur paf, supputent des glandes, tirent des draps sur la comète.

Me font peine et honte à la fois.

Et voilà que je me sens agir de même. Haletant. L’œil en chavirance, la sécrétion opérante. Je convoite, quoi. Je désire. La bébête qui monte qui monte.

Au point que j’ai totalement oublié ma déconvenue si cuisante. Mon existence se bloque.

— Voyez-vous, murmuré-je, voix noyée pour confidences à la radio après minuit ; voyez-vous, quand je pensais à Hong Kong, je n’attendais que le panorama. J’ignorais que le jour où je prendrais contact avec cette admirable baie, je ne la contemplerais que du bout des yeux parce que j’aurais mieux à voir.

Elle ne me regarde pas. Mais je sens qu’elle m’écoute.

— Sans doute sommes-nous séparés par des millénaires de civilisations différentes, poursuis-je, car je ne chie pas la honte à mes heures de transes et les grandes phrases deviennent mes petites copines. Sans doute est-il très inconvenant dans ce pays de dire à une femme que vous apercevez pour la première fois qu’elle vous éblouit et vous est devenue indispensable, le temps d’un regard. Je mesure mon outrecuidance, que dis-je : ma folie ! Je voudrais que vous me la pardonniez mais aussi que vous essayiez de la comprendre…

Là, on vadrouille au large du lyrisme. Ça devient quelque chose, non ? En route pour Macao, sur le pont d’un hydroglisseur. Une Chinoise, la plus belle de l’Empire depuis que la Chine est jaune. Moi, né Lajoie, Dupont, Martin, Benoît. Fils de France, abonné au gaz, affilié à la caisse de Sécurité sociale. Nous. Elle, moi. Hong Kong. La mer avec des jonques hollywoodiennes, et des sampans, comme les chemises d’aujourd’hui. Le soleil, les odeurs, la godanche à fleur de calbute.