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Toujours obligeant, je dispose les trois tabourets bancals (contrairement à chacal qui devient shakos au pluriel) de manière à ce que ses deux chers petits pieds ne pendent pas dans le vide. Elle peut donc prendre appui sur chaque panard pour partir à la conquête du troisième. Personnellement, je me réserve le tabouret du milieu. A quoi bon dépenser son énergie en fausses positions souvent harassantes, engendreuses de torticolis ? Elle a les jambes nues et la culotte qu’elle porte pourrait être de Mozart. La lui ôter est un jeu d’enfant, mais d’enfant un peu précoce du soubassement. Ce qui m’apparaît alors, ce qui m’apparaît flanquerait le vertige à un nain ! O épanouissement de notre sexualité ! Jardin tant secret où l’on entre comme dans un sanctuaire réservé à de rarissimes initiés ! Faut que je raconte ça à mon ami Paul Guth (de l’Académie française par contumace). Paul, toi qui es un naïf professionnel, donc malin comme cent singes, imagine cette époustouflante Chinoise, belle à te brancher le sifflet, éclatante, et que je te dirais même majestueuse si je ne craignais que tu prisses ce qualificatif dans son sens révérable ; vois cette créature de rêve extrêmement extrême-orientale, allongée sur la méchante table si peu conçue pour l’accueillir (ou la cueillir, comme tu voudras, c’est tout bon). T’ai-je dit que ses pommettes étaient un tantisoit ocrées ? Pardon, j’allais oublier. J’écris en pilotant ma Maserati de l’autre main, que veux-tu. T’ai-je mentionné le dessin de ses lèvres ? Leur modelé ? Non ? Quel con ! Enfin, il n’est pas trop tard. Bouche d’ironie, bouche de sensualité, bouche gourmande, bouche que veux-tu. Bouche… Qui vient de dire « du Rhône » ? C’est malin ! Bouche à emboucher, quoi. Bouche bien embouchée. Et le cou ? Tige de fleur, si tu permets, Paul ? Tu connais le métier, on a du mal à pas tomber dans la composition française de troisième. On garde des relents d’écolier, c’est ce qui fait le charme discret de notre bourgeoisie. Mais je te ramène à ma Chinoise. Là, abandonnée sur cette table de cambuse aux remugles d’alcool de riz. Jambes ouvertes, Paul. Et moi dans ce delta faraminesque, aiguisant ma volupté sur la pierre de mon désir, comme tu l’as si bien écrit dans « Les Frères Karamazov », ton chef-d’œuvre, selon Saint-Matthieu (Galey). Moi, là entre ! Affolé de toutes les avidités sexuelles possibles et imaginables. Moi, la déslipant à gestes extatiques, comme l’amant décachette la lettre de la femme adorée. Tout juste, Paul, je te le dis à toi, mais que ça reste entre nous, cher vieux bavard, tu me donnes la parole d’honneur de ta concierge, au moins ? Merci. Tout juste, reprends-je, si je ne la déculotte pas à la vapeur, de crainte d’abîmer, de meurtrir ses troublants dessous. Oui, elle consent à cette offrande intégrale. Cette acceptation si totale a quelque chose de bouleversant, n’est-il pas ? Souviens-toi, Paul, lorsque tu as vécu cela avec la princesse Margaret, à l’époque où on aurait dit une femme.

Alors, mon cher, mon fiévreux ami, songe à ce que je peux éprouver, parvenu à ce survoltage indicible, quand au lieu de l’exquise petite chattoune envisagée, je me trouve nez à nez, si je puis dire, avec un aimable petit zob guilleret.

Quelle journée, hein ?

CHAPITRE XVIII

Eh oui, force m’est d’en convenir.

Force m’est de me rendre tu sais où ? A l’évidence.

Forces motrices et autres…

Ma sublime Chinoise est un Chinois !

Que faire ? Que dire ?

Je reste bras ballants, brimbalants, devant cette bricole d’à peine douze centimètres de long sur deux et demi de diamètre.

Et sans voix.

Pas le moment de piper mot. A moins d’appartenir à la gentille confrérie des limouilles à pan court.

Colère ?

Plutôt déception.

Revanche ?

Qu’à quoi good ?

La lui couper ?

Il faudrait pour cela la toucher et, même avec des pincettes, je m’y refuse.

Rire ?

Jaune, ça oui.

Bref, devant cette petite bite, le con, c’est moi. Qu’il serve tôt en sol mineur n’infléchit pas ma totale déconvenue. J’ai la viandasse en grande peine. Le zob au désespoir.

Voilà que je lève un travelo chinetoque ! J’ai refilé cent dollars à un mataf pour qu’il me ménage cette intimité avec une superbe créature qui possède toutes les qualités physiques qu’on peut trouver réunies dans un même corps, mais hélas un seul défaut : être bon gré mal gré de sexe masculin.

Alors, hmmm ? Quoi ? Devenir pédoque dans la foulée ? Me convertir ? L’homosexualité existe : je l’ai rencontrée ? Impossible. On est comme on naît.

Et Césarin attend mon bon vouloir. Que dis-je ! Mon bon plaisir.

Je me redresse… Tâche de te montrer à l’hauteur, Tantonio San-Antoignon ! Petit canaillou. Toujours digne des circonstances, qu’elles soient saugrenues ou saulisses.

— Je vous prie de m’excuser, mon colonel, dis-je, j’ai oublié mes lunettes.

Je pique un nouveau bifton dans ma vague. Dessus, malgré le mot dollar, on peut y voir le portrait de Votre Majesté Elisabeth II, Couine, dont on se demande ce qu’elle vient glander sur de la monnaie chinoise ; qu’elle va avoir l’air fin, la mère, en bout de bail (en 1999 je crois ?) lorsqu’elle devra reprendre son sceptre de camping pour rentrer à la maison.

Je dépose la money sur la bibite de mon partenaire démarqué, ce qui suffit amplement à la dissimuler aux possibles convoitises.

Les quelques marches de cet escalier, que je croyais être celui de la félicité, ressemblent maintenant aux degrés d’une potence. J’ai le cœur et la braguette lourds. Une confuse envie de chialer.

Rien ne boume dans cette affaire. Sauf l’essentiel : nous avons échappé au colis piégé. J’aurais dû réveiller le Gros, terrassé par les fuseaux horaires. Si nous avions été deux, ça ne se serait pas passé comme ça. Le couple ne m’aurait pas bité de première et je ne me serais pas laissé aller à séduire cette étonnante fiote.

Assis tout au fond de l’autobus hydroglissant, je contemple la mer de Chine, des îles vertes au loin, quelques bateaux pittoresques comme sur des gravures de jadis. Qu’on imagine des corsaires à l’abordage, et des princesses capturées, réduites en esclavage doré, à tailler des pipes et des plumes aux mandarins KU RA ÇO.

Le barlu bolide. Vaincu par la fatigue, les émotions, le branli-branla de la machine, je finis par m’assoupir. Et probablement à m’endormir tout à fait parmi ces Jaunes qui continuent de bouffer d’étranges pâtisseries et d’écluser des boissons aussi américaines que gazeuses.

Macao, l’Enfer du jeu…

Au patronage, on nous passait ce vieux film, les jeudis pluvieux. Me rappelle plus la distribe. Pourtant, des visages de troisième couteau me frétillent dans les souvenances. Casino, tapis noir (y avait pas la couleur), vamp équivoque, bayard en smoking blanc. Macao, l’Enfer du jeu. Une époque. Ça date de Victor Hugo à présent. Tout s’engouffre dans le concasseur, s’y malaxe. Léopoldine, Macao, Mme Curie, Marthe Richard. De Gaulle, bientôt. Presque, même. On s’achemine, quoi. Faut du temps pour piger ça, un peu plus pour l’admettre. Mais bon, vivement qu’on crève. En finir avec les illuses, et surtout les désilluses qui en consécutent. On a cru à trop de trucs impossibles. On s’est laissé haler par trop de rêves. On marchait dans le néant sans le savoir. Va falloir rentrer, mes frères. Regagner l’Infini. On n’était venus que pour chercher la sortie. Regarde : c’est la petite porte noire que tu aperçois là-bas, dans le fond du décor, près de la lance d’incendie. Y a écrit « Accès interdit », mais tu peux la pousser quand même, et aussi la laisser ouverte, le Blount s’en chargera.