Macao !
Nous y v’là ! C’est pauvret d’abord. J’aperçois un pont interminable qui s’en va dans la mer, comme pour faire chier les bateaux, et qui disparaît, tout loin, tout loin dans la brume de chaleur posée sur les flots.
Macao, c’est une colline, avec une façade d’église rococo, juste une façade ajourée, dressée contre le ciel. Tu franchis le porche, le bon Dieu est tout de suite derrière. Et puis Macao c’est ce quai grisâtre, cradingue, encombré. Quai de n’importe quel port maussade. Des bâtiments branlants, des véhicules mal portants, quelques rafiots éclopés, des rails sûrement inutiles, des grues rouillées, une odeur de misère et d’épices ; des gens sans joie, mal fagotés.
Un bord de mer qui n’arrive pas à être gai, malgré les arbres, le soleil, les couleurs.
Ici les services de police et de douane ne sont pas aimables du tout… Moi je me disais : portugais, tu parles ! Portugais comme un pinson (elle n’est pas de moi, ce qui fait que je l’emploie volontiers) mes fesses. Revêche, oui, bouille hermétique. Chinois, tendance Populaire, faut dire. No rigolade !
Pressé dans le flot des débarquants, je cherche « ma Chinoise » du regard. Ne l’aperçois pas, tant mieux, je n’ai pas la moindre envie de la revoir jamais. Qu’elle aille se faire foutre par des amateurs plus éclairés du popof que moi ! Bon vent dans ses chères voiles !
Je m’annonce le Saint-Siège vers le pas marrant qui épluche les passeports. Et voilà que j’ai beau explorer mes vagues, je ne parviens pas à mettre la main sur le mien. Je l’avais au départ, cependant, puisque je l’ai produit aux autorités de Hong Kong. Merde en branche ! Cela veut dire quoi ?
— Navré, fais-je au préposé. J’ai égaré mon passeport ; vous permettez ?
Je veux rebrousser la file pour aller fouinasser autour de la banquette que je viens de quitter, mais il s’interpose :
— Just a minute, please !
Il me fait signe d’attendre.
Attendre qu’il en ait terminé avec les autres passagers qui dépassagent. C’est longuet. Par les vitres, je vois des cars ferraillegineux dans lesquels les gens s’engouffrent. Touristes, touristes ! La grande confrérie des Nikons’ brothers. La prise de Beûrgh Hop Zoom !
Lorsque le dernier pèlerin a quitté le bord, l’irascible poulaga se raperçoit que j’existe.
— Alors, passeport ? m’interpelle (à gâteau)-t-il rudement.
— Il a dû glisser de ma poche, si vous permettez que je fasse des recherches près du siège que j’occupais…
Il me défrime vilainement, l’air d’un à qui tu as vendu une bagnole dont le carter a explosé au tournant de ta rue.
— Je l’avais, puisque je suis monté à bord, crois-je bon de commenter.
Je rebrousse en direction de la cabine inférieure. Il me suit, mécaniquement. Sa casquette plate posée bien à l’équerre sur sa tête de nœud volant. Tu croirais qu’il tient un plat à hors-d’œuvre en équilibre sur la tronche. Il est fluet, mais plein de muscles et un gros pétard à crosse noire lui bat les miches.
Je procède à des recherches rapides et inefficaces.
En même temps que mon passeport, mon argent et quelques papiers de moindre importance ont disparu. Je commence à penser qu’on me les a volés !
Et, bien entendu, t’as pas besoin de me bricoler un encéphalogramme pour lire dans ma pensée, n’est-ce pas, mignonnette ? Toi aussi, tu te dis que la Chinoise à biroute m’a opéré en extrême douceur. Elle m’a aguiché, mine de rien, mine de tout, m’a « levé » (et fait lever) et puis, hop ! Par ici la good soup ! Bye-bye le larfouillet du pigeon. Car je suis pigeon du début à la fin, mézigue, dans ce bateau-lavoir. A Rome, déjà, quand j’ai joué l’empressé pour aider la belle Antonella à faucher la chignole de Corvonero…
— Suivez-moi ! enjoint mon petit flic auquel son revolver pourrait servir de canne.
Quelle équipée merdatoire, Seigneur ! Des complications ! Des tracasseries ! Je devine que je ne suis pas encore sorti de l’auberge. Et pendant ce temps-là, Béru roupille et le couple de petits malins se consacre à ses activités mystérieuses.
Mon poulet hèle des potes à lui. Il cause dans une langue qui ressemble à un solo de xylophone.
Deux gonziers en uniforme, du même gabarit que le premier et tellement semblables à lui, qu’il conviendrait de les numéroter pour les reconnaître, me prennent en charge.
Moi, l’univers asiate m’inquiète, à cause de ce qui constitue pour nous un infernal mimétisme. Ils sont à peu près tous pareils, les aminches. Ça te file le tournis cette multitude d’êtres qui semblent tirés au duplicateur.
On quitte l’hydromachin pour se diriger vers une voiture japonouille qu’a écrit Police dessus en caractères plus conséquents que ceux du « Port-Salut ». En Asie, tout est japonais, sauf parfois les habitants. Mais les denrées, les chignoles, les machines viennent du pays des geishas ; valeureuse nation dont le drapeau ressemble à un viol dans le Grand Nord Canadien. Expansion économique ! Peuple de travailleurs acharnés ! Et mon cul, tout bien. Le péril jaune est tarifé ! C’était lui. On attendait Mao, ce fut le Mikado ! Merde, achetez européen, les gars, je vous conjure ! Soyez pas toujours suicidaires. Déjà qu’ils infiltrent nos grandes boîtes, les samouraïs ! Rachat d’actions ! Apport de capitaux ! Nani nanère ! L’enculade pommadée Fleur de Lotus !
On va se réveiller avec la jaunisse, un de ces quatre. Déjà qu’on a les Nikon, les Yamamoto. Le Bol d’or est devenu bol de riz, tas de cons ! A dada sur mon dragon ! Fume, c’est de l’opium ! Son Excellence Kami Kazé à l’Hé Li Zé ! Comment qu’ils vous l’introduisent, messieurs les photographes. Nippon, ni carré, ni pointu !
In the babe ! Achetez européen, les gars, ou africain, ou océanien, sinon je te vas vous rédiger mes polars en commençant par la dernière page et les signer SA NA TO NIO.
Et, or, donc, me voici emballé propret. Au volant, un troisième glandu mâche du chewing-gum. Il décarre en trombe, sirène au vent. Je suis frais, mécolle, avec ces trois têtes de pinceaux usagés sous leur kebour-galette !
Le bord de mer défile. On passe devant quelques immeubles neufs. La chaussée est encombrée de pousse-pousse tirés par des pédaleurs agiles. Chine d’autrefois ! Traction humaine ! Bol de riz ! Coup de pompe dans les noix !
Des vieillardes coiffées de chapeaux de paille coniques vendent des machins bizarres à des conskodak. Il fait un soleil à se marcher sur l’ombre. On parvient dans le centre de Macao, là que se dresse le casino number ouane, circulaire, plein de dorures et chamarrances, plâtres, marches, colonnes. La foule, à nette dominante jaune, investit ce palais des mirages. En face, la mer, de côté des jardins où sont rangés d’autres pousse-pousse peints en vert et rouge. On remonte une avenue. On oblique dans une voie populeuse. La misère te bondit dessus, éternelle, partout — ou presque — la même parce qu’elle n’a qu’un visage.
La tuture policière fend la populace de sa sirène suraiguë. Elle se pointe dans un bâtiment de style ibérique, avec des grilles ouvragées aux fenêtres, des frontons moulurés, des portes à caissons.
Une cour pleine d’autres chignoles à poulets. Comme la misère, la flicaille est identique à travers l’univers. Un porche, un hall très beau, dallé, qui sent la poule et le caveau de famille. Mais la façade et le hall sont les ultimes vestiges de la noble construction initiale. Le reste a été bouffé par une administration sans, tu sais quoi ? Vergogne.