Tout y est laid, sale, et très con. Portes vitrées aux carreaux fendus. Avis en portugais et en chinois, placardés un peu partout. Comptoir de formica lépreux. Poulets glapisseurs. Ecume d’humanité amenée là sans ménagement, sournoise ou hagarde, insolente ou résignée.
On me happe, me pousse aux reins. Je renonce à regimber, soucieux de ne pas aggraver mon cas. Me voilà drivé dans un burlingue dégueulatoire, peint jadis couleur merde et qui s’est mis à la sentir. Une table de fer, des téléphones, de la paperasserie inconsultable. Et, assis, un énorme poulardin sang-mêlé. Pas tout à fait jaune, plus tout à fait blanc, grisâtre, plutôt, style cirrhose, trois mentons copieux, un regard de grenouille aux paupières pare-balles, le front, dégarni avec des cheveux qui frisottent sur les rives d’une calvitie blafarde. Entre ses grosses lèvres en rebord de chapeau melon, un bout de cigare à la sauce brune, éteint, qui lui chie dans la bouche. Un chef, quoi ! Un flic lui raconte. Le gros écoute en rotant nostalgiquement des trucs qui ne devaient pas être comestibles au départ.
Puis laisse tomber une pincée de syllabes. Qu’aussitôt, l’un de ses sbires se met à me fouiller minutieusement.
Je continue de me contenir bien qu’une caravane de fourmis défile sur mes phalanges. Ce gus, si je lui votais la châtaigne qui me vient au bout du bras, il décollerait de terre et traverserait la pièce sans escale, promis !
Tout à coup, ses mains fiévreuses se rassemblent dans mon dos, me triturent. Il m’aboie de poser ma veste. Ce dont. Qu’illico, il l’étale sur le plancher, s’agenouille et décroche un sachet de soie proprement épinglé à la doublure du vêtement. Moi, un éclair, j’ai pigé. Me voici misé à mort. Plus viandé profond que je ne l’imaginais. Le ravissant pédoque chinois, c’était pas seulement un pickpocket, il s’agit en fait d’un complice de mes polissons italiens. Un crack de la manipulation chargé de me faire tomber. Boulot d’artiste : il m’a secoué mes fafs, ce qui entraînerait mon interpellation par la police de Macao, et en supplément, m’a cloqué de la came de manière à ce que ce soit le méchant embastillage. Alors là, mes pauvres choutes, c’est plus que mal barré pour ma pomme ! J’ai beau être poulet de France, surdoué, noté extra, protégé par ses chefs vénérés, ça ne m’empêchera pas de tirer mille ans de taule pour trafic de stups ! On ne badine pas avec ce genre de babiolerie à Macao. L’influence de la Chine Populaire y est très forte et la vie y devient un peu guindée, si j’ose cette périphrase.
Ça gazouille à toute vibure dans le burlingue. Le mec a posé le sachet sur le bureau du gros chef qui se hâte de l’ouvrir avec son ya et de plonger son doigt dedans. Il renifle. Goûte. Un rire large comme une césarienne permet une vue impec sur sa denture pourrie.
Il me considère avec une espèce de barbarie bienveillante. Il me sait gré du cas intéressant que je lui fournis. Toujours ses petits malfrats, voleurs de touristes, il en a quine. Enfin une affaire authentique.
— Cocaïne ? il me fait gentiment.
— Ou levure alsacienne, j’y rétroque.
Il soupèse le sachet.
— Deux cents grammes ?
— Ça me paraît beaucoup.
— En tout cas plus de cent ! il affirme.
Tu croirais une converse chez le commerçant à propos d’une truite ou de n’importe quoi de banal.
Il exhale un rot qui n’a rien de commun avec ceux qu’exprime Bérurier. Un rot en fuite de gaz, interminable, chargé de relents qui croissent en infamure au fur et à mesure que ce souffle d’enfer se développe.
— Qui êtes-vous ?
— Un officier de police français.
J’ajoute :
— Victime d’une petite machination. J’étais sur la trace de gangsters internationaux qui ont trouvé cet astucieux moyen de se débarrasser momentanément de moi.
Le gros mec a une mimique compatissante.
— Le moment risque d’être long, fait-il.
— Il ne sera pas difficile d’établir mon identité. Un coup de télex à Paris et vous saurez que je dis vrai.
Mon interlocuteur réfléchit. Je crois que c’est pour déclarer un truc intéressant, mais il était seulement en gésine d’un nouveau rot, beaucoup plus nuancé que le précédent.
Je reprends.
— Je suis le commissaire San-Antonio, des Services Spéciaux.
Le roteur opine.
— Attendez un instant, quelqu’un procédera à votre interrogatoire d’identité. Ce que j’aimerais savoir c’est à qui était destinée cette came.
— Je vous répète que j’ignorais tout de la présence de cette drogue…
— A l’intérieur de votre veste ?
Et il éclate d’un rire bref : sa partie européenne. La partie chinetoque reprend le dessus et mon terlocuteur retrouve son masque de gros magot bouffi.
— Écoutez, fais-je en essayant de ne pas trop laisser transpirer mon angoisse dans ma voix, comme l’écrit Léon Zitrone dans son remarquable ouvrage titulé Hip Hippisme Ruade ! Écoutez, je vous répète que je suis officier de police, jouissant d’une réputation au-dessus de tout soupçon et qu’il est impensable d’envisager que j’aie pu tremper dons un minable trafic de drogue !
Seulement, lui, ça ne l’époustoufle pas la moindre, une telle perspective.
— A votre tour de m’écouter, dit-il. Que vous soyez français, je m’en fous. Que vous soyez officier de police, je m’en fous encore. Et que votre réputation, là-bas, fasse la pige à celle de la Vierge Marie, je m’en fous toujours. Je veux le nom de votre correspondant à Macao. Et je le veux tout de suite. Mais alors, tout ce qu’il y a d’immédiatement. Pour moi, vous êtes un émigrant sans papiers trouvé porteur de cocaïne, et je n’ai pas à chercher plus loin que le nom du type à qui vous deviez la remettre, c’est clair ?
Un dramatique sentiment d’impuissance me ravage la pensarde.
Je sens qu’il va se mettre à vaser des calamités, ma belle. Tu peux préparer ton pot d’onguent. Pas le gris : l’autre !
CHAPITRE XIX
Attends, laisse que je t’en parle au passé, pas te démouler les organes. Au présent, ce serait par trop cruel, insoutenable. T’aurais des perturbances dans la laitance, le raisin qui tournerait boudin, je sens. Le présent, c’est roulant dans le débonnaire, le va-te-faire-foutre-comme-je-te-pousse ; mais dans l’extradramatique, il te fout la fièvre quarte, tu ramasses des globules et ton cervelet clopine.
Alors voilà donc l’horrible affaire, très épouvantable de partout qu’à la narrer je me sens des fourmis plein le scrotum, avec net débordement sur les ailes.
Figure(z-vous)-toi, ma jolie fleurette à crinière dorée, que ces messieurs me remportent sans autres formalités. Pas d’interrogatoire, pas de voies de fait : le gros adipeux a dit peu, il est sorti un moment et, quand il est revenu, il a entraîné l’un de ses sous-fifres à l’écart pour un bref conciliabule. A la fin duquel l’on m’a reconduit à la bagnole où deux civils ont pris la relève pour me driver dans une bâtisse décrépite, non loin, au fond d’une venelle.
Une vieillarde, tout de noir loquée, nous a ouvert. Cette fois, j’avais droit aux menottes, d’horribles cabriolets très courts qui me gardaient les deux poignets serrés l’un contre l’autre, ce qui, au bout d’un moment, t’étouffe, car cela te comprime la poitrine.
La vieille nous a introduits dans une salle meublée d’une espèce de bureau planté sur une estrade, d’un banc, de quelques chaises et d’un grand crucifix assez beau ma foi, quoique de style baroque, sur lequel notre Seigneur était représenté avec la frime de Julien Clerc et pleurait de grosses gouttes de sang qui lui goulinaient jusqu’au pagne.
On m’a indiqué le banc. Les deux matuches qui m’escortaient ont pris des chaises. Le brouhaha du quartier ressemblait à un bruit de frelon s’enrognant contre une vitre. Parfois, un cri plus strident se détachait et vous piquait le tympan pire qu’une aiguille à tricoter. On a poireauté de la sorte une bonne demi-heure. Des odeurs d’huile chaude me flanquaient la dalle. Y avait du beignet dans l’air…