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A la fin, une porte basse ménagée sous le crucifix s’est entrouverte, et un petit vieillard, bas lui aussi, fringué comme sur les gravures illustrant Jules Verne, a fait une entrée comico-solennelle. Comique parce qu’il était nabot et marrant à regarder, solennelle à cause de sa mise et de ses manières pleines de recherche et d’emphase.

Les deux poulardins se sont levés. Ils m’ont intimé de les imiter, ce dont.

Et puis le vieux s’est installé à son burlingue. Il devait avoir une pile de Bottins sous les miches car, une fois assis, il paraissait presque grand.

Il m’a adressé la jacte en portugais, et comme je n’ai pas l’honneur de causer ce patois, à l’exception de quelques formules lapidaires signifiant : « Je vous en prie » et « Va te faire mettre, espèce de con ! », je lui ai répondu en anglais que j’étais français.

Il a dès lors usé de ce dialecte pour m’entretenir. M’a dit qu’il était juge, qu’on lui avait communiqué mon dossier par téléphone et que mon procès allait commencer aussitôt. Il a ajouté que, puisque je me trouvais dans l’impossibilité de fournir mon identité, on allait me juger sous numéro et que je m’appelais désormais Quarante-Huit, ce qui m’a quelque peu réconforté, le quatre et le huit étant des chiffres pour lesquels je ne peux me défendre d’une certaine sympathie…

Le juge a pris un ton très gourmé pour m’informer de l’acte d’accusation.

— Quarante-Huit, me dit-il, vous êtes convaincu de trafic de stupéfiants. A compter du moment où l’on vous trouve en possession de 200 grammes et plus, la peine appliquée est la détention perpétuelle. Si la prise est moindre, vous serez condamné seulement à un an de prison par gramme de drogue.

Il a prié qu’on produise la came. L’un de mes convoyeurs lui a remis le fatal sac de toile. Le juge a sorti d’un tiroir une balance de pharmacien. Il a pesé consciencieusement la cocaïne trouvée sur moi, et tu aurais dit le potard de Mme Bovary, le sale bonhomme Homais.

— Cent quarante-quatre grammes ! a-t-il annoncé. Approchez-vous, Quarante-Huit, et vérifiez que je proclame bel et bien le poids exact.

— Je fais entière confiance à la cour, monsieur le juge ! ai-je répondu.

Le juge a alors hoché la tête, sans marquer sa satisfaction, mais à un je-ne-sais-quoi qui a éclairé son visage, on sentait qu’il était content de moi.

— La parole est à l’accusation ! a-t-il dit.

Mon convoyeur de droite, un grand métis anguleux, qui ne parlait que le portugais, a dit quelque chose d’assez bref et de pas gentil. Le juge est resté impénétrable, contrairement à Jacques Chazot, et a donné la parole à la défense… Mon garde de gauche lui a parlé en anglais. C’était pas très fameux. Il était soucieux, avec des démangeaisons sous les couilles qu’il tentait fréquemment de calmer à grandes onglades furieuses.

Il a dit que ma docilité plaidait en ma faveur, que je devais garder espoir en l’avenir, et qu’il implorait le juge de me remettre dix pour cent de la peine encourue.

Le juge a prié tout le monde de s’asseoir et il est sorti. Pendant son absence, la vieillarde loquée duègne de mélo espagnol est venue balayer la salle en se prosternant chaque fois qu’elle passait à la perpendiculaire du Christ.

Le juge est rentré en mangeant un sandwich à la tortilla. Il a poliment achevé d’absorber ce qu’il avait dans la bouche et a déposé ce qui restait de son en-cas sur l’angle de son burlingue.

— La cour ordonne la confiscation de la marchandise illicite et condamne le sieur Quarante-Huit à cent trente ans de prison.

L’avocat de la défense a jeté un regard goguenard au ministère public, le côté : « Qui est-ce qui l’a dans le cul ? » Lequel ministère public, de rage, a balancé un glave ressemblant à une belon qui aurait mal voyagé.

Le juge a ramassé son sandwich, il a adressé un hochement de tête à mes gardes et s’est barré comme un vieux rat qui vient d’entendre crier « miaou ! ».

Mes convoyeurs m’ont alors poussé vers la sortie. Bagnole. Je me disais que, vu la superficie de Macao, on n’allait pas rouler longtemps et, cependant, le voyage m’a paru interminable.

J’étais sonné par ce jugement sommaire et ce verdict fou. Je ne pigeais pas pourquoi les types de la police n’avaient pas obéi à la logique en me « questionnant » plus avant à propos de mes « complices », comme le gros chef semblait en avoir l’intention. Au lieu de céder à son premier mouvement, il avait eu l’air de se rappeler quelque chose d’urgent et il avait quitté le bureau. A son retour, poum ! Tout avait changé. Et voilà que je m’appelais désormais Quarante-Huit et que j’étais condamné à cent trente piges de taule.

Un bail.

Je me demandais quelle gueule j’aurais en sortant. L’intérêt de notre métier de héros c’est qu’il est plein d’imprévu ; son côté cacateux, c’est que l’imprévu en question est souvent dur à vivre. Tu vois ? Je suis là, à être San-Antonio l’invincible, et j’en prends plein la poire, plein le moral, ras bord. Seulement si on ne s’est pas confronté à de telles épreuves, vite fait on nous catalogue pacotille, superman en carton-pâte.

La bagnole a fini par stopper en pleine campagne, sur une éminence qui dominait un fleuve. Comme je m’y connais en géo, j’ai tout de suite su que le cours d’eau en question était la Rivière des Perles. Au-delà, à l’infini, s’étendaient des rizières, et tout au bout, formant le cul-de-sac de l’horizon, une chaîne de montagnes. A partir de l’autre rive de la Pearl River, c’est la Chine Populaire. Le plus étrange c’est que j’avais beau écarquiller grands mes vasistas, je n’apercevais personne. Y avait les rizières, et encore les rizières d’un vert un peu gris, et le gris de l’eau croupie, et enfin le gris bleuté des montagnes…

Les deux sbires m’ont drivé jusqu’à un porche découpé sur la nature. Un réseau de fils barbelés partait de chaque côté du porche pour isoler une sorte de camp pas joyce au centre duquel on apercevait des baraquements. Des miradors de bambou, meublés d’un guetteur immobile, ponctuaient la barrière à intervalles réguliers. Bon, j’allais donc passer cent trente piges dans cet endroit.

Des mecs en uniformes jaunasse et vert ont délourdé le portail. Nous sommes entrés à pincebroques, moi avec mes mains jointes par la ferraille devant ma braguette déconfite.

Un gradé chinois s’est joint à notre groupe pour nous convoyer jusqu’au premier bâtiment en fibrociment désavoué. L’intérieur aurait guéri du hoquet un marteau piqueur. Figure-toi une vaste pièce en longueur, badigeonnée à la chaux, sans autre mobilier que des chaînes rivées aux murs. Deux malabars à bouilles de primates lisaient malgré tout des journaux chinetoques, assis par terre. Ils se sont dressés à notre entrée et ont replié leurs baveux. Tout s’est déroulé sans un mot. Ils m’ont emparé et m’ont dépoilé en un tournemain.

Lorsque j’ai été nu comme une ampoule électrique, ils ont fixé une ceinture d’acier à ma taille, laquelle était reliée au mur par une chaîne d’environ un mètre. En guise de boucle, la ceinture comportait un cadenas gros comme mon poing, sommaire mais à toute épreuve.

Mes convoyeurs ont alors allumé une cigarette. Celui qui m’avait servi d’avocat m’en a proposé une. J’ai refusé.

Le gradé chinois a adressé un hochement de tête aux gorilles. Ces deux exquis personnages ont dégauchi deux espèces de cannes longues et flexibles dans un angle du local. Un instant, à la manière dont ils les faisaient virevolter dans leurs grosses pattounes, j’ai cru qu’ils faisaient une démonstration d’arts martiaux asiatiques. Fallait voir tournoyer les cannes à moulinets qui parvenaient à s’entremêler sans se chicaner la moindre. Du beau boulot. Mais j’ai vite cessé de l’apprécier lorsque ces moulinets se sont transformés en hélices emballées dont les pales m’ont mordu les mollets. Et ça s’est mis à remonter. J’ai eu les cuisses zébrées au sang, et ensuite les meules, et puis le dos, jusqu’à la nuque. Quand ils m’ont entrepris l’arrière du crâne, il m’a semblé que ma tronche partait en copeaux. Ma vision faisait des vagues, ma pensée des couacs. La pièce s’est mise à tourner. J’ai dû mettre un genou en terre et prendre appui contre le mur pour ne pas m’abattre comme ce qu’au moins une douzaine d’académiciens appelleraient : un pantin désarticulé, car chez certains d’entre eux (tu le sais bien, Jean) on trouve davantage de sémaphores que de métaphores. Ce qui n’a pas trop d’importance puisque personne ne les lit.