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Je m’en mets jusque-là. Belote, rebelote ! Et le petit lapin ! Le chat, l’ablette et le petit tapin. Insoucieux d’après, l’ignorant même. Rien ne presse. J’ai le temps puisque je suis mortel. On serait immortels, là, pour sûr il ne faudrait pas perdre une seconde. Mais condamnés à disparaître, tu parles si on a le temps devant soi !

L’amour ne la fatigue pas. Les cannes en cerceau, connaît pas. Elle laisse ça aux Japs, Kupi Dong. Les yeux cernés ? Bon pour ceux qui préparent le bac. Fraîche après, mieux qu’avant. A croire qu’elle s’est purifiée dans la tringlette, je te jure !

Quand on a fini nos mignons exploits, je lui demande de quoi me débarrasser de ma boue, et elle me drive à un robinet extérieur qui se dresse au bout de son tube, comme un cobra auquel on interprète un solo de flûte. Je me lave minutieusement. Ensuite, elle me dégauchit des fringues masculines. Oh ! pas de quoi se rendre à la réception de la gentille baronne de Rothschild ! Figure-toi un costume de coutil noir, qui me serre un peu aux entournures (il appartient au papa de Kupi Dong, lequel est docker au port). Une paire de sandales, une large casquette mao, et me voilà qui rutile extrêmement. Un flacon de teinture d’iode me transforme, non pas en Chinois, mais en une espèce de métis consécutif à la rencontre d’une marchande de gaufres chinoise avec un adjudant de la Coloniale. Et tu sais que je ne suis pas vilain garçon, ainsi accoutré ? J’ai la beauté tenace, n’empêche. Je n’ose outrecuider jusqu’à lui demander un peu de fraîche, mais c’est elle qui me propose quelques pièces, comme quoi elle n’est pas mécontente de son partenaire, hein ?

Je lui file une prosternation, très Empire du Soleil Levantin, en guise de galoche, mode d’expression trop profane pour sa civilisation, et je m’esbigne.

Il fait un soleil magnifique. Cette paisible rumeur-là vient de la ville.

La situation va mieux, mais il me reste pas mal de problos à résoudre : sans papiers, sans argent, comment vais-je m’arracher à cette enclave portugaise perdue dans l’immense univers chinois ?

Si tu veux le savoir, fillette : suis-moi. Cette putain d’aventure est loin d’être terminée.

* * *

Le plus grand casino de Macao a la forme d’une tiare gigantesque, blanche et dorée, plantée près de la mer. Il attient (étant attenant) à l’hôtel Lisboa et Macao, flambant neuf également, et peut rivaliser pour le bon goût avec les meilleures réalisations de Disneyland.

Tu trouveras mon culot phénoménal, peut-être, quand je te dirai que c’est dans ce temple clinquant et quincaillesque que je porte mes pas, le plus délibérément possible, ayant au cœur, mon cher amour, un espoir à la mords-moi le nœud digne des abonnés à Nostradamus. En effet, je fais tinter la pincée de monnaie remise par Kupi, en prévoyant de la mettre à fructifier dans les appareils à sous. Puis, nanti d’un maigre pactole, d’aller risquer celui-ci sur le tapis vert, comptant bien y amasser suffisamment de blé pour me tirer d’affaire. N’étant pas recherché, il me suffit de ne pas être reconnu. Et qui donc pourrait me reconnaître en dehors des quelques poulardins entre les mains desquels je suis passé ? Mon nouvel accoutrement est suffisant pour me protéger. Ces messieurs m’ont oublié copieusement depuis hier matin. La vie coule vite. Lorsque j’aurai engourdi assez d’osier, je trouverai bien le moyen d’affréter un canot automobile susceptible de me ramener à Hong Kong.

Je pénètre dans l’immense casino en espérant que ma mise plus que modeste ne me fera pas refouler. Mais tout de suite je suis rassuré. C’est si vaste et si peuplé que tout le monde se fout de tout le monde, et moi j’aime ça.

Un vrai caravansérail bondé, où se bousculent les êtres les plus cosmopolites, de toutes races, toutes conditions. Des escaliers, des galeries marchandes, des comptoirs d’acajou où se pavanent des employés en uniforme, des colonnades de faux marbre, des divans criards, des lustres pareils à des archipels de lumière, des balustrades en stuc, des Anglaises en stock, des trucs en troc, des gonzesses bioutifoules de partout, des petits fripons louvoyeurs, des Indiens huppés, des rombiasses non ravalées, un bourdonnement qui évoque le grondement d’un cours d’eau souterrain. Je te livre pêle-mêle pour te faire sentir un peu l’ambiance. Sur la gauche, les salles de jeu en enculade (ou en enfilade pour les bêcheurs à la ligne). Je m’y pointe. Ici est le délire, la surcohue ! La grouillance ! Une ambiance hagarde, des lumières de films rétros, des visages crispés, des bruits mécaniques de roulette, des voix impassibles de croupiers, un intense froissement chiottique de papier-mornifle. Les joueurs au coude à coude, hypnotisés par les tables où caprice le hasard. Pognon ! Gagné ! Perdu ! Ratelé ! Va et vient ! Faites vos œufs ! Vos passes ! Vos manques à gagner ! Rien ne va plus, tout va bien ! Le rouge, le noir ! Si Stendhal m’était compté… Zéro ! Pourri : dans le culte de la balayette ! Tas de branques, connards en errance miséreuse ! Viande à loterie ! Vite, qu’ils paument tout, ces caves : leur artiche, leur culotte, leur vie de cons ! Y a gourance, maldonne ! Erreur sur la personne humaine. Souffler n’est pas jouer ! Ils cherchent quoi-ce, les pauvres frileux ? La fortune ou la faillite ? Poursuivent-ils un rêve, la chance ou la guigne ? Ils titubent de quel espoir, ces veaux internationaux ? Usent quelle durée excédentaire ? Sclérosés en plaques ! Pitié ! Pitié pour eux, Seigneur ! Que le zéro leur pète à la gueule, bordel ! Que ce casino de merde leur écroule sur le dos ! Les ensevelisse avec les tables, les brèmes, les roulettes, las talbins, jetons, toute la panoplie honteuse ! Fais-en un tas, Seigneur ! Je Te le supplille ! Un gros paquet de décombres, ça ne mérite pas mieux.

Un escadrin marmoréen descend aux appareils à sous. Tudieu, tu verrais ce turbin ! Encore des salles, et des salles, avec, alignés le long des murs, tels des robots à la parade, ces foutus engins gorgés de pièces. Un fracas de manettes nerveusement actionnées. Ronron dentelé des cylindres. Prunes, citrons, oranges, raisins, cric ! cric ! crac ! Mon cul ! Fume, c’est du belgium ! Une poule ça bouffe sans arrêt mais ça ne pond qu’un œuf par jour, et encore ! Ici : kif. Les robots chromés, lumineux, pimpants, bectent de la mornifle comme un gallinacé des grains, mais pour ce qui est de produire, zob ! Si pourtant, temps à autre, le bruit tant espéré se produit, la divine cascade qui fait bander et mouiller à la ronde. Qui acharne les autres crêpes. Leur donne à croire au miracle. Ça arrive ! Donc, ça va leur arriver ! L’homme qui croit perpétuellement que la mouscaille est pour autrui, ne doute pas un instant de sa chance. Elle a été créée pour sa pomme, compris ! Si un copain gagne, c’est accidentel, une gourance du sort. Pour lui, ça ne va pas traîner. Il est là, planté devant l’appareil, à le barrer comme un voilier, la main moite sur la manette déclencheuse. L’actionnant d’un coup sec, péremptoire, ou bien l’usinant avec délicatesse, façon clitoris, suave, sois gentille avec moi. Prenons notre joli panard ensemble. Tu y es. Vzzout ! Mais tiens : dans l’oigne, gamin ! Les citrons ne se groupent pas, les raisins non plus. Il reste à l’état de corbeille assortie, le tableau d’affichage.