Bientôt, un grand froufrou ailé retentit. Tous les oiseaux, sans exception, prennent la direction du nord.
Cela étant accompli, je choisis deux gélules parmi celles que nous avons piquées au couple rital, je les enveloppe dans du papier et les loge délicatement dans la poche supérieure de mon veston. Après l’ensuite de quoi, le Gros et ma pomme allons enterrer ce qui reste au fond du jardin de la vieillarde, très profondément, ce au pied d’un gougnafier sextuple caramélisé, dont le feuillage offre la particularité de ressembler à des fleurs, et les fleurs à des feuilles.
— C’est le meilleur moyen de les mettre en sécurité, dis-je. Si besoin est, ce sera possible de les récupérer. Et maintenant, Mister Gradube, on va essayer de regagner Hong Kong.
Je retourne saluer la vieille dame, fort occupée à cuire sa morue. Je lui dis que merci-bien-à-bientôt et comme quoi son grand garçon a bonne mine. Ce dernier nous congédie du même rire inhumain.
L’existence n’est pas toujours avenante, faut reconnaître. On est tellement de cons, de salauds et de malfoutus sut cette planète que, par instants, elle paraît tentée d’arrêter sa rotation et de se laisser choir dans le cosmos.
Tu veux parier qu’elle nous dira merde un jour !
CHAPITRE XXVII
Rome.
Ville éternelle, j’y compte bien. Son Colisée, ses Brigades rouges, son pape, ses spaghetti aux fruits de mer !
Ville sublime, ville ouverte.
Sang et soleil, ruines et cris. Poussière d’or des siècles à jamais incrustés sur les rives du Tibre.
Le Vieux, le Dabe, le Tondu, le Vénérable, le Big Boss, Achille, autrement dit môssieur le directeur, est venu nous y attendre. Il se tient dans un salon discret de l’ambassade de France, plein de tableautins, sièges Louis Zob, tapis d’Aubusson (Noël à Aubusson, Pâques aux tisons), tout le fromage officiel et qui se veut représentatif de l’élégance françouaise ; en compagnie d’un aimable Chinois au regard de penseur, loqué en Mao gris, et d’un vieux Romain, bon comme la romaine.
Le Dabuche se précipite.
— Ah ! mes amis ! Quel plaisir ! Excellences, permettez-moi de vous présenter deux de mes meilleurs collaborateurs, MM. San-Antonio et Bérurier, qui ont si brillamment sorti cette effarante histoire.
Il respire et poursuit à notre intention :
— Leurs Excellences, M. l’attaché d’ambassade de Chine Populaire, et le dottor Voxpopuli, mon homologue romain…
Poignées de cartilages, courbettes, murmures civils et militaires, saluts éternels, amen.
Le Big Chief continue :
— San-Antonio, vous allez résumer pour ces messieurs ce que vous m’avez raconté en P.C.V. au téléphone depuis Hong Kong. Soyez succinct, leur temps est précieux.
Cette recommandation enrogne Béru.
— Si vous voudriez qu’on soye tout à fait suce seins, patron, c’tait pas la peine qu’on vient, suffisait d’espédier un télégramme !
— Je vous en conjure, Bérurier : pas d’humour ! adjure M. Bon Dieu.
En parfait chef d’orchestre, il tend le bras vers moi et fait claquer les doigts qui se trouvent au bout.
Je plonge donc, narrant le départ de cette folle aventure : la voiture volée par deux petites salopes cupides trop arnaqueuses de nature pour pouvoir vivre vieilles.
— Le professeur Corvonero, barbon en folie, a accepté de commettre un crime contre l’humanité, messieurs. Le forfait était à ce point horrible qu’il prétendait, auprès de son égérie, se livrer à un trafic de drogue, ce qui lui paraissait anodin en regard de la vérité.
— Au fait, au fait ! impatiente le Vieux Glandu.
— Messieurs, demandé-je au trio, connaissez-vous la triste particularité de la République du Boukamba ?
Ils me décochent trois moues différentes mais qui toutes expriment la négative.
Alors, fort de leur ignorance, je passe outre le désir de concision exprimé par le Dabe et j’attaque :
— C’est au Boukamba qu’a été découverte la maladie de Smiremork dont les effets terribles rendent aveugles, sourds et muets tous ceux qui en sont frappés, sans préjudice — si je puis dire — de lésions au foie et à la moelle épinière. Smiremork, le savant scandinave qui a détecté ce mal épouvantable, a déterminé qu’il était causé par les marécages situés au sud de Boukanho, la capitale du Boukamba. La terre de ceux-ci contient à l’état endémique, arachnéen et calfeutré le terrible virus. Des travaux ont été entrepris pour la salubrité de la région évoquée, mais vous n’ignorez pas combien une entreprise de ce genre est hasardeuse et mollement exercée quand elle a lieu dans un pays sous-développé.
Poum ! Là, je respire. J’ai droit à une forte rasade d’oxygène. De champagne également, mais il ne semble pas prévu au programme.
— Une bande de terroristes internationaux a eu l’idée d’acheter à prix d’or cette terre viciée au Boukamba et de la faire traiter en laboratoire pour en dégager le virus et le concentrer sous faible volume. C’est l’ignoble Corvonero qui a accepté cette basse besogne. Grâce à — ou plutôt à cause de — lui le virus de Smiremork est enfermé dans ces gélules, dont une seule suffit, lorsque son contenu est à l’air libre, pour contaminer plusieurs milliers de personnes. Les terroristes ont décidé de s’en prendre à la Chine Populaire, Excellence. Pour cela, ils livraient les gélules à Macao. Une fois parvenues dans cette enclave, on les fixait aux pattes de pigeons voyageurs achetés à votre pays par des colombophiles portugais. Avant de lâcher le pigeon, on remontait le mécanisme que voici. Regardez… Après un laps de temps de plusieurs jours, ledit mécanisme enfonçait une pointe dans la gélule afin de libérer le virus.
— Je vois, déclare le Chinois, voilà pourquoi toute une région du centre est contaminée ! Il y a eu soixante mille décès entre Chop-Sa et Chop-Su.
— Si les choses avaient continué, le mal eût été irréparable, gazouille Achille. San-Antonio, dites merci à Son Excellence de lui avoir sauvé son pays. C’est un grand honneur, vous savez. Sauver la Chine millénaire, mazette ! Vous ne vous mouchez pas du coude, mon petit ami !
Magnanime, l’Excellence me fait signe que je suis tout excusé.
— Où est l’infâme Corvonero ? demande le directeur de la police romaine, celui qui est bon comme un Romain.
Je souris.
— Nous sommes passés le voir avant notre rendez-vous, mais il a refusé de nous ouvrir sa porte.
— Où est-il ?
— Dans la salle des coffres de la Banco di Roma, monsieur le directeur. Il s’est loué un compartiment géant et s’y est enfermé avec des vivres et de l’air comprimé car il sait bien que, depuis la trahison de sa maîtresse, sa vie ne tient qu’à un fil. Il a brouillé la combinaison avant de pénétrer dans le coffre, m’a expliqué le préposé, et a demandé qu’on ferme la porte sur lui. Il sera difficile de le joindre…
— Les noms des conjurés, commissaire ?
— Il y a le signor Avani, qui doit se trouver encore à Macao ou Hong Kong, sa maîtresse et complice qui travaillait en qualité de secrétaire au Museo di Santa Antonia dei Cosmetici, et, bien sûr, les gens de l’ambassade du Boukamba. Par eux, en les soudoyant, vous pourrez en apprendre davantage. Des types capables d’exporter de la terre contaminée ne doivent pas être des alliés très fiables…